La gratuité des transports fait des émules. Alors qu’une trentaine de villes s’y essaient déjà, c’est au tour notamment de deux métropoles de tenter l’expérience : à Rouen et Montpellier, les transports en commun deviennent gratuits le week-end. Mais la mesure ne fait pas l’unanimité. Certains s’inquiètent de son coût et du risque de saturation des réseaux.
Par Yoanna Sallese
Dunkerque, Niort, Besançon, Aubagne, Compiègne, Châteauroux… en France, une trentaine de villes proposent déjà leurs transports en commun gratuits. Depuis la rentrée de septembre, c’est au tour de deux métropoles de rentrer dans la danse : promesses de campagne des élections municipales, à Montpellier comme à Rouen, les deux nouveaux élus n’ont pas traîné pour tester ce dispositif et ce, malgré la crise sanitaire qui engendre déjà une baisse des recettes par une moindre fréquentation et une diminution de la contribution des entreprises (versement-mobilité).
Re-dynamiser les commerces et améliorer la qualité de l’air
Maire (PS) de Rouen et président de sa métropole (72 communes), Nicolas Mayer-Rossignol a choisi de démarrer l’expérience début septembre avec une gratuité des transports pour tous les usagers, mais uniquement le samedi, jour où le trafic routier est le plus important. Avec un triple objectif : écolo- gique, sanitaire (avec la réduction de la pollution de l’air par la baisse de la circulation automobile) et économique. « Avec la crise de la Covid-19, nos commerçants connaissent de grandes difficultés, explique le maire. La gratuité peut pallier le manque d’attractivité. » Des propos appuyés par une étude du CEREMA datant de juin 2020, selon laquelle les commerces de proximité sont essentiellement fréquentés par les piétons, les usagers des transports collectifs et les cyclistes. Les automobilistes ne représenteraient que 10 % des clients. « Instaurer les transports gratuits le samedi est donc un moyen de rendre Rouen attractif et de résoudre la problématique de saturation automobile à la fois », ajoute l’élu.
Il reste toutefois convaincu qu’on « ne peut pas instaurer la gratuité des transports sans revoir toute l’offre globale. En plus de ce dispositif, d’ici janvier 2021, les tarifs des abonnements seront adaptés aux revenus des familles qui ont peu de moyens pour les autres jours de la semaine. C’est aussi une façon de mener une politique inclusive. Nous devons également penser à renforcer notre réseau et à adapter notre matériel pour qu’il soit plus écologique. » À ce titre, la métropole réfléchit à rajeunir sa flotte de bus, en se penchant sur des systèmes hybrides ou électriques. Nicolas Mayer-Rossignol l’espère : « Si tout se déroule bien pendant cette première année, nous pourrons mettre en place une gratuité tout le week-end. »
A Montpellier, des transports gratuits pour les métropolitains
Même son de cloche à près de 900 kilomètres de là. À Montpellier, la nouvelle majorité emmenée par Michaël Delafosse (PS) propose la gratuité le samedi et le dimanche. « Il est urgent d’agir en faveur de l’environnement, mais pas seulement, affirme Julie Frêche, vice-présidente en charge des transports. C’est aussi une question sociale pour les familles en difficulté qui sont nombreuses sur notre territoire et bien sûr pour redonner de l’attractivité aux commerces de l’Écusson, le centre-ville montpelliérain. » La mesure sera limitée aux seuls habitants de la métropole qui y auront droit, selon l’élue, « puisqu’ils s’acquittent des impôts locaux ». À Montpellier Méditerranée Métropole (31 communes), l’expérimentation s’étalera en trois phases : une gratuité le week-end sur plusieurs mois, voire une année ; puis un élargissement à tous les jours de la semaine, mais seulement pour les moins de 26 ans et les plus de 65 ans ; enfin, la troisième phase du projet, mise en place mi-mandat, instaurerait une gratuité généralisée à tous les jours de la semaine. Une stratégie de long terme qui vise notamment à diminuer les quelque 280 000 déplacements automobiles journaliers sur le territoire. « Nous sommes l’une des métropoles les plus polluées de France. Nous souhaitons que d’ici deux ans les habitants aient troqué leur voiture pour le tram ou le bus », confirme Julie Frêche. Cette stratégie progressive devrait permettre à la métropole d’absorber les coûts d’un dispositif considéré comme trop onéreux pour certains.
