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Démocratie participative : une escroquerie intellectuelle ?

par Sébastien Fournier
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Avant l’été, la Convention citoyenne pour le climat a remis 149 propositions au président de la République pour faire baisser de 40 % les émissions gaz à effet de serre. Le gouvernement s’était alors engagé à les transmettre au Parlement pour les faire voter quasi intégralement. Pourtant, aujourd’hui, il remet en question les plus emblématiques. La raison invoquée : la crise de la Covid-19, responsable idéale selon certains. Et si c’était le principe même de la participation qui posait problème ?

Par Sébastien Fournier

Il y a tout juste un an, la Convention citoyenne pour le climat était installée en grande pompe avec l’ambition de changer la démocratie et sauver la planète. Présenté par le président de la République comme une réponse à l’une des revendications des Gilets jaunes, cet exercice citoyen a donné la parole à cent cinquante personnes, toutes tirées au sort. Objectif, prendre des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique. Force est de constater que cela a plutôt bien fonctionné. En juin dernier, après plus de 8 mois de travail, les panélistes ont rendu 149 propositions portant sur les déplacements, l’habitat, l’agriculture ou encore la consommation. Devant eux, Emmanuel Macron s’est engagé à ce que toutes les mesures soient transmises « sans filtre » au Parlement pour y être discutées et votées pour la plupart. Or, depuis la rentrée, les inquiétudes grandissent sur un possible détricotage en raison de la crise de la Covid-19.

L’exécutif envisage de reporter certaines mesures – les plus emblématiques – comme l’éco-contribution, la taxation sur le transport aérien ou la 5G. Dans une tribune publiée dans Le Monde début octobre, le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphélin, président du groupe Écologie, démocratie, solidarité, et Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble, ont dénoncé le renoncement du gouvernement, évoquant, sans l’écrire, une opération d’enfumage. Inquiets, les panélistes ont écrit au président de la République afin qu’il « réaffirme » son « engagement formel ».

« Le but était de récupérer l’électorat écologiste. Or, depuis le résultat des élections municipales, ce n’est plus la priorité du pouvoir », selon le chercheur Christophe Bouillaud.

La Covid-19 a-t-elle bon dos ?

Sans aucun doute, l’économie est malmenée par la crise sanitaire, mais cela n’explique pas tout. Les raisons d’une reculade sont à chercher ailleurs. Christophe Bouillaud, professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble considère cette expérience démocratique comme une « escroquerie intellectuelle ». Selon lui, dans la vie politique des pays démocratiques, seules comptent finalement les institutions. « La Convention citoyenne peut dire ce qu’elle veut, on va s’asseoir sur ses propositions car c’est le Parlement qui fait les lois », lâche-t-il. L’universitaire voit dans l’opération une manœuvre politique : « Le but était de récupérer l’électorat écologiste. Or, depuis le résultat des élections municipales, ce n’est plus la priorité du pouvoir ». En clair, le gouvernement roulerait les citoyens dans la farine. Patrick Norynberg, enseignant en politiques publiques, spécialiste de la participation citoyenne, a un avis plus nuancé. « Le processus est exemplaire car c’est un bon moyen de travailler des sujets en associant les habitants », explique-t-il. Le problème est de savoir ce que l’on fait des propositions. « Il n’y a rien qui oblige constitutionnellement, alors la politique reprend ses droits », déplore-t-il. Dans cet esprit, le sénateur des Landes (PS) Éric Kerrouche, qui a longtemps œuvré en faveur de la démocratie participative au cours de ses mandats locaux, vise le président de la République : « Emmanuel Macron veut bien faire de la participation mais seulement si on est d’accord avec lui. » Qu’importerait en somme ce que pensent les citoyens ?

La puissance des lobbies

Tous regrettent que le pouvoir plie devant les lobbies, lesquels s’organisent pour empêcher l’application de certaines mesures, comme les acteurs de l’aérien qui font pression sur le gouvernement pour éviter « la ruine de la connectictivité de la France ». « Il faut savoir les affronter », s’indigne Patrick Norynberg. L’exécutif semble pourtant leur donner raison. Juste après avoir proposé le moratoire sur le déploiement de la 5G, les membres de la Convention ont été surpris de voir le gouvernement lancer l’attribution des fréquences. « Le pouvoir préfère sacrifier la crédibilité de sa parole », regrette Christophe Bouillaud.

Sur les grands sujets d’intérêt national, la démocratie participative trouve ses limites, selon le chercheur. « À l’échelle locale, ça peut marcher car les projets concernent au plus près la vie des habitants. Mais à l’échelle nationale, on ne pourra jamais mettre d’accord les betteraviers avec les écologistes », affirme-t-il, en évoquant le revirement du gouvernement sur les néonicotinoïdes. Un argument que réfute Patrick Norynberg. Il milite depuis longtemps pour que les grands sujets nationaux soient discutés dans des instances locales comme des comités de quartier. « Rien n’empêchait d’organiser un débat local sur le climat », conteste-t-il.

Combien de mesures sur les 149 seront finalement adoptées ? Selon certaines sources, le Comité économique, social et environnemental, qui a organisé les débats, réécrirait un texte. « Les panélistes commencent à comprendre qu’ils ont été manipulés », soupire Christophe Bouillaud. De quoi augmenter la défiance des citoyens envers leurs représentants. Un comble puisque la Convention citoyenne a précisément été organisée pour lever les oppositions. « Et dans tout ça, l’environnement devient une variable d’ajustement !», se lamente Éric Kerrouche. Bref, à moins de changer les règles du jeu, l’idéal démocratique pourrait bien avoir encore du plomb dans l’aile.

 

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