Avec la montée en puissance du e-commerce, la logistique occupe une place de plus en plus importante dans le paysage urbain. Pour éviter les effets pervers, les collectivités doivent maintenant s’emparer du sujet à l’échelle des aires urbaines. C’est par la mutualisation et l’harmonisation des mesures que passeront les solutions.
Par Magali Tran
Les chiffres du e-commerce donnent le tournis : 1,247 milliard de transactions ont été effectuées en ligne en France en 2017, donnant lieu à la livraison de 505 millions de colis (+10,5% en un an), selon la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance), pour un chiffre d’affaires de 81,7 milliards d’euros. Ce seraient ainsi, en moyenne, quelque 1,383 million de colis en partance chaque jour en France. Sans compter qu’un paquet peut ensuite effectuer plusieurs trajets s’il n’est pas réceptionné du premier coup ou s’il est renvoyé par le client. Si la vente à distance ne fait pas toute la logistique urbaine, loin s’en faut, elle en est un maillon essentiel : c’est la partie émergée de l’iceberg, la plus visible pour les citoyens, et elle modifie profondément la donne, puisqu’elle démultiplie les volumes et décuple les lieux de réception. Les acteurs de la logistique doivent ainsi articuler deux types de demandes : la livraison aux particuliers et l’approvisionnement plus traditionnel des commerces ou restaurants.
« Pour les collectivités, l’enjeu est global », souligne le député Damien Pichereau, « et notamment environnemental. » À l’heure où la transition écologique n’est plus une option, la livraison dite « du dernier kilomètre » pose question. « Tout en ayant refusé le poids lourd en ville – outil pourtant nécessaire à la massification des livraisons mais jugé très encombrant et polluant –, les collectivités territoriales se sont finalement éloignées des enjeux de la logistique urbaine », estime ainsi le député de la Sarthe. Dans son rapport sur les véhicules utilitaires légers, il rappelle que ces petits camions largement utilisés pour les livraisons en ville polluent presque 6 fois plus qu’un poids lourd, rapporté à la tonne transportée. Et « en s’arrêtant fréquemment, où ils peuvent et au plus près du lieu de livraison, ils participent à la congestion », poursuit l’élu. Ils impactent donc doublement la pollution atmosphérique. Venant étayer ces propos, une étude de l’Aslog (Association française pour la logistique) rapporte que, pour les collectivités, le stationnement illicite est considéré comme la première nuisance de la livraison en ville (78 % des réponses), devant la pollution de l’air (56 %) et les embouteillages (48 %).
« Harmoniser les règles de stationnement à l’échelle des aires urbaines »
LE TRANSPORT N’EST PAS GRATUIT
Les esprits chagrins résumeraient ainsi la situation : plus de véhicules et plus de pollution. Ce serait oublier que la logistique du dernier kilomètre participe aussi à la création de valeur et à l’attractivité des villes. « C’est une fonction indispensable », souligne Jérôme Libeskind, consultant en logistique urbaine et e-commerce. « En 2050, on aura encore besoin de se nourrir, de livrer les hôpitaux et les pharmacies en médicaments, de construire. Il y aura toujours des camions. Sans logistique, il n’y a pas de ville.» C’est aussi en ville que se concentrent la majorité des clients à livrer, dans des délais toujours plus courts. Pour Damien Pichereau, il faudrait taxer de 1 euro les livraisons effectuées en moins de 24 heures, qui empêchent d’optimiser le chargement des véhicules. « Les recettes issues de cette taxe pourraient être utilisées pour renforcer les espaces logistiques urbains », avance-t-il. Attention toutefois aux éventuels effets pervers de nouvelles taxes sur les populations les plus fragiles, celles qui ne disposent pas d’alternative à la livraison – personnes âgées, femmes enceintes, ruraux… –, met en garde Jérôme Libeskind. Damien Pichereau espère pouvoir infléchir les comportements, en responsabilisant le client et en « luttant contre l’idée que le transport peut être gratuit ». L’Aslog va dans le même sens, en proposant d’ajouter un « indicateur environnemental » aux modes de livraison proposés aux acheteurs, qui pourraient alors inclure ce facteur dans leur acte d’achat.
