Dans une tribune, Victor Delage, le fondateur de l’Institut Terram, groupe de réflexion collégial et multidisciplinaire dédié à l’étude des territoires, propose de réduire le mille-feuilles territorial pour gagner en lisibilité et en efficacité.
L’histoire des idées et de l’organisation politique et économique en France est jalonnée par une tension persistante dans les rapports entre l’État et les pouvoirs locaux. Depuis plusieurs décennies, la France s’est engagée dans une décentralisation progressive, sans jamais renoncer à ses traditions centralisatrices. Le résultat ? Une gouvernance territoriale complexe où s’entrelacent une multitude d’échelons : communes, intercommunalités, métropoles, départements, régions, etc. Avec près de 35 000 communes et plus de 1 200 intercommunalités, l’organisation territoriale française est la plus morcelée d’Europe.
Ce maillage, historiquement ancré, ne correspond plus aux dynamiques socio-économiques actuelles des territoires. Il tend à éloigner les lieux de décision des réalités locales et à renforcer l’inefficacité de l’action publique. L’État local a vu ses moyens et son rôle s’éroder dans sa capacité à offrir un appui technique aux collectivités territoriales. Les intercommunalités, créées pour mutualiser les moyens et répondre aux défis contemporains, souffrent d’un déficit de visibilité et de légitimité démocratique. En parallèle, les communes, pilier de la proximité avec les citoyens, peinent à exercer leurs missions face à la complexité des dispositifs institutionnels. À tel point qu’une crise des vocations émerge parmi les élus locaux, qui se sentent de plus en plus isolés et démunis face à des attentes croissantes mais des moyens d’action réduits.
Une réorganisation territoriale
Dans un contexte de crise majeure des finances publiques, les débats autour de la gouvernance sont révélateurs d’une profonde contradiction, mêlant une critique récurrente du « trop d’État » à des demandes pressantes de soutien financier adressées à ce même État par ceux-là mêmes qui dénoncent son omniprésence. Or, cette organisation complexe, illisible pour le citoyen et qui multiplie les lieux de pouvoir, génère d’importants surcoûts, financés par une forte augmentation des impôts locaux. Les difficultés actuelles d’étalement urbain, de mobilité, de logement et d’affaiblissement du vivre ensemble par la spécialisation sociale des territoires trouvent leur origine dans cette gestion communale à l’échelle d’une maille géographique trop petite, inadaptée aux enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui.
Pour sortir de cette impasse, il faut trancher : dans l’étude « Réforme territoriale : pour une démocratie locale à l’échelle des bassins de vie » de Jean Coldefy et Jacques Lévy pour l’Institut Terram, nous proposons une refonte radicale de l’organisation territoriale. Nous suggérons de réduire le nombre de communes à environ 900, en les alignant sur les 700 bassins de vie identifiés par l’INSEE, complétées par 200 autres communautés de communes non polarisées économiquement sur les villes. Cette approche vise à faire coïncider les espaces de vie des citoyens avec les périmètres décisionnels, renforçant ainsi la cohérence des politiques locales. Une telle réorganisation permettrait de simplifier le millefeuille territorial, rendant les structures administratives plus lisibles et efficaces. Les communes actuelles continueraient d’exercer leurs compétences de proximité, garantissant ainsi un lien direct avec les habitants. Cette réorganisation territoriale permettrait de mieux adapter les politiques publiques aux réalités locales, en particulier dans des domaines tels que les transports, l’aménagement urbain et le développement économique.
Pour concrétiser cette vision, il est essentiel d’engager une concertation nationale impliquant l’ensemble des acteurs concernés. Des incitations financières pourraient encourager les fusions de communes. Par ailleurs, la mise en place d’un Haut Conseil des Territoires, indépendant, fournirait une évaluation régulière de l’état et des dynamiques des territoires, guidant ainsi les décisions politiques. Cette démarche renforcerait la démocratie locale, améliorerait l’efficacité des politiques publiques et favoriserait une meilleure cohésion sociale.
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