David Lisnard, président de l’Association des maires de France (AMF) et maire de Cannes, revient, dans une interview à Objectif Métropoles de France, sur ses priorités d’action en matière de sobriété énergétique, de décentralisation, de fiscalité locale et de production de logements. Des sujets prégnants qui ont été abordés lors du dernier congrès de l’AMF en novembre dernier.
Propos recueillis par Aurélien Jouhanneau
Le dernier congrès de l’Association des maires de France (AMF) portait sur le pouvoir d’agir des maires. Voulez-vous dire que leur pouvoir d’action est entravé ?
À l’heure des 40 ans des grandes lois de décentralisation, le constat des maires est que leur pouvoir d’agir est entravé. La conjoncture n’est pas seule responsable de ce sentiment partagé puisqu’une recentralisation. Elle s’est notamment traduite par une perte d’autonomie financière, avec la suppression progressive des fiscalités locales par l’État qui les compense sous forme de dotations, puis par la baisse de ces dotations ou le transfert de charges non compensées, et par la multiplication des contraintes juridico administratives qui génèrent des surcoûts en temps, en argent, et qui amplifient les fractures territoriales. Cette recentralisation s’est aussi traduite par un mouvement législatif et réglementaire continu de limitation des pouvoirs d’aménagement et d’urbanisme des maires. La crise énergétique et le retour d’une inflation élevée aggravent cette inquiétude pour l’avenir, d’autant plus que depuis 2010, l’État a mis fin au principe d’indexation des dotations : aujourd’hui, ce n’est plus tenable, et c’est pourquoi nous demandons que l’ensemble des compensations soient stabilisées en euros constants. Si elles ne suivent pas l’inflation, cela signifie que nos collectivités sont ponctionnées. Tout cela alimente la crise civique que l’on affronte aujourd’hui. Il nous faut retrouver de l’efficacité publique et du sens par la proximité, c’est-à-dire par les libertés locales et le pouvoir d’agir. C’était l’objet des travaux de notre congrès et des propositions que l’AMF continue de porter.
Pour faire face aux enjeux de sobriété énergétique – qui est le sujet le plus brûlant pour les communes en cette fin d’année –, quelles sont les solutions ?
Les communes n’ont pas attendu la crise énergétique pour pratiquer la sobriété. Comme les particuliers, elles engagent des mesures d’économie sur le chauffage des bâtiments publics, l’éclairage public, l’usage partagé des locaux, etc. L’AMF les accompagne dans cette démarche en proposant un guide pratique des mesures d’économie d’énergie et en s’associant au dispositif ÉcoWatt, qui alerte sur les risques de rupture d’approvisionnement. Si ces dispositifs sont utiles, l’essentiel des économies viendra surtout de l’isolation des édifices publics, qui représentent à eux seuls 80 % des consommations énergétiques des collectivités. Pour engager des travaux de rénovation thermique, les communes doivent avoir la capacité d’investir. Le maintien des ressources des collectivités est donc essentiel pour assurer la sobriété énergétique et permettre la transition écologique.
L’État est-il à la hauteur pour faire face à la hausse du coût des énergies ?
Les communes subissent de plein fouet les hausses des coûts de l’énergie, avec une hausse des prix à 11,6 % d’après la Banque postale, supérieure au niveau moyen d’inflation. Beaucoup de maires ont du mal à boucler le budget 2023 et même à terminer 2022. Parallèlement, les communes – à la différence de l’État – n’ont pas de dynamique de recettes liée à l’inflation, et leurs dotations ne sont pas indexées. Ces difficultés vont se traduire par un recul de l’investissement local, alors que les collectivités représentent 70 % de l’investissement public. Il y aura des répercussions, même sur l’offre de services publics, ce dont témoigne l’exemple des piscines. Les opérations d’isolation des bâtiments seront empêchées alors qu’elles sont la priorité à mettre en œuvre pour contribuer à la sobriété énergétique. Depuis près d’un an, l’AMF n’a cessé d’interpeller le gouvernement sur les conséquences de la hausse brutale des coûts de l’énergie sur l’équilibre budgétaire des communes et inter communalités. Le « filet de sécurité » adopté cet été et prolongé en 2023 et qui prévoit un versement sous conditions à certaines communes est une avancée, mais il n’est pas à la hauteur des enjeux ! Il est très compliqué et ne s’appliquera qu’à un nombre limité de communes et intercommunalités. Il faut revoir le mécanisme. La Première ministre a par ailleurs annoncé un nouveau dispositif d’accompagnement d’une partie des dépenses d’électricité des collectivités qui concerne les communes et intercommunalités exclues du tarif réglementé de vente de l’électricité. C’est une avancée importante qui témoigne de la mobilisation du gouvernement sur cette situation. Ce dispositif répond en partie à la demande de l’AMF d’un mécanisme universel, mais il faut, là aussi, l’adapter pour garantir son efficacité. Il reste toutefois la question du gaz, des combustibles, des communes éligibles au tarif réglementé, mais dont la situation est bloquée par des contrats groupés… Nous restons extrêmement vigilants sur toutes ces situations.
« L’encadrement des dépenses des collectivités est une erreur. »
Le gouvernement d’Élisabeth Borne a réintroduit l’encadrement des dépenses dans le projet de loi de finances 2023. Une décision qui a provoqué un tollé auprès des maires. Est-ce une atteinte à la libre administration des collectivités locales ?
