Le nombre de Zones à faibles émissions (ZFE) pourrait quadrupler d’ici au 31 décembre 2024. Ce déploiement à marche forcée rencontre-il des résistances ? Que se cache-t-il derrière cette accélération alors même que la mise en place de certaines ZFE a déjà permis de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre en-dessous du seuil de dépassement ? État des lieux d’une problématique pas si simple à décrypter.
Par Olivier Constant
lls partirent onze et arrivèrent quarante-trois… De la LOM (Loi d’orientation des mobilités) à la loi « Climat et Résilience », le nombre de territoires concernés par les Zones à faibles émissions devrait se développer de façon exponentielle d’ici la fin de l’année. Cela peut paraître d’autant plus étonnant que plus de la moitié des métropoles concernées par des dépassements de seuil d’émissions de gaz à effet de serre avant la mise en place des ZFE ne le sont plus depuis 2023. Cela tient notamment à l’évolution des flottes de véhicules qui deviennent plus respectueuses de l’environnement.
Consensus
Pour autant, même si certains bons connaisseurs du dossier estiment que les ZFE auraient pu faire l’objet d’une préparation plus importante, un consensus au sein des territoires urbains semble devoir se dégager en faveur de ce déploiement accéléré. Pour l’heure, en effet, seules deux métropoles – une située au sud et une autre au centre de la France – rechigneraient à mettre en œuvre ce dispositif. Quant aux autres, elles ont franchi le pas sans vraiment sourciller.
Les ZFE ne sont pas vues, pour l’instant, comme une mesure coercitive en l’absence de toute verbalisation systématique des véhicules contrevenants
Certains territoires non concernés ont même intégré la démarche de manière volontariste : Reims et Saint-Étienne ont rejoint les premiers territoires urbains : Métropole du Grand Paris (avec la ville de Paris), Lyon, Strasbourg, Toulouse, Rouen, Nice, Marseille (Aix-Marseille-Provence Méditerranée), Montpellier, Grenoble et Toulon. Sans doute ont-ils voulu montrer qu’ils étaient prêts à prendre des mesures pas vraiment populaires pour limiter la pollution. La règle qu’instaure la ZFE semble plutôt bien acceptée et suivie. Et c’est d’autant plus facile que les ZFE ne sont pas vues, pour l’instant, comme une mesure coercitive en l’absence de toute verbalisation systématique des véhicules contrevenants. Cela pourrait évoluer à partir de 2026, dès lors qu’apparaitront les contrôles sanctions automatisés.
Des pistes d’amélioration
Pour l’heure, les territoires concernés ne manquent pas d’idées pour parfaire le dispositif. En effet, les métropoles qui n’ont pas eu suffisamment de temps pour se préparer en amont doivent agir fortement, avec le soutien de l’État, pour mettre en œuvre des solutions de report modal propres à faire baisser les émissions.
C’est là tout l’objet des dix propositions phares émises par l’association France urbaine dans un rapport remis à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, en juillet 2023.
La première proposition vise à rendre éligibles aux aides de l’État les habitants et les usagers des territoires voisins impactés par la mise en place d’une ZFE, au même titre que ceux résidant sur les territoires de mise en œuvre d’une ZFE. D’autant que les réseaux métropolitains et régionaux ne sont pas organisés en complémentarité. La mise en place en cours (Strasbourg et Bordeaux) et à venir des Services Express Régionaux Métropolitains (SERM) pourrait engager un mouvement vertueux de planification des moyens à mettre en œuvre pour assurer cette nécessaire complémentarité.
Tous les acteurs concernés sont, en effet, convaincus qu’il faut limiter l’autosolisme. Mais les Français y sont- ils prêts ?
France urbaine propose, en outre, d’instaurer, avec l’intercommunalité comme pilote, un guichet unique dans le territoire en charge de la mise en œuvre de la ZFE pour permettre un accompagnement de proximité.
