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Entre sobriété et austérité, les métropoles face à la crise énergétique

par Jarod Charbit
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Temps de lecture : 7 minutes

La flambée des prix de l’énergie plombe lourdement les finances des collectivités. Une situation d’urgence qui met les élus locaux dans une délicate impasse, tiraillés entre réduction des services publics et augmentation des impôts. Et si cette crise était l’occasion pour les métropoles de mettre en lumière de nouveaux modèles de consommation et de préparer l’avenir ? À voir.

Par Franck Soler

Fallait-il sacrifier les féeries d’hiver et mettre les illuminations de Noël en veilleuse ? À Paris, sur les Champs-Élysées, les scintillements cesseront une semaine plus tôt que les années précédentes et s’arrêteront un peu avant minuit au lieu de 2h du matin. À Strasbourg, les décorations lumineuses du célèbre marché de Noël sont annoncées « plus sobres ». Voilà que sur fond de guerre en Ukraine et de crise énergétique, les métropoles sont mises à contribution pour éviter un black-out hivernal. Dans la foulée des annonces présentées par le gouvernement dès le début de l’automne, partout les plans de sobriété sont dévoilés avec un objectif commun :réduire la facture de gaz et d’électricité.

« L’impact budgétaire de la crise énergétique est colossal »

Samuel Martin, de la Compagnie des négaWatts, prévient : « L’impact budgétaire de la crise énergétique est colossal. » L’ingénieur précise que la situation des collectivités est très dépendante des contrats passés avec les fournisseurs, et notamment de la part de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) inclus dans ces contrats. L’Arenh, ce fameux quota permettant aux prestataires autres qu’EDF d’acheter à bas coût de l’électricité issue du nucléaire, est sans cesse dépassé, ce qui entraîne une réévaluation à la hausse du prix du mégawatt. « En moyenne pour les métropoles, on peut estimer à un triplement du montant des factures. Strasbourg, qui a récemment renouvelé son contrat de gaz, a vu le coût du mégawatt multiplié par 5,6 ! »

« La crise énergétique est aussi une crise financière »

Dans ce contexte de crise aiguë, l’annonce par Élisabeth Borne d’une aide budgétaire aux collectivités locales – une augmentation de 320 millions d’euros de la dotation globale de fonctionnement – suffira-t-elle ? Sans doute pas. La majorité des métropoles réclament un bouclier tarifaire, celui voté en août dernier ne concernant que les plus petites communes. L’association France urbaine, qui rassemble 108 métropoles et grandes villes, va plus loin en demandant à l’État, notamment, de faciliter l’accès aux contrats d’achat direct d’énergie renouvelable pour les collectivités. Soulignant que les investissements pour la transition énergétique ont pris des mois – voire des années – de retard, France urbaine appelle à l’instauration d’un fonds d’aide d’urgence pour les collectivités les plus impactées par l’explosion des coûts. « La crise énergétique est aussi une crise financière », lance Syamak Agha Babaei, premier adjoint en charge du budget à la mairie de Strasbourg. « D’une année sur l’autre, entre l’inflation, la hausse du point d’indice des fonctionnaires et l’augmentation du coût de l’énergie, c’est un trou de 50 millions d’euros qu’il nous faut résorber. » Fin novembre, les collectivités étaient dans l’attente de précisions au sujet de la nouvelle mesure annoncée par la Première ministre, un « amortisseur électricité ». Ce dispositif vise à réduire la facture de 50 % de la différence entre le prix « exposé au marché » et un prix plafond de 325 euros du mégawatt. Comprenne qui pourra ! 

La chasse au gaspillage de l’énergie est lancée.