1,247 MD€ DE TRANSACTIONS ONT ÉTÉ EFFECTUÉES EN LIGNE EN FRANCE EN 2017, DONNANT LIEU À LA LIVRAISON DE 505 MILLIONS DE COLIS (+ 10,5 % EN UN AN)
L’ÉCHELLE DE L’AIRE URBAINE S’IMPOSE
C’est donc une réflexion globale d’aménagement du territoire que les collectivités doivent mener. « Nous avons passé une étape de prise de conscience », estime Jérôme Libeskind, « les villes doivent main tenant s’emparer pleinement du sujet. » Damien Pichereau souligne, lui, que « la logistique du dernier kilomètre est encore mal prise en compte dans les politiques nationales ou locales ». Pour le député, l’échelle de l’aire urbaine s’impose pour « repenser les mobilités en réponse au développement du e-commerce mais aussi du fonctionnement en flux tendu de nombreux sites industriels ». Il plaide pour une harmonisation des règles de livraison. En effet, chaque commune prononce ses propres arrêtés de circulation et de limitation de tonnage, ce qui peut virer au casse-tête pour optimiser les tournées. L’Aslog ne dit pas le contraire et préconise en outre la centralisation de ce type d’information via une plateforme digitale, pour donner plus de visibilité aux professionnels de la logistique. Sans oublier les modifications de sens de circulation des rues, les nouveaux noms ou encore les nouvelles restrictions, qui représentent « plusieurs milliers de modifications par mois », selon l’Aslog. Tout ceci pourrait être pris en compte dans un Schéma d’aménagement logistique interurbain, pour assurer une vision globale, lui-même intégré dans les PDU (Plans de déplacements urbains). « Cela figurera dans la loi d’orientation des mobilités », assure le député.
LA CAROTTE ET LE BÂTON
Plus concrètement, les espaces logistiques urbains doivent encore trouver leur modèle économique, avec le soutien d’un portage politique fort. Sur le mode des poupées russes, les grands entrepôts logistiques de périphérie doivent faire des petits : espaces de livraison urbains, déversant eux-mêmes leur chargement dans des véhicules utilitaires légers propres, des vélos cargos, ou même à pied. Et devant la rareté et/ou la cherté du foncier en milieu urbain dense, Damien Pichereau imagine même de remplacer les espaces physiques immobiliers par des camions d’un nouveau genre, faisant eux-mêmes office d’entrepôts roulants sur lesquels viendraient se plugger les véhicules de livraison propres. Jérôme Libeskind met toutefois en garde : « La réponse ne passera pas uniquement par le biais des véhicules. Plus de véhicules, fussent-ils propres, peut signifier davantage de congestion. »
LES COLLECTIVITÉS S’ORGANISENT POUR EXPÉRIMENTER
Le député de la Sarthe invite par ailleurs à l’expérimentation d’un nouveau type d’aire de livraison, connectée et réservable, afin de limiter les « véhicules ventouses ». C’est aussi une proposition de l’Afilog qui demande, par ailleurs, l’instauration d’un quota de 20 % d’espaces logistiques dans les opérations de plus de 50 000 mètres carrés. Par ailleurs, « nous avons créé, avec plusieurs députés, un groupe de travail sur la fiscalité des espaces fonciers, qu’il faut revoir et adapter au secteur logistique qui ne dégage pas beaucoup de marges », souligne encore le député pour qui « on y arrivera par la carotte et le bâton à la fois». En attendant, les collectivités s’organisent pour expérimenter de nouveaux créneaux de livraison, pour construire des centres de distribution urbaine ou des lieux mutualisés. De Nantes à Lille, nombreuses aussi sont celles qui lancent des appels à projets pour faire émerger de nouveaux modèles économiques, maîtriser les effets pervers des livraisons en ville et éviter que le dernier kilomètre ne devienne une catastrophe environnementale. Pour Damien Pichereau, une grande partie de la solution se trouvera dans les innovations : « Même à toute petite échelle, elles peuvent être intéressantes. » Pour Jérôme Libeskind, le mot clé est celui de la mutualisation – des flux, des moyens, des espaces.
LA LOGISTIQUE URBAINE DURABLE EN QUATRE PROJETS INNOVANTS
Cet automne, l’Ademe a dévoilé les quatre projets retenus dans le cadre de son appel à projets de recherche appliquée sur la logistique urbaine. Il vise à apporter un soutien à des travaux de recherche et à leur expérimentation.
PromusBox
Dans les circuits courts alimentaires, la gestion de la chaîne du froid est primordiale. La société Promus compte développer des points de collecte d’un nouveau genre. Les PromusBox sont des chambres à température réglable, mobiles et connectées.
