Accueil Actualités Le bureau, à fond la forme !

Le bureau, à fond la forme !

par Jarod Charbit
Temps de lecture : 4 minutes

Si la force de l’immobilier d’entreprise dans les régions n’est plus à prouver, les grandes métropoles de l’Hexagone s’offrent une nouvelle fois le luxe de se montrer plus résilientes que Paris et l’Île-de-France. Analyse des ressorts de la dynamique – tant à l’investissement que sur le volet locatif – de ces marchés de bureaux métropolitains.

Par Aurélien Jouhanneau

« Ma petite entreprise ne connaît pas la crise. » Ce refrain tiré d’une chanson d’Alain Bashung colle parfaitement au marché de l’immobilier de bureaux dans les grandes métropoles régionales. Et pour cause… 1,9 million de mètres carrés devraient être placés pour le cru 2022. « Les Cassandre qui misaient sur la mort du bureau post-Covid se sont lourdement trompés. Ce chiffre laisse présager un volume supérieur à 2019 malgré un contexte économique morose en cette fin d’année », stipule Jean-Laurent de La Prade, directeur général adjoint de BNP Paribas Real Estate Transaction, en charge du pôle régions. Déjà, au premier semestre 2022, le take-up progressait de 33 % par rapport à la moyenne décennale, avec plus de 920 000 mètres carrés loués. Cette croissance insatiable du marché locatif dans les régions s’explique par plusieurs facteurs. « Outre le fort ancrage du secteur public/parapublic, une activité PME/PMI très soutenue et une bonne qualité de vie, les métropoles ont changé de dimension grâce aux nouveaux axes ferroviaires et autoroutiers », relate Stanislas Leborgne, directeur exécutif régions de CBRE France. Dernier facteur : les entreprises – qui ont intégré les mobilités depuis le Covid19 – n’hésitent plus à sauter le pas pour ouvrir des bureaux hors de la région parisienne pour retenir leurs talents. « L’idée que l’on pouvait faire uniquement carrière à Paris est révolue », estime Stanislas Leborgne.

Lille détrône Lyon

Si l’on se munit d’une loupe un instant, on relève, sur le front de la demande placée, que le maillot jaune revient non pas à Lyon, mais à… Lille. Sur les neuf premiers mois de 2022, 230 000 mètres carrés ont trouvé preneurs dans la capitale des Flandres. Sa consœur lyonnaise prend la deuxième place du classement avec 220 000 mètres carrés loués. Relevons aussi le très fort rebond de bureaux pris à bail (+30 %). « Le driver incontestable, c’est le marché des grandes transactions de plus de 5 000 mètres carrés », poursuit Stanislas Leborgne. À noter : le comeback du secteur public et parapublic sur le marché locatif régional. Un secteur talonné de (très) près par l’immobilier d’éducation – lequel occupait la première place du podium en termes de prises à bail pour 2021. Dans ce contexte porteur, les loyers « prime » progressent douce ment, mais sûrement. « Leurs valeurs ne cessent de croître dans les quartiers centraux d’affaires depuis dix ans », abonde Stanislas Leborgne. CBRE anticipe même une croissance moyenne de 8 % des loyers dans les QCA des 12 plus importantes métropoles régionales tri colores d’ici 2025. À Bordeaux, il devrait pointer à 245 euros HT HC/m2/an d’ici trois ans – contre 220 euros aujourd’hui. Un phénomène qui s’explique notamment par un taux de vacance en des sous de 5 %. Le revers de la médaille pour ce marché locatif régional triomphant ? La forte tension sur l’offre neuve. Sur un stock immédiat de près de 1,9 million de mètres carrés, l’offre neuve en représente 20 %. « Ce phénomène va s’accentuer dans les prochaines années », prédit Jean-Laurent de La Prade. L’impact du zéro artificialisation nette (ZAN), des édiles moins favorables au bureau et les taux de financement plus élevés pour lancer des projets… impacteront à n’en pas douter le marché locatif neuf.

Toulouse superforme à l’investissement

À l’investissement, les métropoles régionales affichent également un large sourire. Tout cumulé, les six principaux marchés régionaux Aix Marseille, Bordeaux, Lyon, Nantes, Toulouse et Lille – enregistrent 2 milliards d’euros de transactions de janvier à septembre 2022. « Les régions pèsent 38 % sur l’ensemble des investissements réalisés sur le marché de l’immobilier d’entreprise », précise Jean-Laurent de La Prade. Dans le détail, ce volume est majoritairement porté par les SCPI (52 %), les fonds (19 %) et les investisseurs mutualistes (11 %). À relever : la part des Vefa est en recul de 24 % des investissements tertiaires, contre 30 % en 2021. Parmi les transactions les plus marquantes, citons le volet tertiaire (27 402 mètres carrés) de M Lyon repris en Vefa et en blanc par l’Américain BlackRock au promoteur DCB à Lyon Part-Dieu pour 200 millions d’euros. « Il s’agit du projet d’une vie, qui a commencé avec l’acquisition de la moitié de la tour M+M il y a 20 ans, ensemble des lots de M+M étalés sur dix ans. Ce projet ambitieux (…) est pour moi le parfait exemple de la vision du marché immobilier lyonnais et de l’anticipation des nouveaux usages », réagit Didier Caudard-Breille, président de DCB. Quant à la célèbre tour IGH « La Marseillaise » de l’architecte Jean Nouvel dans la cité phocéenne, elle a été reprise par Perial Asset Management pour 250 millions d’euros. « Signalons la très bonne performance de Toulouse avec 242 millions d’euros sur plusieurs actifs au troisième trimestre 2022, soit une surperformance de 483 % sur un an », abonde Jean-Laurent de La Prade.

Prudence et résilience

BNP Paribas Real Estate relève une progression des taux de rendement « prime » en région. « Cette progression est étroitement liée à la forte décompression de l’OAT 10 ans qui atteint 2,71 % au troisième trimestre », pointe le conseil. À l’exception de Nantes et Lille, des décompressions « notables » sont observées dans la métropole toulousaine où le taux s’élève à 4,8 % (+30 points de base) ainsi qu’à Bordeaux, où le taux est passé de 3,9 % fin 2021 à 4,1 % neuf mois plus tard. Cette tendance haussière devrait se poursuivre avec la progression de l’OAT 10 ans d’ici la fin de cette année. Face à un environnement inflationniste et un contexte géopolitique perturbé par la guerre en Ukraine, comment le marché de l’investissement de bureaux en région va t-il évoluer ? « À l’heure actuelle, il faut faire preuve de prudence : il est impossible de faire des pronostics pour 2023. », répond Jean-Laurent de La Prade. Cette situation pouvant entraîner une récession et une certaine inertie sur le moyen long terme… « Les investisseurs vont continuer à privilégier les actifs ‘‘prime’’ et encore très bien placés avec des rendements immédiats », poursuit le directeur général adjoint de BNP Paribas Real Estate Transaction, en charge du pôle régions. Des tensions pourraient également surgir entre certains promoteurs et investisseurs sur des produits à vendre en blanc, en raison de fonciers achetés à un prix élevé et des coûts de constructions en forte hausse. Sans oublier les banques qui ferment le robinet de financement pour les actifs spéculatifs ou présentant des défauts(le value add). « Gardons en mémoire que le marché du bureau en région a toujours été résilient en temps de crise », souffle Jean-Laurent de La Prade. Face aux incertitudes économiques, les loyers pourront sans nul doute servir de variable d’ajustement.

Lire sur le même sujet :

Guillaume Poitrinal, l’apostat du béton

Nouvelles façons d’habiter, quand l’expérimental se normalise

Articles Liés