C’est en effet une atteinte à la libre administration ! L’encadrement des dépenses des collectivités est une erreur à quatre titres : juridique, car elles sont soumises à la règle d’or ; empirique, car lorsque le pouvoir central puise dans les recettes qui appartiennent aux collectivités, il s’exonère de ces efforts ; économique, en raison des vertus contracycliques des dépenses communales ; et pratique, car ce sont les derniers services de proximité qui fonctionnent. Nous demandons que cet encadrement avec des sanctions associées soit supprimé. Je poursuis mes échanges avec la Première ministre sur ce point en espérant que nous serons entendus.
Vous dites de ne pas avoir été entendu par le gouvernement, notamment sur le maintien de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Est-ce à dire que le gouvernement se fiche des élus locaux ?
La réindustrialisation de notre pays est essentielle. Pour réindustrialiser, il faut du foncier disponible d’une part, et une fiscalité attractive d’autre part. C’est pourquoi l’AMF est favorable à l’allègement des impôts de production et qu’elle estime que le lien fiscal entre les communes et intercommunalités et les entreprises est un levier d’attractivité. Aussi, plutôt que de supprimer la CVAE – ce qui conduirait à rompre ce lien –, l’AMF a proposé la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui est un véritable impôt de production perçu par l’État. Cette proposition améliorerait la compétitivité des entreprises et serait moins lourde pour les comptes publics que la suppression de la CVAE. Si l’exécutif choisit de maintenir cette suppression, l’AMF propose un dégrèvement pour avoir le temps de travailler sur cette réforme et conduire les évaluations nécessaires pour apprécier son impact sur les finances locales. Nous ne voulons pas revivre les errements d’une réforme non préparée comme nous l’avons connu avec la taxe d’habitation. Pénurie de foncier, construction et mise en chantier de logements en berne, application du zéro artificialisation nette (ZAN)…
« L’AMF n’a cessé d’alerter sur les freins à la construction de logements.»
Quels verrous faut-il faire sauter pour relancer la machine et éviter une bulle immobilière ?
Le foncier est encadré par un nombre croissant de contraintes qui entretiennent sa rareté et alimentent la hausse des prix. Entre la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), le dispositif ZAN ou encore l’allocation de foncier aux énergies renouvelables, la bataille du foncier ne fait que commencer ! Pour lutter contre ces effets, les maires doivent conserver leurs pouvoirs d’urbanisme et d’aménagement, et c’est ce que l’AMF défend. Par ailleurs, nous avons travaillé sur un ensemble de propositions concrètes pour relancer la construction de logements, telles que la relance des aides aux « maires bâtisseurs », la garantie de la possibilité de flécher le Fonds friche vers des projets de construction de logements sociaux, etc. L’AMF n’a cessé d’alerter sur les freins à la construction de logements, entre la baisse des aides personnalisées au logement (APL), la superposition et la complexification des documents d’urbanisme, les injonctions contradictoires d’un État pluriel ou encore la mise en œuvre précipitée et désorganisée du ZAN. Il faut laisser les territoires s’organiser pour produire un urbanisme qui s’inscrit dans la transition écologique. On n’a jamais eu aussi peu de mises en chantier. Le marché a été privé de logements pour les actifs, faisant que les classes moyennes ne peuvent plus accéder au logement dans les villes où il y a une pression démographique. Jamais la crise du logement n’a été aussi aiguë, car jamais il n’y a eu autant d’obligations et de dispositifs réglementaires qui asphyxient le marché – donc l’offre dans les zones tendues – et éloignent les classes moyennes de la propriété. Une stagnation, voire un affaiblissement durable du marché, est à prévoir.
Être un maire bâtisseur est-il devenu un modèle obsolète ?
Le maire doit répondre aux besoins de sa population. Si une commune connaît un regain démographique, il est essentiel que le maire puisse trouver des solutions de logement. C’est à ce titre que l’AMF a demandé la révision du dispositif ZAN et saisi le Conseil d’État, car le dispositif actuel empêcherait une commune ayant peu artificialisé, qui connaît une dynamique démographique positive, de construire.
Les communes nouvelles peuvent-elles être une source d’économie, comme le préconise la Cour des comptes ?
La commune nouvelle est une exception dans notre paysage institutionnel qui incarne la subsidiarité. Elle procède d’une volonté du terrain de mutualiser les moyens sans éloigner la décision des citoyens. Elle relève du libre choix des communes, et c’est ce qui fait sa force ! L’AMF est à l’origine et soutient le mouvement des communes nouvelles et a demandé à l’État de lever les freins financiers. Une commune nouvelle ne devrait jamais percevoir moins de dotations globales de fonctionnement (DGF) que la somme de ce qui était perçu par toutes ses communes fondatrices. Il faut inscrire dans la loi de réelles garanties à long terme pour les communes nouvelles.
Jugez-vous que le modèle des métropoles soit indéfendable, voire obsolète ?
L’AMF est certes la première association d’élus ruraux, mais elle représente toutes les strates de collectivités. Le fait urbain est une réalité : près de la moitié de nos compatriotes habitent dans une unité urbaine de plus de 100 000 habitants. Ces grandes collectivités ont des défis majeurs, parmi lesquels la question des charges de centralité, la prise en compte de la diversité des territoires qui la composent, par exemple. Je ne crois pas qu’il y ait un modèle unique : je suis, là aussi, favorable à une approche par la subsidiarité et la liberté pour que chaque ensemble urbain puisse choisir son mode de fonctionnement, dans un cadre législatif qui privilégie la responsabilité et non la contrainte.
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