Logistique circuits courts
Avec le MIN (marché d’intérêt national) de Marseille, LCC entend mettre sur pied un nouveau modèle de fonctionnement (objets, informations, gouvernance, modèle économique…) pour améliorer les circuits courts alimentaires.
TrailerViewer
Afin d’optimiser les flux de livraison, la société FM Logistic développe un procédé de suivi et de gestion de la charge volumétrique d’un véhicule (remorque, camion, container) et de contrôle des mouvements entrants et sortants de palettes. Ce procédé doit permettre l’amélioration du taux de chargement des véhicules.
Sherpa
La livraison de colis par drone n’est plus de la science-fiction. La société Atechsys a développé un système pour le compte de La Poste. Pour compléter le dispositif, elle travaille à incorporer aux camions de livraison un terminal permettant de transporter un drone. Le but : livrer les sites isolés pendant la tournée du camion.
Paris mise sur la logistique multimodale
Après l’inauguration de l’hôtel logistique Chapelle International l’été dernier, la Ville de Paris pousse un deuxième pion sur le complexe échiquier de la logistique urbaine. Le projet Quai Bercy, dans le 12e arrondissement, proposera un programme mixte centré sur une offre logistique multimodale.
Par Magali Tran
« Les modes de consommation sont en pleine mutation et ont un effet physique concret sur les villes : la massification des flux a un impact fort sur l’emprise urbaine », souligne Jean-Louis Boudol, directeur des opérations de Poste Immo. À ce constat s’ajoute une injonction contradictoire : les consommateurs, qui sont aussi des citoyens, veulent vivre dans un environnement agréable, sans pollution visuelle ni sonore. Le défi consiste donc à trouver un terrain d’entente. Le projet de Quai Bercy (Paris 12e), développé conjointement par l’opérateur immobilier du groupe La Poste, Sogaris et Icade, veut s’inscrire dans ce double aspect urbain et sociétal, selon le directeur, en misant sur la multimodalité. L’hôtel logistique, qui disposera d’un accès routier au périphérique, intégrera un terminal ferroviaire et « aura également la capacité à accueillir un terminal de tram-fret », indique Juliette Berthon, responsable ingénierie urbaine et Grand Paris chez Sogaris. En plus des surfaces dédiées à la logistique (17 000 mètres carrés), un pôle de services innovants est prévu. « La mutualisation suppose d’attirer de nombreux preneurs, poursuit Juliette Berthon, pour cela, nous mettrons par exemple à leur disposition une flotte de véhicules propres pour la livraison du dernier kilomètre. » Un hôtel d’activités, en lien avec la logistique (e-commerce par exemple), complétera l’offre. « Tous preneurs confondus, nous prévoyons la livraison de 25 000 colis par jour. Cette mutualisation permettra de réduire les flux routiers, correspondant à 80 % d’émissions de gaz à effet de serre évités », estime Juliette Berthon.
ATTEINDRE UNE MASSE CRITIQUE
Pour une bonne intégration urbaine, le site doit devenir un lieu de destination, selon les porteurs du projet. Les activités logistiques seront ainsi associées à des bureaux (15 000 mètres carrés de bureaux, drainant 1 500 salariés chaque jour), un hôtel, des surfaces de coworking/coliving – un concept développé par The Babel Community pour les étudiants et jeunes actifs –, mais aussi des commerces, une salle de spectacles et un équipement sportif, qui sera exploité par l’UCPA. Au total, ce sont 50 000 mètres carrés qui seront déployés entre le périphérique et le boulevard Poniatowski, soit « la masse critique pour que ce projet fonctionne sur le plan économique », souligne Caroline Delgado, directrice de Synergies Urbaines (Icade). Cette nouvelle porte d’entrée parisienne pour les marchandises est la première pierre de la ZAC BercyCharenton qui réinvente son passé d’aire de stockage et de manœuvres des camions de marchandises.
80% : C’EST LE POURCENTAGE D’ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE ÉVITÉES PAR LA NEUTRALISATION DES LIVRAISONS À QUAI BERCY.
Quai Bercy sera le pendant, à l’Est, de l’hôtel logistique de Chapelle International, inauguré l’été dernier dans le 18e arrondissement de Paris. Le long du faisceau ferré de Paris-Nord, du périphérique et du boulevard Ney, Sogaris joue la carte de la multimodalité. L’opérateur y développe un terminal urbain ferroviaire, avec une navette effectuant deux liaisons quotidiennes vers un lieu de stockage situé dans l’Oise et des espaces de distribution en sous-sol. Ici aussi la Ville de Paris a misé sur la mixité urbaine : au-dessus des espaces logistiques se déploient des activités tertiaires (pépinière d’entreprises tournées vers la logistique, centres de formation…) et une toiture supportant de l’agriculture urbaine et des terrains de sport. En sous-sol, un data-center chauffera plusieurs bâtiments du futur écoquartier. Mixité urbaine, multimodalité, mutualisation des flux et des moyens : un tiercé gagnant ?
