Les associations de lutte contre la précarité tirent la sonnette d’alarme. Selon elles, malgré les récentes annonces, les personnes en situation de pauvreté, principales victimes de la crise sanitaire, sont ignorées du gouvernement. Christophe Devys, président du collectif Alerte, demande à Emmanuel Macron de s’engager durablement en leur faveur, en particulier auprès des jeunes.
Propos recueillis par Sébastien Fournier
La France compte 9,3 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre augmente chaque année. La France ne s’intéresse-t-elle pas suffisamment à ses pauvres ?
On ne peut pas dire que la France ne s’intéresse pas à ses pauvres. Il y a toujours eu une prise en compte de la pauvreté, en particulier depuis la Libération. Il y a eu d’ailleurs dans l’Histoire des actes forts pris par les gouvernements, comme suite à l’action de l’Abbé Pierre, ou après le rapport Wresinski de 1987, qui a donné naissance au Revenu minimum d’insertion devenu aujourd’hui le Revenu de solidarité active (RSA). Mais les gouvernements ne font pas le nécessaire pour éradiquer la pauvreté, notamment la grande pauvreté.
La politique de relance du pouvoir d’achat menée par le gouvernement a profité à tous les Français, notamment aux plus riches, mais aucunement aux plus pauvres.
Justement, vous dites que les pauvres sont les oubliés du quinquennat actuel. La critique est sévère.
Mais la réalité est encore plus sévère ! La politique de relance du pouvoir d’achat menée par le gouvernement a profité à tous les Français, notamment aux plus riches, mais aucunement aux plus pauvres. Les études qui ont été faites ces dernières années par l’Observatoire français des conjonc- tures économiques ou par l’Institut des politiques publiques s’accordent à dire que les 10 % les plus pauvres ont vu leurs revenus stagner, voire diminuer, du fait de la baisse des allocations logement. C’est très marquant.
À cela, vous ajoutez la Covid-19 qui a posé des problèmes nouveaux.
Toutes les associations, des Restos du cœur au Secours populaire, voient arriver aujourd’hui des nouveaux publics
Vous parlez d’une troisième vague sociale. Quels sont les publics qui sont touchés par la crise ? Y a-t-il des nouveaux pauvres ?
Il y a un double phénomène. Le premier, on l’a vu dès le début de la crise, c’est celui de l’aggravation des pauvretés. Des personnes qui étaient déjà pauvres se sont retrouvées dans une situation dégradée à cause de la perte d’un petit boulot ou d’un travail d’appoint, de difficultés à acheter de la nourriture, de la fermeture des cantines pour les enfants… Ça s’est traduit par une aggravation immédiate qui perdure par ailleurs. Mais il y a un autre phénomène devant nous, l’augmentation des situations de pauvreté. Toutes les associations, des Restos du cœur au Secours populaire, voient arriver aujourd’hui des nouveaux publics. À commencer par les jeunes, notamment les jeunes étudiants qu’on ne voyait pas auparavant. Ils ont re- cours à l’aide alimentaire parce qu’ils n’arrivent plus à vivre. Les demandes explosent. Aujourd’hui, plus de 8 millions de personnes ne vivent que grâce à l’aide alimentaire. C’est impressionnant. Est-ce que notre pays peut accepter ça ? La réponse devrait être non.
Quels sont les autres publics concernés ?
Nous voyons aussi arriver des personnes âgées, des indépendants, des commerçants, des artisans, beaucoup d’auto-entrepreneurs qui se retrouvent démunis. Certains vont être obligés de demander le RSA, ce qu’ils n’auraient pas imaginé faire il y a un an.
Les demandes sont-elles d’ailleurs en augmentation ?
On constate en effet une augmentation significative. Durant la crise de 2008, l’accroissement du nombre d’allocataires s’est fait avec un décalage. Là, ça a été immédiat. Et nous savons que cela va continuer dans les mois à venir.
La vague sera-t-elle forte selon vous ?
Oui, elle le sera. L’État soutient aujourd’hui l’économie avec notamment le chômage partiel et c’est une très bonne chose. Mais cela ne va pas durer éternellement. Lorsque cela va s’arrêter, les petites entreprises, qui représentent un volume d’emploi non négligeable, vont en souffrir avec les conséquences que l’on connaît.
Il est indispensable d’augmenter de manière sensible le montant du RSA.
Qu’attendez-vous du gouvernement ? Les récentes annonces, dans le cadre du couvre-feu, sont-elles suffisantes ?
Le président de la République a annoncé une aide ponctuelle, comparable à celle qu’il avait accordée à la sortie du confinement. Cette aide est évidemment bienvenue pour les familles et les personnes les plus précaires. Les associations y sont donc favorables, bien entendu. Mais nous pensons que, dès lors que la crise va durer et elle va durer longtemps, il est indispensable d’augmenter de manière sensible le montant du RSA. Ce n’est pas seulement une question d’insertion, d’emploi. Il faut permettre à ces personnes de vivre dignement durant toute cette longue période.
Nous craignons malheureusement que les réponses ne soient que conjoncturelles. Or, elles doivent être structurelles.
Vous souhaitez un RSA pour les jeunes, cela ne semble pas l’avis du gouvernement.
Nous sommes d’accord avec le gouvernement lorsqu’il dit que la priorité ce sont les jeunes. Pour autant, il ne faut plus aujourd’hui raisonner par dispositifs. Il faut créer un droit à l’accompagnement pour les moins de vingt-cinq ans, assorti de ressources pour permettre de vivre, de rebondir, de se former… Actuellement des jeunes de vingt-deux ans perdent brutalement le bénéfice de dispositifs car ils arrivent à leur terme. Ils doivent attendre trois ans pour demander le RSA… C’est anormal. Nous craignons malheureusement que les réponses ne soient que conjoncturelles. Or, elles doivent être structurelles. Au cours du confinement nous avons bien travaillé avec le gouvernement ainsi qu’avec tous les acteurs. Cela laissait penser que nous partagions la même réflexion sur la situation. Or, on voit bien aujourd’hui que ce n’est pas sa priorité. La crise va se durcir. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités.
Où en êtes-vous des discussions sur le Revenu universel d’activité ?
On ne sait pas trop si le gouvernement souhaite continuer à travailler sur le sujet. C’est une réforme très lourde qui demande beaucoup de préparation. Les travaux se sont arrêtés au mois de février dernier. À supposer que le gouvernement les relance, l’application serait pour 2023 au mieux. Nous sommes dans une position d’attente.
Les collectivités locales ont-elles un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre la pauvreté ?
Les collectivités locales ont montré un engagement extrêmement fort pendant la période du confinement. Elles le montrent encore. Les CCAS sont fortement mobilisés. Nous leur demandons de poursuivre dans cette voie en lien avec les associations.