Des logements bas carbone sont une réponse concrète aux crises climatique et énergétique actuelles. Conscientes de ces enjeux, les Métropoles s’emploient à réduire l’empreinte carbone des logements sur leur territoire.
Par Stéphanie Prouvost
La guerre en Ukraine a mis en exergue notre dépendance forte aux énergies fossiles et la nécessité d’accélérer plus encore la décarbonation de notre système énergétique », affirme Dorothée Monteillet-Ehrismann, directrice de projet Transition énergétique et adjointe à la direction de mission TERRE de l’Eurométropole de Strasbourg. Depuis l’été 2021, les prix de l’énergie s’emballent en Europe et nous rappellent combien le chantier de la décarbonation du logement est primordial. L’État et les collectivités territoriales n’ont toutefois pas attendu que la machine s’enraye pour en faire une priorité. Loin de là. Une réduction de 40 % d’ici 2030 : tel est l’objectif de la France quant aux émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais, avec encore 436 millions de tonnes équivalent CO2 émises chaque année dans l’Hexagone, la marche est haute. Pour tourner la page de deux siècles d’énergie fossile, la France ne peut pas faire l’impasse sur le logement.
En France, le secteur résidentiel est responsable de 12 % des émissions nationales des GES (…) et dénombre 4,8 millions de passoires thermiques.
L’habitat, un poids lourd de la consommation énergétique
Pour cause : le secteur résidentiel est responsable de 12 % des émissions nationales des GES, selon le think tank Shift Project, et dénombre 4,8 millions de passoires thermiques, d’après l’Observatoire national de la rénovation énergétique. Des logements bas carbone demeurent indispensables face au défi climatique, mais aussi pour répondre à l’urgence de la précarité énergétique qui touche déjà 3,5 millions de Français. Les métropoles tricolores y sont sensibles, comme l’atteste Dorothée Monteillet-Ehrismann : « Avec 20 % des foyers de notre territoire en situation de précarité énergétique, l’indépendance aux énergies fossiles est une priorité. » « Nous nous retrouvons aujourd’hui plus que jamais dans l’obligation de décarboner les logements », complète Renaud Payre, vice-président de la Métropole de Lyon délégué à l’Habitat, au Logement social et à la Politique de la Ville. Selon lui, face à la crise énergétique, « nous pourrions essayer de trouver des manières d’achats groupés d’énergie pour réduire le coût. Mais, nous savons très bien que c’est un petit pansement sur une plaie béante, admet-il. La seule solution possible est une décarbonation des logements à travers un programme d’éco-rénovation ». Une solution d’autant plus plébiscitée qu’elle a également un impact positif sur la santé publique. En effet, des logements décarbonés améliorent la qualité de l’air, en limitant l’émission de particules fines et de composés organiques volatiles non méthaniques. Et c’est sans parler des effets bénéfiques sur l’économie locale : les aides apportées pour la rénovation thermique sont créatrices d’emplois locaux. Un argument de plus pour activer le processus de la décarbonation à l’échelle d’un territoire métropolitain. « Notre programme donne entière satisfaction au secteur du bâtiment car il est incitateur d’activité », témoigne ainsi Renaud Payre.
Des budgets difficiles à boucler
Pour décarboner les logements anciens, la clé est bien entendu d’améliorer leur performance énergétique. D’autant plus si cette rénovation fait appel aux matériaux biosourcés. Une démarche encouragée par le Grand Lyon. « Une copropriété ou un bailleur social qui utilise des matériaux biosourcés pour sa rénovation reçoit une prime spécifique, relate Renaud Payre. Je pense notamment aux 1 000 logements d’Est Métropole Habitat, datant des années 1960, éco-rénovés dans le quartier des Noirettes à Vaulx-en-Velin. » Toutefois, les coûts financiers des projets de rénovation restent colossaux… L’Eurométropole de Strasbourg les estime en moyenne à 70 000 euros pour une maison et à 20 000 euros pour un appartement. De quoi freiner l’élan des plus convaincus, en particulier pour les copropriétés privées où la décision d’une rénovation est soumise à un vote en assemblée générale. « Ces dépenses élevées viennent se conjuguer dans un contexte inflationniste en termes de coûts des matériaux. Malgré les aides disponibles, le bouclage budgétaire reste difficile à finaliser », renchérit Honoré Puil, vice-président en charge de l’Habitat, du Logement et des Gens du voyage à Rennes Métropole.
La loi Climat et Résilience contraint les bailleurs sociaux à rénover 1,8 million de logements classés G, F et E d’ici 2034, sous peine de les interdire à la location.