A Grenoble, le centre de distribution urbaine monte en puissance
Suite à un appel à manifestation d’intérêt, La Poste a lancé un Centre de distribution urbaine dans la métropole grenobloise. Cette plateforme logistique s’appuie sur des services diversifiés pour dépasser le stade de l’expérimentation. Pour l’heure, l’optimisme est de mise !
Par Mélicia Poitiers
L’agglomération grenobloise est desservie par un Centre de distribution urbaine (CDU) depuis l’automne 2017. Il s’agit d’une plateforme logistique, située dans l’aire urbaine, qui capte le fret et le redistribue au moyen de véhicules propres. La solution est prisée par les villes européennes comme à Monaco où, d’après ses exploitants, le CDU aurait entraîné une baisse de 36 % du taux de consommation énergétique dans la ville et réduit l’encombrement de la voirie par les véhicules utilitaires de 50 %. Malgré ces vertus, dans plusieurs villes de France, comme à Toulouse, à Montpellier ou encore à Lyon, les essais de mutualisation des flux via les CDU ont échoué ou n’ont pas réussi à dépasser le stade de l’expérimentation. Absence de rentabilité ? Manque d’accompagnement politique ? Pourquoi les CDU, au concept si séduisant, peinent-ils à perdurer ?
À L’INITIATIVE DE LA MÉTROPOLE
La logistique urbaine est une problématique particulièrement importante à Grenoble, où le transport de marchandises représente un quart du temps d’occupation de la voirie et jusqu’à 15 % des déplacements de véhicules, selon Grenoble Alpes Métropole. L’enjeu est d’autant plus crucial que la ville est implantée dans la vallée de l’Isère, véritable cuvette, qui favorise la stagnation rapide de la pollution. Dès 2015, dans le cadre de son « Plan d’actions pour une logistique urbaine durable », la Métropole lance un appel à manifestation d’intérêt (AMI) visant la création d’un CDU. Le défi pour les candidats est de s’auto-équilibrer financièrement sans subvention publique, ni mise à disposition de foncier. C’est le consortium EVOL (Espaces de Valorisation et d’Optimisation Logisti ques), piloté par le groupe La Poste, qui a été retenu. La SAS (société par actions simplifiées), créée le 1er août 2017, a depuis adopté la marque Urby.
MUTUALISER LES LIVRAISONS
Implanté à Noyarey, à une dizaine de kilomètres du centre de Grenoble, et à proximité de l’autoroute A48, le CDU est opérationnel depuis l’automne 2017. Les entreprises clientes y déchargent leurs camions, puis l’acheminement des marchandises aux commerçants, artisans, collectivités, entreprises et particuliers dans le centre de l’agglomération se fait à bord de véhicules propres : voitures électriques, tricycles, vélos-cargos,… appartenant à des sous-traitants, partenaires du projet. L’un des objectifs de la mutualisation est que les véhicules repartent le plus remplis possible. « La plupart des camions traditionnels sont chargés entre 20 et 22 % », affirme Frédéric Delaval, directeur technique chez La Poste, qui prône l’optimisation des flux. Pour cela, la SAS développe d’autres services, notamment des réserves déportées, qui sont des lieux de stockage de proximité proposés aux commerçants. Après une année d’activité, le CDU assure une vingtaine de livraisons par jour : l’impact sur la logistique globale de la ville est donc assez limité. Mais les objectifs du groupe semblent atteints et Urby ne vise l’équilibre économique qu’en 2020. D’autres CDU, sous la marque Urby, sont déjà présents dans les six métropoles de Bordeaux, Toulouse, Lyon, Montpellier, Clermont-Ferrand et Saint Étienne. Et La Poste annonce qu’en 2020, les 22 métropoles en seront équipées.
LA LOGISTIQUE URBAINE DANS LA MÉTROPOLE GRENOBLOISE EN CHIFFRES
- 1/4 du temps d’occupation de la voirie
- Jusqu’à 15 % des déplacements de véhicules
- 185 000 opérations de livraison par semaine
- 750 000 km parcourus par semaine