Réduire les consommations énergétiques à court terme devient la priorité absolue pour les métropoles. Samuel Martin indique que cela implique pour elles des changements importants d’organisation interne et une forte mobilisation. « Il y a un potentiel d’action extrêmement rapide et à faible coût pour réduire le gaspillage énergétique. Par exemple, pour les bâtiments tertiaires, le gisement mobilisable représente 30% des consommations. Or, le simple fait d’arrêter la ventilation pendant les périodes d’inoccupation permet d’économiser 50% des coûts d’énergie liés à cet équipement. C’est d’autant plus vrai dans le tertiaire public où les taux d’occupation sont faibles. De Lille à Nice, de Bordeaux à Strasbourg, les plans de sobriété sont lancés. En ligne de mire, l’objectif fixé par l’exécutif, à savoir une diminution de 10% de la consommation totale d’énergie d’ici à 2024 par rapport à 2019. Trois mesures phares prévues dans ces plans « anti-gaspillage » marquent la fin de l’abondance énergétique. 

Réduire l’éclairage public 

Toutes les grandes villes s’y mettent, à commencer par Paris qui a décidé de suspendre dès 22h l’éclairage de certains bâtiments et monuments comme l’Hôtel de Ville de la tour Saint-Jacques. La Ville lumière veut donner l’exemple. Désormais, la tour Eiffel s’éteint au départ du dernier visiteur, un peu avant minuit. La métropole lilloise n’est pas en reste, elle qui a cessé début septembre d’éclairer les bâtiments publics la nuit, sauf sur la Grand’Place et la place de l’Opéra. Une mesure qui permet à la collectivité d’économiser 170 000 kWh par an. Selon l’association négaWatt, l’arrêt nocturne des lampadaires permet d’économiser jusqu’à 45% de la consommation d’électricité liée à l’éclairage public, un gros budget pour les collectivités. Mais les positions divergent entre les métropoles. À Nice, l’extinction totale – entre 23h et 5h – prévaut sur la plupart des grands axes de la métropole et désormais seul un lampadaire sur trois éclaire la promenade des Anglais. À Paris, la maire Anne Hidalgo refuse toujours la fin de l’éclairage des rues « pour des raisons de sécurité ». Les enseignes et publicités lumineuses sont également dans le collimateur du gouvernement. Un décret publié au Journal officiel du 6 octobre généralise leur extinction entre 1h et 6h. Toutefois, les dérogations restent nombreuses – en particulier pour les panneaux lumineux supportés par le mobilier urbain. Et les unités urbaines de plus de 800 000 habitants peuvent toujours appliquer un règlement local de publicité moins contraignant. De quoi maintenir une rentrée fiscale non négligeable pour les métropoles en préservant les contrats passés avec les annonceurs. 

Baisser le chauffage et rationaliser l’utilisation des bâtiments publics 

Le gouvernement préconise de réduire les surfaces chauffées en même temps que de limiter la température à 19°C en période d’occupation, pour les bureaux notamment. Une mesure déjà prévue dans le code de l’énergie, mais qui est peu appliquée. Elle permet pourtant aux collectivités de réduire de 28% la consommation électrique liée au chauffage. La Métropole de Lille a marqué le coup en annonçant une baisse de température de deux degrés – de 20  à 18°C – dans deux musées, deux heures de chauffage en moins en fin de journée dans les gymnases ou encore la chasse aux chauffages d’appoint dans les bureaux. La baisse du chauffage à 12°C dans les salles de sports est également prévue, à Lille comme à Bordeaux ou Lyon.

Fermer les piscines ou baisser la température de l’eau

Particulièrement énergivores et souvent chauffées au gaz, les piscines sont des gouffres budgétaires pour les collectivités. D’autant que le parc est vétuste. Dans leur stratégie de chasse au gaspillage, plusieurs métropoles comme Lille et Toulon ont donc prévu passer de 28 à 26°C la température de l’eau des bassins. De quoi décourager les plus frileux ! Et certaines métropoles comme Strasbourg et Toulon vont plus loin. « On ne s’interdit pas de fermer au moins temporairement un certain nombre d’équipements, surtout quand ils sont peu fréquentés », précise Syamak Agha Babaei. Et l’élu strasbourgeois de préciser : « La fermeture des musées n’a rien à voir avec la question de l’énergie. C’est uniquement pour des questions de ressources humaines. » 