Une équation financière impossible ?
En effet, parmi les arguments des détracteurs revient le problème du financement. En France, les transports publics sont financés d’une part par les entreprises présentes sur le territoire desservi, via le versement-mobilité, et d’autre part par la vente de titres. Avec la gratuité, cette deuxième source se tarit. À Rouen et Montpellier, le manque à gagner induit par le dispositif s’élèvera respectivement cette année à 2 et 5,6 millions d’euros. « Pas de quoi affoler les finances des collectivités », nous assurent à l’unisson Nicolas Mayer-Rossignol et Julie Frêche. Et pourtant, certains s’inquiètent, comme l’ancien élu et aujourd’hui conseiller métropolitain Max Levita : « La métropole peut absorber 5,6 millions d’euros sur une année, mais ce coût ne vaut que pour la gratuité les week-ends. Si nous décidons de la généraliser, il passerait à 72 millions d’euros. Cela serait intenable pour nos finances », désespère-t-il. De quoi indigner Julie Frêche : « Il faut faire évoluer les mentalités sur le financement et l’économie des transports. Nous n’allons pas faire n’importe quoi. La gratuité ne vaut que pour les métropolitains, les autres usagers devront payer leurs transports. »
« La gratuité s’étudie territoire par territoire »
Maxime Huré, président de l’Observatoire des Villes des transports gratuits, assure que le dispositif influe peu sur le budget des collectivités : « Il faut se rendre compte que les collectivités assument depuis déjà très longtemps ce coût. La participation des usagers est presque symbolique dans certaines villes tant le prix est faible. Il y a donc une logique à ne pas les faire payer du tout. » En moyenne, l’Observatoire estime que les usagers financent les transports collectifs à hauteur de 17 %. Si ce chiffre peut varier selon les observateurs – l’Union des Transports publics l’évalue plutôt à 30 % – il est en effet relativement mince comparé à la part des recettes générées par le versement-mobilité (VM) qui couvrent près de 70 % des dépenses. Or, avec la crise économique, les recettes du VM ont commencé à diminuer fortement. Si la situation devait perdurer, le coût de la gratuité pourrait être alors plus important que prévu. Par ailleurs, Maxime Huré reconnaît que la gratuité est complexe à mettre en œuvre dans de grandes villes comme Lyon et Paris où le débat continue : « Dans de très grandes métropoles le risque est de créer une embolie du réseau. Instaurer les transports gratuits ne se fait pas comme ça, cela doit s’étudier territoire par territoire. » Le Grand Nancy se lancera au mois de décembre, tandis qu’à Nantes, le dispositif est envisagé pour septembre 2021. Ce sera alors l’heure du premier bilan pour Rouen et Montpellier.
A Dunkerque, un bilan positifAprès deux années de mise en place des transports en commun gratuits, l’heure est au bilan pour la communauté urbaine de Dunkerque. Lancée en septembre 2018, la mesure a nécessité plusieurs aménagements, soit deux années de travaux pour optimiser l’espace public, faciliter le trafic du réseau et augmenter la flotte de véhicules. Cette transformation globale a coûté 65 millions d’euros à la collectivité, à mettre en regard d’une perte de recettes de 4,5 millions d’euros par an. À noter que des financements nationaux, départementaux et européens ont largement contribué aux paiements des infrastructures et aux achats de véhicules. Côté fréquentation, la ville du nord enregistre une hausse de 85 % de la fréquentation des transports entre 2018 et 2019 et 50 % des nouveaux usagers affirment avoir abandonné leur voiture. |