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Entretien avec Jean-Michel Blanquer : « Nous allons mieux flécher l’aide de l’Etat en matière d’investissement sur le bâti scolaire »

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 9 minutes

Alors que le texte « Pour une école de la confiance » vient d’être adopté au Parlement, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, revient, dans un entretien, sur les points qui ont fait débat. L’occasion d’évoquer les relations entre l’État et les collectivités locales mais aussi les sujets de la rentrée, notamment la réforme du lycée.

Propos recueillis par Sébastien Fournier

Le gouvernement, conformément aux souhaits du président de la République, met l’accent sur le premier degré. Votre circulaire de rentrée est d’ailleurs largement consacrée à la maternelle. Pour quelles raisons ?

L’école primaire est l’enjeu fondamental car les premières années sont décisives pour chaque enfant, les deux mille premiers jours en particulier. Cette priorité rassemble les familles, l’Éducation nationale mais aussi les collectivités locales au titre de leurs investissements. L’éducation, très présente dans le discours présidentiel, a rarement été autant au cœur du projet politique depuis le début de la Ve République. Les annonces présidentielles du 25 avril dernier nous permettent d’approfondir le travail engagé depuis deux ans, notamment en faveur de l’école primaire. Ainsi, aucune école primaire ne sera fermée contre l’avis des maires. Et, d’ici la fin du quinquennat, toute classe de grande section, de CP et de CE1, aura un maximum de 24 élèves.

Les comparaisons internationales montrent que le niveau du premier degré en France ne cesse de diminuer. Est-ce que l’enseignement n’y est pas adapté ? Sommes-nous suffisamment exigeants ? Qu’est-ce qui coince ?

On doit agir sur tous les facteurs qui font la réussite d’un système scolaire et celle de l’enfant. C’est pour cela que je parle de l’école de la confiance. Les pays qui vont bien sont ceux où l’ensemble de la nation fait confiance à son école : les différents acteurs, les professeurs, les parents d’élèves, les collectivités locales… C’est ainsi que l’élève prend confiance en lui-même. Or, notre société est aujourd’hui trop dans la défiance. Nous avons deux objectifs : l’élévation du niveau général et la justice sociale. Ces deux objectifs sont très liés. Si vous améliorez la justice sociale à travers l’école, vous élevez ipso facto le niveau général. L’exemple typique est le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les réseaux de l’éducation prioritaire. Nous souhaitons créer les conditions de la réussite en jouant sur plusieurs facteurs. Deux sont importants : la formation des professeurs et la relation parents-école. Les deux sujets sont au cœur de la loi « Pour une école de la confiance ». Pour avancer sur tous ces sujets, nous devons agir à la lumière de ce que les sciences, la comparaison internationale, l’expérimentation nous apportent. C’est pourquoi, la circulaire de rentrée prend pleinement en compte ces dimensions.

Le président de la République a annoncé qu’aucune école ne fermerait contre l’avis des maires. Pourtant, des classes vont continuer de fermer…

Ce sont deux sujets différents. En ce qui concerne la fermeture des écoles, nous avons identifiés 400 cas pour la rentrée prochaine. Nous sommes en train d’y travailler, commune par commune. Précisons que, sur ces 400, 153 sont des fermetures envisagées, les autres concernent des regroupements d’écoles. On peut faire en sorte qu’il y ait le minimum d’écoles qui ferment sauf dans des situations démographiques où il n’y a plus ou quasiment plus d’élèves. Et nous le faisons avec finesse pour prendre en compte d’autres paramètres comme les distances ou la vitalité d’un territoire… S’agissant des classes, on peut avoir aussi du volontarisme territorial, c’est ce que nous faisons d’ailleurs. Mais ce volontarisme a des limites puisque si vous ne faites jamais de fermetures, vous débouchez sur des inégalités et des absurdités. Prenez deux écoles, l’une à 50 élèves avec deux classes et l’autre à 100 élèves avec quatre classes. Si, l’année suivante, la première école a 25 élèves de plus et la deuxième 25 de moins, vous allez fermer une classe dans la deuxième et en ouvrir une dans la première. Si vous ne le faites pas, vous rendez le système inéquitable. Donc les fermetures et les ouvertures de classes font partie de la vie du système scolaire. Bien sûr, ce n’est jamais aussi simple dans la réalité. Le sujet est aussi démographique. Depuis quatre ans, la natalité en France est en baisse avec un déficit de 50 000 naissances par rapport au taux normal de renouvellement de la population et, dans le même temps, la métropolisation se renforce. L’Éducation nationale reste néanmoins à l’avant-garde avec les autres ministères et les collectivités locales pour renforcer l’attractivité des territoires ruraux afin que de jeunes familles s’y installent dans de bonnes conditions de vie grâce à l’école, la santé, le haut débit, l’emploi…