« On est entré dans une ère d’énergie chère » 

Les métropoles doivent s’adapter à la flambée des prix de l’énergie et remédier à une situation financière critique. Entre mesures de sobriété et d’austérité, les plans d’action mis en place répondent autant à un risque de « déroute » budgétaire qu’à la nécessité de faire face à une situation inédite de pénurie d’électricité au cours de l’hiver. En pleine remise en cause, la capitale alsacienne opte pour une rigueur  budgétaire aux accents de décroissance. « On est entré dans une ère d’énergie chère. Il est temps de ralentir, d’adopter des attitudes et des comportements plus sobres. On peut rendre le service public plus économe et l’orienter avant tout vers celles et ceux qui en ont le plus besoin. » L’élu en charge du budget n’exclut pas une hausse des impôts « si les annonces d’accompagnement de l’État ne se concrétisent pas ». Moins impactée que d’autres collectivités du fait des contrats en cours – près de 20 millions d’euros de dépenses supplémentaires tout de même –, Nantes Métropole voit son plan de sobriété comme une continuité des efforts déjà engagés dans la transition énergétique. « Nous investissons depuis plusieurs années dans le photovoltaïque et nous avons également l’un des réseaux de chaleur les plus performants de France », affirme Johanna Rolland, la présidente. L’élue avoue ne pas vouloir toucher à la stratégie fiscale adoptée sur le mandat et qui prévoit seulement une augmentation de la taxe foncière cette année. « Nous sommes mobilisés pour que la crise de l’énergie ne dégrade ni la qualité du service rendu à nos concitoyens, ni nos investissements, en poursuivant nos objectifs d’atteindre zéro émission à l’horizon 2050. » 

La sobriété au-delà du court terme 

C’est donc bien une nouvelle manière de penser et d’agir qui est demandée aux métropoles. Pour Samuel Martin, l’heure est aux choix. « Est-ce prioritaire de maintenir des bassins ludiques fortement chauffés dans les piscines ? Qu’est-ce qui est prioritaire et ce qui l’est moins ? Il va bien falloir classer les besoins et construire une dynamique collective autour des choix qui seront faits. » Les mesures mises en œuvre vont toutes dans le bon sens, mais suffiront-elles à atteindre les objectifs à plus long terme ? Rien n’est moins sûr. Quelques métropoles comme Bordeaux et Strasbourg annoncent vouloir développer rapidement la production d’énergie renouvelable. Mais pour Pierre Veltz, sociologue et économiste, il y a un mythe autour de l’autonomie énergétique locale. « Le renouvelable est un outil de décentralisation de l’énergie formidable. C’est parfait pour chauffer des équipements ou pour l’éclairage public, mais ça ne suffira pas. » Quant au logement, qui représente à lui seul 30% de la consommation d’énergie en France, les métropoles se sentent impuissantes et désarmées pour répondre à l’urgence de la rénovation énergétique. Là encore, le chantier de la décentralisation du logement – promis par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle – est très attendu. France urbaine appelle à permettre l’expérimentation de la délégation des aides à la rénovation énergétique, sur le modèle de la délégation des aides à la pierre.

« Le vrai enjeu, c’est la décarbonation » 

Pour Pierre Veltz, il y a du positif dans tous ces plans de sobriété, mais il ne faut pas se tromper d’objectif. « On est focalisé sur la dimension énergétique et sur le coût de l’énergie alors que le vrai enjeu, c’est la décarbonation. » L’auteur de L’Économie désirable invite les métropoles à penser autant « sobriété » qu’« efficacité » énergétique. Et de veiller à l’« effet rebond ». « Les LED, c’est bien pour consommer moins, pas pour éclairer plus ! ».

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