L’apport financier des métropoles
Bien sûr, des aides de l’État sont proposées pour inciter à sauter le pas. Pour les particuliers, citons la principale : MaPrimeRénov’, attribuée par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Mais, la volumétrie des rénovations à mettre en œuvre nécessiterait une politique nationale davantage ambitieuse et des moyens budgétaires massifs afin de faire effet levier. « Les aides de l’État ne suffisent pas, estime Renaud Payre. Les collectivités doivent donc s’engager sur ce sujet. » Les collectivités locales – notamment les métropoles – complètent ces dispositifs nationaux par leurs propres aides financières. Elles se déclinent généralement selon les conditions de ressources des ménages, la nature du logement concerné (logement individuel ou collectif) et le montant des travaux. Certaines subventions métropolitaines sont toutefois ouvertes à tous, sans exception. Les bailleurs sociaux ne sont pas en reste sur le sujet de la rénovation énergétique. La loi Climat et Résilience les contraint à rénover 1,8 million de logements sociaux classés G, F et E d’ici 2034, sous peine qu’ils soient interdits à la location. Pour les soutenir dans leurs démarches, des dotations métropolitaines leur sont parfois accordées. À titre d’exemple, Tours Métropole Val de Loire attribue des crédits de 850 000 euros chaque année aux bailleurs sociaux engagés dans des projets de réhabilitation thermique.
Mieux accompagner les particuliers
Soyons francs : le particulier qui souhaite se lancer dans un projet de rénovation doit s’armer de patience. Le risque ? Provoquer un découragement face aux dédales de programmes de financement. « Nous ne pouvons que constater le manque de lisibilité et de stabilité des aides nationales qui sont en constante évolution et souvent inadaptées aux copropriétés, remarque Honoré Puil. Ces changements jusqu’à la mise en place de MaPrimeRénov’ ont freiné l’appétence des ménages pour les travaux. » Pire encore : les aides financières sont ainsi faites qu’elles poussent à des gestes de travaux qui n’ont pas de cohérence entre eux. Aujourd’hui, on s’occupe soit des fenêtres, soit du mode de chauffage, soit de l’isolation de sa toiture. : « Si on veut vraiment voir sa consommation énergétique baisser, il faut penser à tous les postes de rénovation de la maison », estime Aude Goblet, vice-présidente déléguée à la Politique du logement et de l’habitat de Tours Métropole Val de Loire. La nécessité de mieux accompagner les particuliers se fait donc sentir. La Métropole Aix-Marseille-Provence et Tours Métropole Val de Loire ont instauré un guichet unique d’information à leur intention. Le réseau Artémis, la plateforme territoriale de rénovation énergétique de la métropole tourangelle, se compose de neuf agents dédiés. Diagnostic par téléphone ou sur site, recommandations pour le choix d’artisans, aide à la lecture des devis reçus, orientation vers les aides financières mobilisables,… ce service gratuit rencontre un franc succès. Près de 5 500 conseils ont ainsi été prodigués depuis sa création en 2020. Le service de la métropole marseillaise et du département des Bouches-du-Rhône, Allo Rénov’Énergie, fait aussi des émules, avec 61 appels en moyenne par jour.
Vers des logements neufs zéro carbone ?
Décarboner, c’est aussi s’intéresser à la construction des bâtiments neufs et des matériaux employés jusqu’à la fin de vie du cycle d’un logement. Les contraintes sont déjà exigeantes pour les constructeurs, notamment avec la dernière réglementation environnementale RE2020. Mais, des métropoles aimeraient aller encore plus loin… Le Grand Lyon prévoit, d’ici cet été, l’édition d’un référentiel de l’habitat durable pour favoriser une construction neuve décarbonée. Rennes Métropole s’engage aussi dans cette voie : « Nous réfléchissons à la mise en place d’un plan énergie bas carbone qui concernera le logement neuf avec des réglementations qui existent déjà et que nous voudrions améliorer sur notre territoire», précise Honoré Puil. Reste à disposer de matériaux biosourcés à des prix abordables. « Nous arriverons à résoudre l’équation quand nous réussirons à faire naître des filières locales de matériaux biosourcés. Pour le moment, personne n’y arrive, déplore Renaud Payre. Avec ces filières, nous pourrions industrialiser la production de ce type de matériaux et donc en réduire les coûts. C’est une vraie préoccupation à la Métropole de Lyon. » Le chantier est bel et bien immense, mais les objectifs sont atteignables si la volonté politique se fait sentir. Entre 1990 et 2019, grâce à une mobilisation d’envergure, la Suède a réduit de 90 % ses émissions de CO2 liées au chauffage. Espérons qu’un nouveau «syndrome de Stockholm » fasse son apparition en France pour relever ce défi.
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