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Guillaume Poitrinal, l’apostat du béton

par Jarod Charbit
Temps de lecture : 4 minutes

D’ancien numéro un d’Unibail-Rodamco, géant européen des centres commerciaux, Guillaume Poitrinal est devenu un adepte de la construction bois et bas carbone. Le cofondateur de Woodeum-WO2, réputé pour être rude en affaires, publie un essai contre les chantres de la décroissance. Portrait.

Par Aurélien Jouhanneau

De plus jeune PDG d’une société cotée au CAC 4O à startupper, Guillaume Poitrinal n’a pas hésité à franchir le Rubicon en 2013. Mais « GP » ou « Poit’ », comme le surnomment ses pairs, n’a pas seulement changé de statut en cofondant Woodeum-WO2, il aussi changé de religion. Du tout béton armé des centres commerciaux XXL très émetteurs de CO2, l’homme d’affaires, ancien numéro un d’Unibail-Rodamco, se tourne vers le bois massif pour ériger des programmes résidentiels.

« Animé par le désir d’entreprendre, j’avais besoin de retrouver ma liberté et le contrôle de mon agenda, car quand on est à la tête d’un groupe du CAC 40, on ne l’appartient plus vraiment », confie-t-il. En quittant sa zone de confort « sans regret » et une foncière valorisée 23 Mds, ce natif de Châtellerault (Vienne) se plonge à bras-le-corps dans un univers qui ne lui est pas encore familier : la production bas carbone  et par ricochet, les problématiques d’émission de CO2.

Arboretum

En 2014, Guillaume Poitrinal convainc – un peu par le fruit du hasard – Philippe Zivkovic d’écrire en duo l’histoire de Woodeum. « À ce moment-là, j’ai la conviction que la promotion vraiment écologique doit être bas carbone et donc principalement en bois. » Tant pis si les édiles émettent de nombreux doutes quant à la construction en bois CLT (bois lamellé croisé), l’ex-numéro un d’Unibail a la conviction d’avoir un coup d’avance. « C’était difficile de les convaincre sans trackrecord avec une industrie du BTP qui ne jurait, à l’époque, que par le tout béton. » Mais c’est mal connaître la persévérance en affaires dece diplômé de HEC formé chez Morgan tanley à Londres… Les maires de Ris-Orangis et d’Issy-les-Moulineaux –Stéphane Raffalli et André Santini – lui accordent ses premières opérations. Huit ans plus tard, Woodeum affiche 4 200 logements livrés ou engagés et 3 000 en développement. Une success story qui ne s’arrête pas là. Guillaume Poitrinal a aussi créé de toute pièce WO2, une boîte de promotion spécialisée dans la construction de bureaux en… bois et bas carbone. Le fait d’armes majeur de WO2 ? Arboretum. Situé à proximité de La Défense et entouré de 25 hectares de verdure, cet objet de 125 000 mètres carrés bâti en bois massif et alimenté en géoénergie sera livré au printemps prochain.

Pour en finir avec l’apocalypse

« Il s’agit du plus grand campus tertiaire bas carbone au monde, qui aura nécessité un investissement de 650 millions d’euros », abonde son promoteur. Écologie de croissance Si Guillaume Poitrinal se fait le chantre de la construction bois, il ne faut pas pour autant le caricaturer en décroissantiste. Loin de là. L’apostat du tout béton part en croisade contre ceux qui évangélisent les esprits pour tourner le dos à la société moderne (au nom de la planète). Dernier exemple en date : la parution de l’essai Pour en finir avec l’apocalypse. Une écologie de l’action, aux Éditions Stock. « J’ai décidé de me mettre à l’écriture quand j’ai compris que mes enfants étaient convaincus que la décroissance était la solution pour faire face au défi climatique. On ne pourra pas sauver la planète avec la seule conviction qu’il faut renoncer à tout. » Au contraire, ce libéral pur jus estime nécessaire de s’appuyer sur l’innovation et l’investissement pour construire une civilisation du bas carbone synonyme de postérité. « En ce sens, je crois profondément en une écologie de croissance. » D’une vivacité d’esprit à toute épreuve, Guillaume Poitrinal considère qu’il est primordial d’apporter de la contradiction dans le débat. « Avec cet essai, je tenais également à rappeler que l’industrie immobilière reste le premier secteur économique à mesurer l’empreinte carbone de tous les matériaux d’un chantier d’immeuble. » Demain, le promoteur caresse le rêve de pouvoir réaliser un centre commercial bas carbone dans lequel seraient vendus des produits…bas carbone.

Anti-techno

Cet amateur d’alpinisme et de musique classique est toujours prêt à en découdre pour simplifier le millefeuille administratif. À ce titre, Guillaume Poitrinal copréside, sous le quinquennat de François Hollande, la Commission de simplification pour les entreprises. « Nous avions couché sur le papier 350 mesures de simplifications avec l’appui d’Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée. Mais une fois ces propositions remises, les mauvaises habitudes ont repris le cours de leur vie… De toute évidence, la simplification doit être une priorité présidentielle, car seul le chef de l’État a la tutelle suprême sur les fonctionnaires », lâche-t-il. Connu pour être le loup blanc des anti-techno, il frappe sans retenir ses coups contre les lourdeurs administratives qui touchent les collectivités locales. « Le temps perdu n’est facturé à personne, mais à la fin tout le monde paye. » Pour étayer son propos, il prend en exemple le Grand Paris Express : « Nous avons mis 30 ans à sortir ce projet de terre, contre seulement quatre ans pour les premières lignes du métro parisien au début du siècle dernier. » « Nous gagnerions à rendre notre organisation publique moins lourde et plus réactive pour entrer rapidement dans l’ère du bas carbone », persiste-t-il.

Le loto du patrimoine

L’autre combat de Guillaume Poitrinal : la préservation du bâti français. À la tête de la  Fondation du patrimoine depuis 2017, il se rend partout en France pour sauver les édifices dans un état déplorable. « En cinq ans, nous avons réussi à tripler le budget de la fondation, lancer le Loto du patrimoine et sauvegarder 800 bâtiments exceptionnels chaque année comme les maisons natales de Victor Hugo et de Charles de Gaulle », se félicite-t-il. Toujours en quête d’innovation et d’idées, le cofondateur de Woodeum et WO2 milite pour la création d’un baromètre mesurant l’empreinte carbone des biens et services sur l’ensemble de leur cycle de vie.

« Nous devons inventer un thermomètre pour inciter les consommateurs à acheter des produits bas carbone. Je reste persuadé que cet étiquetage fera évoluer les consciences. » Un outil que Guillaume Poitrinal projette sans réglementation administrative ni taxe. À 54 ans, on ne se refait pas.

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