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L’éducation prioritaire fait sa révolution

par Sébastien Fournier
Nathalie Elimas
Temps de lecture : 5 minutes

Cette année, 172 établissements ont passé contrat avec l’État pour disposer de moyens supplémentaires. Fait majeur, aucun n’est dans la carte de l’éducation prioritaire. Cette contractualisation inquiète. Certains voient la fin des dispositifs existants. Nathalie Elimas, secrétaire d’État chargée de l’Éducation prioritaire, précise la démarche et évoque son possible élargissement dès 2022.

Propos recueillis par Sébastien Fournier

Vous avez engagé cette année une expérimentation dans trois académies* avec les Contrats locaux d’accompagnement (CLA) pour aider financièrement les établissements qui passent sous les radars de l’éducation prioritaire. Vous parlez d’une voie parallèle mais n’est-ce pas un changement de paradigme ?

Si les CLA devaient à terme se déployer, ça le serait en effet parce que nous inversons totalement la méthode. Aujourd’hui, dans la logique des réseaux, lorsqu’on est en REP ou REP+, on bénéficie de moyens supplémentaires. Or, la crise sanitaire a renforcé certaines fragilités. Nous avons vu apparaître ici et là des écoles orphelines qui, en périphérie du zonage, correspondent en tout point aux caractéristiques de l’éducation prioritaire sans en avoir les moyens. Notre logique, c’est de leur en donner à travers l’expérimentation. Elle s’adresse aussi aux territoires enclavés. Dans la ruralité, il y a peu d’établissements en éducation prioritaire.

Je conviens qu’il s’agit d’une autre façon de faire. Néanmoins, c’est une voie parallèle. Je le souligne parce qu’on me dit vouloir casser l’éducation prioritaire. Ce n’est pas le cas. La carte reste identique. Les moyens alloués d’ailleurs ont augmenté. Ils sont passés de 1,7 milliard à 2,2 milliards d’euros.

« Certains voient le verre à moitié vide. Moi je dis qu’il est à moitié plein. Avec cette expérimentation, nous donnons des moyens à de nouveaux publics et à de nouveaux territoires. C’est du plus. Avec une méthode de travail transformée.»

Les lycées sont-ils aussi concernés ?

Absolument. Rappelons qu’ils sont sortis du zonage depuis un moment. Il ne s’agit pas seulement des lycées généraux, il y aussi les lycées professionnels. Et c’est tout à fait pertinent puisque leurs élèves sont souvent issus des établissements de l’éducation prioritaire.

Comme vous l’avez dit, certains voient dans cette expérimentation la fin de l’éducation prioritaire. En somme, leur critique porte sur la contractualisation…

Certains voient le verre à moitié vide. Moi je dis qu’il est à moitié plein. Avec cette expérimentation, nous donnons des moyens à de nouveaux publics et à de nouveaux territoires. C’est du plus. Avec une méthode de travail transformée.

Si cette expérimentation devait s’élargir, n’y a-t-il pas un risque que l’éducation prioritaire devienne illisible ?

Vous savez, quand on est dans un établissement REP – on nous le dit sur le terrain –, quoi qu’il se passe, les moyens descendent de façon systématique. Il y a là quelque chose d’un peu routinier. Nous, nous souhaitons re-stimuler la motivation des équipes. Nous allons bien sûr évaluer l’expérimentation. Mais je peux d’ores et déjà vous dire que nous n’allons pas arrêter, d’abord parce que dans les académies concernées, la méthode est plébiscitée.

« À terme, il y aura vraisemblablement un lissage entre les CLA et les REP. »

Et puis, ce n’est pas un dossier qui concerne seulement le secrétariat d’État et les recteurs. Nous y avons associé les élus locaux, les chefs d’établissement. C’est un travail d’équipe. Il y a déjà d’autres académies qui demandent à en bénéficier. J’ajoute que j’ai beaucoup dialogué avec les organisations syndicales. Je les ai vues de nombreuses fois sur le sujet. Globalement, il y a peu de choses que l’on nous oppose. Il est donc probable que nous élargissions le dispositif dès la rentrée 2022. À terme, il y aura vraisemblablement un lissage entre les CLA et les REP pour y voir clair. Mais cela ne concernera pas les REP+ qui, je le rappelle, sont adossés aux quartiers prioritaires de la ville.

Vous avez déjà une idée de cet élargissement ?

Je travaille de façon méthodique. Je me suis déplacée dans les académies pour voir comment cela fonctionne. Nous travaillons actuellement sur la façon dont nous allons évaluer au niveau national et à l’échelle des académies. Et dès que nous aurons les résultats, nous verrons où il est pertinent d’élargir.

Comment se passe le travail avec les élus locaux ? Certains ne cachent pas leur agacement face à un manque de moyens…

Il y a des débats, parfois des oppositions mais elles sont saines. Au fond, les élus locaux veulent faire plus mais le principal, c’est d’atteindre l’objectif. On ne peut pas empiler les moyens. Il faut s’interroger sur la méthode. C’est ce que nous faisons à travers les CLA. Il en est de même avec les alliances éducatives qui concernent les Cités éducatives ou les Territoires éducatifs ruraux.

L’histoire de l’éducation prioritaire est jalonnée de labels, lesquels sont souvent présentés de façon transitoire. Or, au fil des années, on voit qu’ils s’empilent et qu’ils durent. Cela ne démontre-t-il pas finalement que nous peinons à corriger les inégalités ? Et que le retour au droit commun est encore très loin ?

Le jour où nous n’aurons plus besoin d’injecter des moyens pour l’éducation prioritaire, nous pourrons nous dire que nous avons gagné la partie. Mais nous en sommes loin, notamment parce que la crise sanitaire est passée par là. Ma mission se résume à lutter contre les inégalités éducatives et sociales mais aussi territoriales. Cette approche territoriale est quelque chose de nouveau. Elle est au cœur du sujet.

« Il faut travailler avec les acteurs locaux. Ils connaissent leurs publics. Et ce sont eux qui doivent porter ces dynamiques. (…) Nous devons avoir un cadre global et leur faire confiance. Il faut arrêter de cliver. »

Pendant longtemps, nous avons empilé des moyens, travaillé en silo, chacun restant dans son coin, sans se poser la question de savoir si on pouvait partager quelque chose. Ce n’était pas dans nos pratiques. Aujourd’hui, nous changeons de méthode. C’est le cas avec les alliances éducatives. Par exemple, je suis allée aux Mureaux, où il y a une cité éducative. J’avais autour de moi différents acteurs qui ont bâti un projet commun. Ça fonctionne. Et nous sommes en train de faire de même en ruralité. Il faut travailler avec les acteurs locaux. Ils connaissent leurs publics. Et ce sont eux qui doivent porter ces dynamiques. Mais il n’y pas autant de systèmes d’éducation prioritaire qu’il y a de territoires. On ne s’en sortirait pas si c’était le cas. Nous devons avoir un cadre global et faire confiance aux élus locaux. Il faut arrêter de cliver.

Tiendrez-vous l’objectif de 200 cités éducatives d’ici 2022 ?

Oui, à ce jour, nous avons déjà labellisé 126 cités éducatives. Quand je suis arrivée au secrétariat d’État en juillet 2020 – je précise qu’il n’existait pas avant cette date –, il y en avait 80 qui fonctionnaient bon an mal an et c’est normal parce qu’elles avaient été stoppées net avec le confinement. Nous avons remis la machine en marche. Nous sommes en train de finaliser les dossiers pour être à 200 d’ici la fin de l’année.  L’objectif sera atteint sans difficulté.

* Aix-Marseille, Lille et Nantes.

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