La gratuité totale ou partielle des transports en commun, adoptée dans plusieurs villes et métropoles, continue de faire débat. Outil au service de la transition écologique pour les uns, modèle insoutenable pour les autres, la mesure devient un sujet politique. Pour y voir clair, nous avons donné la parole à Michaël Delafosse, maire (PS) de Montpellier, qui appliquera la gratuité totale en 2023 dans sa métropole, et à Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). Le premier est évidemment pour, le second l’est un peu moins…
Par Sébastien Fournier
Michaël Delafosse, maire (PS) de Montpellier, président de la métropole
« Le monde change. Soit on court après, soit on a une longueur d’avance. »
Pourquoi est-ce important pour vous de mettre en place la gratuité des transports publics ?
C’est important parce que nous sommes à un moment majeur de l’histoire de l’humanité. La question du réchauffement climatique est une réalité. Soit on en parle pour faire bonne figure, soit on agit. La gratuité des transports publics, c’est une mesure d’écologie positive parce qu’elle permet d’entraîner tout le monde dans un nécessaire changement. Nous ne pouvons pas avoir dans nos villes comme seul modèle de déplacement la voiture particulière. Elle est parfois nécessaire, c’est incontestable, mais il faut créer des alternatives. De plus, dans un contexte de hausse du prix de l’essence, c’est une mesure qui protège le pouvoir d’achat. La gratuité des transports, c’est le moyen de concilier l’écologie et le social.
Depuis que la mesure est effective à Montpellier, avez-vous pu observer une hausse de la fréquentation ?
La mesure est encore trop récente. Toutefois, alors que nous venons de démarrer la deuxième phase de notre programme (ndlr, le réseau est en libre accès pour les jeunes et les personnes âgées depuis la rentrée 2021), beaucoup nous disent aujourd’hui qu’ils n’utilisent plus leur voiture. Vous savez, quand la gratuité est associée au développement de l’offre des transports en commun, mécaniquement, il y a une baisse de la part de la voiture.
«Nous pouvons développer l’offre avec la gratuité. Le maire de Dunkerque l’a fait. Nous allons le faire aussi. » Michaël Delafosse
Justement, les associations d’usagers ne veulent pas de la gratuité, elles demandent plutôt qu’on améliore l’offre…
C’est ce que nous faisons. La métropole de Montpellier va consacrer un milliard d’euros d’investissements pour améliorer l’offre de transport. Nous allons construire une cinquième ligne de tramway, quatre lignes de bus à haut niveau de service, consacrer 150 millions d’euros au vélo et renouveler les rames. Nous faisons l’un et l’autre. C’est juste une question de choix. Je sais que les associations d’usagers s’opposent à la gratuité. Dont acte. Mais, en ce qui me concerne, c’était une promesse de campagne. Je la tiendrai. Et je le redis, nous pouvons développer l’offre avec la gratuité. Le maire de Dunkerque l’a fait. Nous allons le faire aussi.
Les représentants du transport public émettent des réserves sur le modèle économique de la gratuité, notamment liées à la situation financière du transport public, lequel a beaucoup souffert des confinements…. Les entendez-vous ?
Il n’y avait personne dans les transports en commun durant les confinements et pourtant ils continuaient de fonctionner. D’une certaine façon, on a financé la gratuité. Et aucune métropole n’est en faillite. Maintenant, je comprends que les opérateurs comme Transdev ou Keolis ne voient pas ça d’un bon œil… Je suis convaincu qu’aux prochaines élections municipales, on débattra partout de la gratuité des transports en commun. Au cours de la COP26, à laquelle j’ai participé à Glasgow, j’ai échangé avec le maire de Manchester, celui d’Heidelberg et d’autres encore. Tous y sont favorables. Le monde change. Soit on court après, soit on a une longueur d’avance. À Montpellier, on a fait notre choix.
Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT)
« Le transport public a besoin de se développer et toutes les sources de financement sont utiles. »
Quelle est la position de la FNAUT sur la gratuité des transports en commun ?
Elle y est favorable pour ceux qui en ont besoin, mais pas dans la totalité et pas pour tous. Pour trois raisons. Aujourd’hui, pour redistribuer du pouvoir d’achat, il existe déjà la tarification solidaire. Il n’est donc pas nécessaire de faire de la gratuité totale. Par ailleurs, les transports publics sont confrontés à des difficultés financières très importantes. Ils doivent faire face à la modernisation digitale, la modernisation énergétique et au renforcement de l’offre notamment en Île-de-France. Et pour y répondre, ils ont besoin de moyens financiers.
Et la troisième raison ?
Si on veut faire du report modal, celui-ci s’opère grâce à la qualité de l’offre. En gros, on est prêt à abandonner sa voiture particulière si l’offre répond à ses besoins. Cela suppose donc un maillage intense du bassin d’emploi. Les gens préféreront toujours passer vingt-cinq minutes en voiture plutôt que trois quarts d’heure en transport en commun. Ce n’est pas l’élasticité sur le prix qui est déterminant mais c’est la qualité du service offert aux usagers.
« Aujourd’hui, pour redistribuer du pouvoir d’achat, il existe déjà la tarification solidaire. Il n’est donc pas nécessaire de faire de la gratuité totale. » Bruno Gazeau
Les représentants du transport public considèrent que le modèle économique de la gratuité n’est pas viable. Pourtant, des métropoles assument ce choix budgétaire. N’y a-t-il pas contradiction ?
Le modèle économique du transport public est historiquement assis sur un trépied : la contribution des usagers, celle des citoyens et puis celle des entreprises. La dernière a permis, ces trente dernières années, de développer considérablement l’offre dans les métropoles notamment. Se priver des recettes des voyageurs, c’est reposer la question du financement. La gratuité encourage finalement les entreprises à dire qu’il n’y a pas de raison qu’elles soient seules à payer.
Mais on peut changer les règles, non ?
Dans les grandes villes et les métropoles en particulier, il y a des ménages qui ont des revenus aisés. Instaurer la gratuité, je le redis, c’est se priver de leur contribution en tant que voyageurs. C’est dommage car le transport public a besoin de se développer. Et toutes les sources de financement sont utiles.
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