Profitant de l’ouverture à la concurrence du réseau ferroviaire français de voyageurs en 2021, la société coopérative d’intérêt collectif Railcoop entend exploiter certaines lignes abandonnées par la SNCF. Une première desserte Lyon-Bordeaux pourrait être mise en service dès 2022.
Par Yoanna Sallese
Tout a commencé à Figeac, petite ville du département du Lot. Nous sommes en 2019 et une association voit le jour autour d’une idée : relancer la machine ferroviaire sur les axes abandonnés par la SNCF. « On s’est retrouvés avec d’anciens cheminots, des actifs qui travaillent dans l’économie sociale et solidaire et dans le développement durable », se souvient Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de Railcoop. « Il y avait quelque chose à faire : redonner du sens à la mobilité ferroviaire, notamment entre les territoires ruraux, en proposant une offre de transport innovante et adaptée. » Car à Figeac, comme dans beaucoup d’autres communes rurales, les trains ne circulent plus ou presque.
« Certains territoires perdent leur attractivité. Il est nécessaire de faire revenir les trains dans les campagnes et les petites villes. »
En France, 30 % des gares existantes ne sont plus desservies par la SNCF, qui privilégie les grandes villes et les axes Paris-Province, plus rentables. Mais pour Railcoop, ces lignes considérées comme peu lucratives constituent un enjeu important pour les territoires : « Certains perdent leur attractivité. Il est nécessaire de faire revenir les trains dans les campagnes et les petites villes. » L’association souhaite donc repenser un nouveau modèle, tout en permettant aux citoyens et aux acteurs du territoire de s’approprier les projets. « Avec l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, un nouveau projet devient possible », explique Alexandra Debaisieux. Après avoir réalisé une étude de faisabilité en avril 2019, les sociétaires rencontrent SNCF Réseau et les ministères de la Transition écologique et du Transport. « Tout le monde nous a dit : ‘Allez-y !’ » L’association devient alors une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), une première dans ce secteur d’activité. L’aventure est lancée.
Pas de subventions publiques
Le premier projet de la SCIC est de relier Lyon à Bordeaux, une ligne directe qui a été abandonnée en 2014. « Nous avons déposé au mois de juin, auprès de l’Autorité de régulation des transports, notre projet de ligne pour une mise en service en 2022 », indique la directrice déléguée. Le trajet se ferait en 6 h 47, en passant par de petites ou moyennes villes comme Roanne, Montluçon, Limoges, Périgueux et Libourne. Financièrement, la seule source de recettes sera la billetterie. La coopérative l’assure, elle ne souhaite pas bénéficier de subventions publiques, puisqu’elle ne se positionnera pas sur des projets concurrentiels. Sur les rails, Railcoop fera circuler un modèle de train TER Régiolis d’Alstom, d’un coût de 11 millions d’euros par rame. À raison de six trains prévus sur la ligne, cela reviendrait à 66 millions d’euros, une somme inaccessible pour la société : « Ce n’est pas un problème, rassure la directrice. Nous allons recourir à des loueurs, des sociétés qui achèteront les rames pour nous. C’est un procédé qui se fait beaucoup en Allemagne. »
Prendre des parts de marché à la voiture
Mais pour Railcoop, l’enjeu va au-delà du seul maillage territorial et s’inscrit aussi dans une dimension environnementale. Remettre au goût du jour la ligne ferroviaire directe Lyon-Bordeaux ferait concurrence à l’autoroute, dont une grande partie est gratuite sur cet axe. « Cette autoroute apporte une réponse car le service de train est de mauvaise qualité, explique Bruno Gazeau, président de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT). Il faut un maillage et une qualité de service qui soient au rendez-vous en matières de correspondances et de rabattements. Si Railcoop est en mesure de le faire, les automobilistes pourraient revenir dans les trains. » C’est tout ce qu’espère la société coopérative puisque le train est plus intéressant que la voiture sur le plan environnemental. Autre argument pour inviter le voyageur à préférer le train, « notre offre se calque sur les tarifs du covoiturage. Le premier prix est fixé à 38 euros, ajoute la directrice. L’idée est d’arriver en gare sans se poser de questions, en simplifiant le voyage avec des billets qui s’achèteront directement dans le train par exemple ».
Un service complémentaire à la SNCF
L’objectif en revanche n’est pas de concurrencer la SNCF : « Railcoop vient renforcer le service public et l’offre de la compagnie nationale. Nous voulons être complémentaires en proposant des trajets là où il n’y en a plus », insiste Alexandra Debaisieux. « Nous souhaitons faire le jeu du partenariat et non leur piquer des parts de marché. Si on arrive à être complémentaire, on pourra bénéficier de correspondances avec nos trains. Nous allons nous ajuster sur leurs horaires pour optimiser les trajets et les liaisons. » Pour s’imposer, la coopérative compte se développer également sur d’autres marchés pour l’heure peu exploités : les trajets de voyageurs de nuit (sur un axe Strasbourg-Nice peut-être), ainsi que le transport de marchandises. La société coopérative devrait démarrer en 2021 l’aménagement des gares et le recrutement de plus de 70 personnes (conducteurs de train, agents de gare). En parallèle, les sociétaires réfléchissent déjà à d’autres trajets province-province : pour l’instant, les lignes Metz-Lyon et Rennes-Toulouse ont été évoquées.
Transport de fret en 2021En parallèle du projet de ligne Bordeaux-Lyon prévu pour 2022, Railcoop souhaite développer un service fret ferroviaire pour 2021. « Si tout se passe bien, les premiers trains de marchandises devraient circuler sur le tronçon Toulouse-Figeac », précise Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée. L’objectif de la coopérative, en attente de sa licence de fret, est de constituer des hubs régionaux pour améliorer la distribution de fret dans les territoires ruraux, en partant des besoins exprimés localement. |