« Nous avons deux objectifs : l’élévation du niveau général et la justice sociale. »

Pour la prochaine rentrée, dans le premier degré, combien de postes d’enseignants seront créés pour répondre aux mesures annoncées par le président de la République ?

Nous allons créer 2 300 postes pour la rentrée prochaine et, dans les années suivantes, nous devrions continuer sur cette dynamique alors même qu’il y a une baisse démographique. Nous allons améliorer très nettement le taux d’encadrement à l’école primaire dans chaque département de France et à chaque rentrée. Le président de la République a fixé un objectif clair : pas plus de 24 élèves par classe en grande section de maternelle, CP et CE1. C’est la reconnaissance par ce gouvernement que le taux d’encadrement a de l’importance notamment pour les apprentissages des élèves dans les premières années de la vie. Cela suppose aussi un partenariat avec les collectivités locales en raison des investissements supplémentaires qu’elles auront à faire mais qui apportent des améliorations du service public à la population. Pour être en soutien, nous allons mieux flécher l’aide de l’État en matière d’investissement sur le bâti scolaire. Nous allons développer au ministère une cellule pour accompagner, autant qu’elles le souhaitent, les collectivités locales en termes de conseil et d’ingénierie…

« Nous allons développer au ministère une cellule pour accompagner autant qu’elles le souhaitent les collectivités locales en termes de conseil et d’ingénierie. »

Comment comptez-vous accompagner financièrement les collectivités locales ?

Le gouvernement, alors qu’il a mis fin à la baisse des dotations de fonctionnement, a maintenu le soutien de l’État à l’investissement local à un niveau très élevé. Nous avons engagé un travail avec le ministère de la Cohésion des territoires afin d’orienter certains investissements vers les communes. Concrètement, c’est permettre aux collectivités locales de faire ce qu’il y a de mieux pour les écoles maternelles, comme relier physiquement certaines d’entre elles à la crèche municipale.

Au sujet des collectivités locales, les oppositions urbain-rural continuent de scléroser le débat. Comment faire en sorte de les dépasser selon vous ?

C’est la question politique de notre époque. Elle dépasse d’ailleurs les limites de notre seul territoire. Le phénomène métropolitain est mondial. Pour autant, des équilibres territoriaux doivent être recherchés. On a la chance d’avoir un pays magnifique, d’une très grande diversité géographique avec une richesse naturelle et patrimoniale exceptionnelle, c’est un pays hors du commun. Tirons-en tous les bénéfices. Il y a quelque chose de masochiste à constater passivement la déprise de certains territoires et à le vivre comme une fatalité, alors même que d’autres pays considéreraient ces territoires comme de vraies opportunités. Regardez ce que dirait le Japon si on lui donnait deux départements ruraux juste à côté de Tokyo. Il les considérerait comme un atout formidable. Nous, nous les vivons parfois trop comme une difficulté. L’enjeu de rééquilibrage tient à notre capacité à revitaliser certains territoires d’un point de vue pratique avec les politiques d’éducation, de santé, du numérique et de l’emploi…

« Il y a quelque chose de masochiste à constater passivement la déprise de certains territoires et à le vivre comme une fatalité, alors même que d’autres pays considéreraient ces territoires comme de vraies opportunités. »

Mais il y aussi une dimension immatérielle, c’est-à-dire la façon dont nous vivons et nous parlons les territoires. Tout cela nous montre qu’il faut avoir une grande subtilité et du volontarisme au plus près du terrain. Mais il faut donner des outils aux collectivités locales. « Action cœur de ville » (opération du gouvernement pour revitaliser les centres-villes des villes moyennes, ndlr) est un bon exemple d’appui aux collectivités locales pour faire renaître des espaces indispensables au lien social. Le développement des campus professionnels et des internats est un bon exemple de revitalisation de la ruralité des petites et moyennes villes. Ça ne se fait pas en opposition avec les métropoles. C’est dans une forme de partenariat, de solidarité, d’intérêt partagé que l’on doit engager un travail conjoint entre les centres urbains, les autres collectivités et l’État.

