Selon un baromètre de l’Ifop datant de juillet 2021, 87 % des Français estimaient préférer vivre dans une ville moyenne plutôt que dans une métropole, tendance confirmée 15 mois plus tard par une étude menée par Kantar Public pour La Fabrique de la Cité. À la question « À l’avenir, aimeriez-vous vivre dans les territoires suivants… ? », en octobre 2022, 59 % des sondés se montraient favorables à l’idée d’habiter en centre-ville ou en périphérie d’une agglomération de taille intermédiaire. À l’inverse, la capitale fait figure de repoussoir puisque la perspective d’y résider séduit seulement 11 % du panel. Après avoir souffert de la désertification et de la désindustrialisation au profit des grands centres urbains, les villes moyennes, bénéficiant du changement de paradigme post-Covid des cadres supérieurs et de l’immobilier moins cher, semblent tenir leur revanche. Focus sur trois agglomérations médianes – Chartres, Saint-Dizier et Nevers – qui ont mené des réflexions en amont pour se redynamiser.
Par Joris Garmand
Pari réussi pour Chartres
«La bonne santé et l’attractivité de notre ville ne sont pas le résultat de l’essor du télétravail », prévient d’emblée Jean-Pierre Gorges, maire de la préfecture de l’Eure-et-Loir et président de Chartres Métropole depuis 2001. Dès le début de son mandat, il a tenu à miser sur le capital historique de cette ville chargée de plus de 2000 ans d’histoire et dotée entre autres d’une cathédrale iconique. « Toute la stratégie de développement a consisté à consolider ce patrimoine et à le mettre en valeur en augmentant le nombre de rues piétonnes et en éclairant une trentaine de monuments. Désormais, nous attirons 3 millions de touristes par an. Face à cet engouement, nous avons créé une bonne offre de stationnement, entre construction d’un parking privé et réaménagement du quartier de la gare. » À cela s’est ajoutée une transformation des quartiers résidentiels datant de l’après-guerre et des services publics. « Quant au milieu de tout ça, il y a 600 commerçants, cela donne une ville qui vit très bien. Beaucoup de visiteurs se posent ensuite la question de s’installer à Chartres ». Conséquence directe, depuis 2017, la ville abrite 850 logements nouveaux par an, sans compter sa périphérie. Revers de la médaille, le prix du mètre carré a grimpé – atteignant 5 000 euros dans l’hypercentre. « On développe aussi la mixité sociale, avec un seuil de logements sociaux, entre 20 et 30 %, en fonction du projet. » Enfin, dernière dimension notable du rayonnement de la ville de province la plus proche de Paris : le sport de haut niveau. « Chartres était une ville très peu connue en la matière. Aujourd’hui, entre le handball, le basket, le tennis de table ou les échecs, elle est numéro un parmi les villes de moins de 100 000 habitants, révèle Jean-Pierre Gorges. Cela valorise notre image. »
Saint-Dizier prête à (re)naître
Pas question, pour la ville du Grand Est qui a connu le plus fort taux de Gilets jaunes par habitant, de sombrer dans le fatalisme. « Saint-Dizier est l’archétype de ces villes moyennes loin de toute métropole, loin des grandes lignes de distribution SNCF, et qui ont perdu de grosses industries à compter des an nées 1970 », relate François-Xavier Doat, directeur des relations publiques de la commune. Berceau du mobilier urbain et de la fonderie d’art, cette collectivité fut l’une des premières à s’être associée au dispositif Action cœur de ville. Ce qui ne l’a pas empêchée de prendre le problème à bras-le-corps 20 ans plus tôt, par l’intermédiaire de François Cornut-Gentille, maire de 1995 à 2017, qui estimait que pour avoir la mainmise sur la transformation de l’espace urbain, la ville se devait d’être elle-même propriétaire d’un maximum de foncier. « Saint-Dizier est aujourd’hui propriétaire de 50 % de l’hypercentre, ce qui est un atout considérable, se félicite François Xavier Doat. Beaucoup de villes nous envient. C’est un poids vertigineux, mais pour une ville comme la nôtre, cela nous donne 40 000 mètres carrés à transformer en bonne intelligence ». Pour ce faire, la commune – désormais sous la coupe de Quentin Brière – s’est appuyée sur la consultation des citoyens et a monté des groupes de concertation, mêlant chefs d’entreprise locaux, acteurs sociaux, commerçants, Gilets jaunes et même familles de militaires installées sur le territoire. « Les militaires, qui voguent de ville moyenne en ville moyenne, sont des bench-markers très utiles. »
Valoriser l’artisanat
En parallèle, son édile tente de séduire les poids lourds de l’immobilier urbain (Nexity, Groupama Immobilier…) en portant le message suivant : « Si vous qui fabriquez la ville n’êtes pas au rendez-vous pour des villes comme la nôtre, cette crise sociale, cette fracture territoriale, vous en serez les premiers destinataires. » Pour se redynamiser économiquement, la ville compte valoriser sa tradition artisanale, car c’est d’elle que découle in fine l’industrie et donc l’emploi de masse. À ce titre, la sous-préfecture de Haute-Marne abrite actuellement le plus gros chantier en pierres de taille de France : celui de son prochain marché couvert.
Nevers redevient une ville attractive
A son arrivée à l’hôtel de ville en 2014, Denis Thuriot a le sentiment « d’hériter d’une ville à l’abandon ». Manque de développement et d’implication des élus depuis la mort de Pierre Bérégovoy, exode des habitants, Nevers est comme une aire urbaine en clavée au milieu d’un département essentiellement rural. « Le gros enjeu fut de donner aux gens envie de rester. Je n’aime d’ailleurs pas trop le qualificatif de villes moyennes, je préfère le terme de villes médianes. Nous sommes le
trait d‘union entre les métropoles et les campagnes », argue celui qui a fait de la reprise démographique son cheval de bataille et la base d’un cercle vertueux. Car une augmentation du nombre de foyers fiscaux signifie davantage de capacités d’investissement et rend, en bout de chaîne, la cité attractive aux yeux des acteurs privés. Premier étage de la fusée, l’obtention de crédits alloués par l’État pour le raccordement de l’A77, cette « autoroute cul-de-sac entre Nevers et Paris », à la route Centre Europe Atlantique, ce qui laisse entrevoir un regain d’intérêt économique. À la tête de la deuxième ville de Bourgogne en matière de patrimoine historique après Dijon, Denis Thuriot entreprend également une politique de restauration des édifices architecturaux et de trois équipements culturels majeurs : la Maison de la culture, le théâtre à l’italienne et le Café Charbon – destiné à devenir scène de musiques actuelles. « J’entame maintenant la modernisation des équipements sportifs », appuie l’édile. Ce dernier se félicite de voir la courbe du nombre de Neversois repartir à la hausse depuis 2018, alors que la préfecture de la Nièvre perdait des résidents chaque année depuis 1975 : « On enregistre une augmentation des inscriptions dans les écoles. » Ainsi, à sa grande surprise, Nevers a récemment figuré dans les tableaux du panorama de L’Obs sur l’augmentation du prix du mètre carré. Dans la ville natale de Matisse, il a grimpé de 8 % pour les maisons et 3,5 % pour les appartements. « Il était très bas, nous pouvions nous le permettre ! Ce sont des tableaux qui nous échappaient historiquement, insiste le maire. Il y a des signaux positifs. »
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