Pour accélérer le déploiement des mobilités actives – un secteur en plein essor à l’heure de la crise énergétique, les collectivités locales et les spécialistes de cette filière attendent du nouveau gouvernement un coup de pouce financier bien au-delà des dotations initiales de 2018 et des différents appels à projets.
Par Stéphanie Prouvost
La roue tourne. Avec +28 % de passages par rapport à 2019, la fréquentation cyclable en 2021 atteint des sommets selon la Plateforme Nationale des Fréquentations. Vélo, rollers, trottinette ou marche à pied… Confrontés à la crise sanitaire, les Français se sont tournés vers les mobilités actives pour davantage de distanciation physique. Ces modes de déplacement – faisant directement usage de l’énergie humaine – ont non seulement des effets bénéfiques sur l’environnement mais aussi sur la santé, en luttant contre la sédentarité et en améliorant la qualité de l’air. La hausse récente du prix de l’essence devrait encore donner un coup d’accélérateur à ces pratiques. Alors, comment accompagner cet élan pour les années à venir et convaincre les Français encore récalcitrants ? Les infrastructures et les politiques publiques sont-elles à la hauteur ?
Des objectifs difficiles à atteindre
42 % des personnes, dont le lieu d’emploi est situé à moins d’un kilomètre de chez elles, prennent leur voiture pour se rendre au travail. Un chiffre édifiant sur la marge de progression des mobilités actives d’après l’Insee. Un kilomètre, ce n’est pourtant que dix minutes à pied ou quatre minutes à vélo. De quoi laisser songeur. C’est d’autant plus surprenant, qu’avec une part modale de 23,5 %, la marche est plutôt bien ancrée dans les habitudes des Français. « La marche est très présente dans notre quotidien, à la fois comme mode de déplacement en tant que tel et comme mode utilisé en intermodalité, notamment pour rejoindre les transports en commun », constate Catherine Pilon, secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables et marchables. La France accuse en revanche un retard important dans la pratique du vélo (4 % de part modale), en comparaison avec ses voisins européens. Les politiques publiques se sont donc fixé comme objectif de faire progresser sa part à 9% pour 2024 et 12% en 2030. Un vœu pieux ? « Ces objectifs vont être difficiles à atteindre à moins de multiplier le soutien aux politiques des collectivités », affirme Catherine Pilon.
53 % des Français indiquent que, si les conditions matérielles étaient meilleures, ils utiliseraient davantage le vélo. Sondage OpinionWay
Une priorité : développer la pratique du vélo
Les statistiques parlent d’elles-mêmes : les efforts doivent se poursuivre pour encourager la pratique du cyclisme. D’autant plus que pour les trajets de moins de 5 kilomètres, le vélo est le moyen de transport le plus rapide et supprime la problématique du stationnement. Alors comment convaincre les Français ? Le principal frein avancé est celui du manque d’infrastructures dédiées : dans un récent sondage OpinionWay, 53 % des Français indiquent que, si les conditions matérielles étaient meilleures, ils utiliseraient davantage le vélo. Un avis partagé par Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg en charge des mobilités, des déplacements, de la politique cyclable et du plan piéton et vice-président du Groupement des autorités responsables de transport (GART) délégué aux mobilités actives et partagées. « Un des principaux blocages est lié au sentiment d’insécurité, en particulier pour ceux qui viennent de se mettre en selle ou pour les scolaires », explique-t-il. « Offrir un réseau sécurisé grâce aux pistes cyclables, en résolvant les principaux points noirs de dangerosité, doit permettre de passer ce cap. Offrir des systèmes de stationnement sûrs dans les quartiers doit également être une priorité pour encourager la pratique du vélo. » Pour l’élu, il faut aussi changer les mentalités : « L’image du vélo n’est pas assez valorisée. Il manque une campagne de communication nationale sur les bienfaits de sa pratique. »
L’état enfin au rendez-vous ?
L’État a pris la mesure de l’effort à engager en adoptant dès 2018 un plan vélo de 350 millions d’euros sur sept ans pour aider les collectivités territoriales à construire des pistes cyclables sûres et fiables. Résultat, « les efforts entrepris par les territoires sont vraiment importants, se félicite Catherine Pilon. Les plans vélo ou plans mobilités actives sont d’autant plus pertinents qu’ils se construisent en concertation avec les usagers des différents modes de transport. » La réalisation d’un maillage cyclable sécurisé, une offre de stationnement diversifié, un service de location de vélos, des aides à l’achat pour s’équiper, des actions d’apprentissage du vélo, une communication sur les avantages des mobilités actives pour la santé, la planète et le pouvoir d’achat,… les leviers actionnés ne manquent pas. D’autres dispositifs nationaux viennent compléter ce plan vélo. Parmi ces derniers, le fonds mobilités actives de 2019 qui s’est traduit par cinq appels à projets ou encore les certificats d’énergie, comme le programme Avelo 2 de l’Ademe qui doit soutenir 400 territoires d’ici 2024. Un élan à saluer… « Ces appels à projets donnent le signal que l’État s’intéresse aux mobilités actives. C’est un signal qui n’est pas tout à fait anecdotique », estime Alain Jund. Le récent rapport « Bilan et perspectives des investissements pour les transports et les mobilités », publié par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI), y voit aussi une avancée notable : « Les projets d’infrastructures de toutes sortes pour accompagner ce mouvement ont connu récemment une envolée bien au-delà des prévisions de 2018. De marginal dans les décennies précédentes, ce poste d’investissement, dont la maîtrise d’ouvrage relève principalement des collectivités, est en passe de prendre une part nouvelle et significative dans les décisions publiques.» Mais est-ce suffisant ? Alain Jund répond par la négative : « Les appels à projets au niveau national sont largement sous- dotés. Il faut changer la donne sur l’investissement financier. » Un constat partagé par Catherine Pilon. « Si le plan vélo de 2018 connaît un grand succès, nous souhaitons qu’il soit abondé à hauteur de 2,5 milliards d’euros afin de se donner les moyens d’atteindre une part modale de 12 % en 2030. »
Le besoin d’un coup d’accélérateur
D’après la secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables et marchables, il faut investir davantage dans les infrastructures. « Doubler le réseau cyclable actuel pour le porter à 100 000 kilomètres à la fin du prochain quinquennat, tel est notre souhait pour que tous les cyclistes puissent se déplacer en toute sécurité », souligne-t-elle. D’autant plus que ce manque de dotations nationales contraint les collectivités à mettre la main à la poche. « Les avancées sur les mobilités actives sont principalement dues à des volontés politiques locales qui se traduisent financièrement au niveau des grandes collectivités », précise Alain Jund. Le rapport du COI appuie d’ailleurs cette idée : « Les investissements des collectivités locales pour le vélo sont en forte croissance. Les estimations de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) considèrent qu’il faudrait passer de 8 euros/habitant/an à 25 euros/habitant/an (soit 1,6 milliard d’euros par an), pour atteindre l’objectif de 9 % de part modale. L’accompagnement par l’État, au-delà de la dotation initiale du fonds, pourrait permettre d’accélérer cette tendance. » La machine est en route, reste encore à abonder davantage les projets de mobilités actives pour mettre tout le monde en selle.
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