Le 17 avril, le ministère de la cohésion des territoires a dévoilé le nom du grand prix de l’urbanisme 2019. L’architecte Patrick Bouchain se voit récompensé notamment pour son travail sur la valorisation des friches industrielles dans une dimension culturelle. Adepte de l’expérimentation, il a mis en place la démarche : « La Preuve par 7 ». Celle-ci entend faire la démonstration qu’il est difficile d’appliquer la même loi et le même règlement en matière d’architecture et d’urbanisme partout sur le territoire, sur des projets de taille différente.
Par Magali Tran
«Je veux vérifier la difficulté d’appliquer la même loi, le même règlement sur sept échelles différentes. » C’est sur cette idée que l’architecte Patrick Bouchain a lancé son « méta-projet » de « La Preuve par 7 », déclinant une même démarche expérimentale sur sept sites de taille différente, du village de moins de 50 habitants à la métropole et même au territoire d’Outre-mer. À ses côtés, l’urbaniste Paul Citron s’est embarqué dans l’aventure avec cette conviction que l’« on peut faire autrement en matière d’architecture et d’urbanisme. Les nouveaux dispositifs que l’on trouvera, pour faire émerger ces projets, grâce au travail avec les habitants, pourront rejaillir ensuite sur d’autres ». Sous la tutelle du ministère de la Culture et avec celui de la Cohésion des territoires, Patrick Bouchain se lance donc, sur trois ans, dans cette démonstration grandeur nature. Pour l’échelle métropolitaine, c’est Orléans qui sera le terrain de jeu. « Cette approche expérimentale et participative correspond à la nôtre », souligne Muriel Chéradame, adjointe au maire d’Orléans déléguée à l’aménagement urbain et au logement, et conseillère spéciale à la Métropole chargée des opérations de rénovation urbaine et de restauration immobilière. En plein cœur de la Métropole, à cheval sur Orléans et Saint-Jean-de-laRuelle, l’ancien site militaire des Groues est en friche depuis de nombreuses années. Il doit être reconverti en un écoquartier. Une aubaine pour « La Preuve par 7 ». Car « l’aménagement sur le temps long, en particulier, oblige à des modifications : c’est l’occasion de les considérer de manière positive », comme l’indique Patrick Bouchain.
Laisser la programmation ouverte
Concrètement, une équipe, pilotée par Paul Citron, viendra s’installer sur le site. « On a acheté une maison, qui était expropriée : c’est notre bureau », indique Patrick Bouchain. Une permanence architecturale sera assurée et des ateliers organisés sur place. « L’idée, c’est de pouvoir réfléchir in situ, avec les riverains, poursuit Paul Citron, et de sortir de la posture de l’expert qui impose ses vues. » Et si l’équipe doit ériger un bâtiment éphémère pour les besoins du projet, pourquoi pas. Et si un bâtiment pérenne s’avère nécessaire, pourquoi pas également : c’est le principe de la programmation ouverte. D’ores et déjà, la Métropole lance le « pré-verdissement » du secteur. Pour Patrick Bouchain, c’est l’occasion de s’interroger, avec les habitants, sur le caractère temporaire ou définitif de cette première étape. Surtout, c’est là le moyen de venir titiller le concept d’écoquartier, « projet politico-technique emblématique de l’urbanisme à la française », selon les mots de Paul Citron. Car « pour faire un écoquartier qui fonctionne, il faut des écocitoyens ». Or les futurs habitants d’un quartier, qui va mettre de 15 à 25 ans à sortir de terre, ce sont les enfants. D’où le souhait, sur les Groues, de travailler en particulier avec les jeunes, notamment ceux du collège tout proche et des écoles alentour. La santé sera également au cœur de la réflexion commune, mais aussi la culture, puisqu’un équipement culturel est censé voir le jour dans le futur écoquartier.
Partir des projets pour faire évoluer le règlement
« Orléans sera le projet le plus lourd, le plus long mais aussi le plus structuré des sept projets », prévoit Patrick Bouchain. Au final, Muriel Chéradame anticipe un projet de meilleure qualité et l’assurance de « ne pas passer à côté de quelque chose ». L’élue, enthousiaste, salue également « une démarche respectueuse de la démocratie représentative tout autant que la démocratie participative ». Quant aux services de l’État, ils y voient la possibilité d’explorer des pistes de réponses, face à une critique souvent formulée selon laquelle tous les écoquartiers se ressembleraient, du fait notamment de la grille d’évaluation à laquelle ils doivent coller. Ainsi, ils se placent en observateurs (en plus de financer l’expérimentation). Quels leviers sont utilisés ? Quels sont les blocages ? Sont-ils d’ordre réglementaire ? Doit-on autoriser une dérogation ? Autant de questions à regarder de très près pour évaluer si la méthode est réplicable, si elle peut essaimer sur d’autres territoires, notamment ceux où il y a peu d’ingénierie, souligne-t-on au ministère de la Cohésion des territoires. Pour Paul Citron, l’évaluation de ce « méta-projet » se verra surtout dans l’appropriation qui sera faite des sept sites par leurs habitants ou riverains. Et si l’on peut « faire en sorte de partir des projets pour en déduire des évolutions réglementaires et législatives, plutôt que l’inverse », la partie sera gagnée. Si Patrick Bouchain, adepte de la programmation ouverte, a déjà l’habitude de monter ainsi ses projets, « en marchant », il entrevoit la possibilité de rendre cette démarche « jurisprudentielle, grâce à la réflexion sur sept échelles différentes ». Avec la Fondation de France pour partenaire ainsi que des écoles (architecture, Ponts, Sciences Po), il deviendrait alors possible de capitaliser sur ce processus, de l’enseigner : apprendre à faire autrement.
Un permis d’expérimenter
Le permis d’expérimenter a été introduit dans la loi ESSOC (loi pour un État au service d’une société de confiance) de 2018. Il autorise des dérogations à certaines réglementations techniques (accessibilité, thermique, acoustique…), en remplaçant l’obligation de moyen par une obligation de résultat. Ce dispositif doit donc favoriser l’innovation et booster la construction. Une première mouture de ce dispositif, déjà présent dans la loi LCAP (loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine) de 2016, n’avait pas été utilisée par les professionnels de la construction.