Doubler les aides
Une autre proposition phare consisterait à doubler les aides de l’État, notamment la prime à la conversion, tout en les complétant par des aides proposées par les territoires. Au travers de deux autres mesures majeures, France urbaine estime, par ailleurs, qu’il faut renforcer les alternatives de mobilité, y compris dans les territoires périurbains, et financer les mobilités durables. Tous les acteurs concernés sont, en effet, convaincus qu’il faut limiter l’autosolisme. Mais les Français y sont- ils prêts ? Sans doute la mise en œuvre de mesures spécifiques comme une multiplication des voies réservées au covoiturage pourrait favoriser ce dessein.
Il convient également, ainsi que le souligne Étienne Chaufour, directeur Île-de-France de France urbaine, « d’accélérer sur les solutions de report modal. Sur ce point, les lignes de cars express constituent un bon exemple de ce qui peut être réalisé rapidement et sans que cela ne coûte très cher. Les lignes déjà existantes fonctionnent très bien et en particulier celles desservant la métropole Aix-Marseille-Provence ». Au-delà d’une évolution de la vignette Crit’Air, afin que soit prise en compte la réalité des polluants atmosphériques avec l’âge du véhicule, France urbaine milite également en faveur d’une autorisation de circulation jusqu’en 2030 pour les poids lourds et les véhicules utilitaires légers Crit’Air 0, 1 et 2. « Les ZFE doivent, en effet, être perçues comme un accompagnement naturel de tous les habitants et non comme une écologie punitive », poursuit Étienne Chaufour.
D’autres propositions
Autre structure susceptible d’apporter de précieux compléments à des dispositifs parfois mal appréhendés, la FNAUT est également force de proposition. Au travers d’une étude présentée à la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale le 15 septembre 2022, la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports pose comme préalable la mise en œuvre d’une politique globale pour aboutir à une ville plus sereine. Au-delà de la nécessité de faire coopérer les différentes autorités organisatrices de mobilité au sein des périmètres des ZFE, la FNAUT pose également comme principe que toute mise en place d’une ZFE doit être accompagnée d’études préalables associant tous les partenaires concernés, en particulier les associations d’usagers.
« Une politique globale de déplacements, sera une des conditions de réussite de la mise en place progressive d’une zone à faibles émissions », indique Dominique Romann, membre du bureau national de la FNAUT.
Elle milite tout aussi bien pour développer des alternatives à la voiture individuelle, soulignant, au passage, qu’une partie des ménages habitant dans les centres-villes des grandes métropoles ont déjà délaissé leur voiture individuelle au profit des transports publics, de l’autopartage, ou de l’utilisation de vélos à assistance électrique, par exemple. Solliciter l’État pour le financement des indispensables infrastructures de transport collectif constitue une autre des attentes fortes de la FNAUT avec la mise en place d’une bonne information des différentes parties prenantes lors de la création d’une ZTL (Zone à Trafic Limité) – qui présente l’avantage de ne pas discriminer les automobilistes en fonction du type de véhicule – ou d’une ZFE.
Une formidable opportunité
« Cette politique globale de déplacements, nécessitant une forte volonté des élus et une large concertation pour le développement des solutions alternatives à la voiture, sera une des conditions de réussite de la mise en place progressive d’une zone à faibles émissions », indique Dominique Romann, membre du bureau national de la FNAUT. Avant de devoir ajouter sur le point sensible que pourrait constituer la mise en place de péages urbains que « ceux-ci entraîneraient probablement une forte résistance de la part des usagers de la route. Même si dans l’absolu, le péage français, c’est déjà l’augmentation sensible du coût du stationnement étendu à des zones de plus en plus périphériques des centres-villes. Il y a donc lieu d’amplifier sans délai les solutions alternatives comme les dessertes par train et cars express, les axes vélos ainsi que les parkings-relais pour contrecarrer l’impact de cette mesure impactant des ménages modestes ».
En fait, les ZFE ne constituent-elles pas une formidable opportunité de rattraper le temps perdu ? Si les mesures alternatives avaient été mises en place avant la création du dispositif, cela aurait permis de faire baisser les émissions polluantes depuis bien longtemps. Il semblerait que l’anticipation ne soit pas le fort de ce pays.
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