« C’est dans une forme de partenariat, de solidarité, d’intérêt partagé que l’on doit engager un travail conjoint entre les centres urbains, les autres collectivités et l’État. »

À propos de la loi sur l’école de la confiance, le rapprochement des écoles et des collèges a été supprimé du texte. Il a suscité de nombreuses critiques. Pour autant, vous ne semblez pas en avoir abandonné l’idée…

J’ai décidé de le retirer du projet de loi parce que cette possibilité offerte suscitait trop de défiance. Il y a eu beaucoup de critiques, de réactions épidermiques, certaines de bonne foi, d’autres peut-être moins. Il n’a jamais été question de supprimer les directeurs d’école, de faire de ces établissements des outils de suppression des écoles primaires, même de déménagement forcé. C’était tout le contraire justement. Cela a été mal compris. Comme beaucoup le prônent, je souhaitais un système souple, non obligatoire, pour permettre une meilleure continuité entre l’école primaire et le collège au bénéfice des enfants, et une plus grande efficacité des politiques sociales et pédagogiques. L’objectif est de suivre le parcours d’un enfant de façon personnalisée, de la petite section de maternelle jusqu’à la classe de troisième. C’est l’intérêt de l’enfant qui compte et c’est bien ce que nous recherchons en permanence. Je ne souhaite pas que des malentendus s’installent.

Vous comprenez l’inquiétude des directeurs d’école ?

Il n’y a aucune inquiétude à avoir puisque nous ne touchons à rien en la matière. Je considère que cette étape a été utile puisqu’elle a permis de mettre sur la table un sujet qui a souvent été un angle mort du débat sur l’école. Désormais, nous pouvons en discuter tranquillement. C’est clairement un sujet d’amélioration du système scolaire. Mais il faut trouver un consensus sur ce point. Il faut que l’on enclenche un dialogue social et une discussion avec les collectivités locales, de façon sereine et sur la durée, pour donner justement plus d’importance aux directeurs d’école.

Avez-vous un calendrier ?

Non, encore une fois, c’est trop tôt pour en parler. C’est un sujet important mais pas urgent.

La scolarité obligatoire à trois ans va obliger les communes à prendre en charge des dépenses nouvelles, notamment celles des écoles privées. L’État les compensera selon la loi. Mais les communes qui avaient anticipé cette mesure par le passé ne pourront prétendre à la compensation, ces dépenses n’étant pas nouvelles. France urbaine vous en avait fait pourtant la demande. Que répondez-vous aux élus ?

La Constitution et la loi nous obligent à accompagner financièrement les collectivités locales pour faire face au surcroît de dépenses qu’on leur occasionne avec cette mesure. Nous ne créons pas de compétence nouvelle. Ce n’est pas la même chose. Certains auraient aimé que nous fassions du rétro-remboursement mais j’entends aussi d’autres qui nous reprochent déjà que ces sommes-là sont trop importantes et bénéficieraient trop à l’école privée. Je crois que nous avons une mesure qui a le mérite à la fois de la solidité juridique et d’une forme d’équilibre entre les différents points de vue.

La réforme du lycée entre dans sa phase opérationnelle à la rentrée prochaine. La question des spécialisations inquiète la communauté éducative mais aussi les parents. Tout sera-t-il prêt à la rentrée ?

La réforme du lycée ne se résume pas seulement aux spécialités. Il y a beaucoup d’autres enjeux. Concernant celui-là, il y a un socle de sept spécialités les plus courantes qui sont implantées dans la plupart des établissements et qui peuvent être complétées par cinq autres que l’on peut avoir selon les lycées. Il a toujours existé des situations différentes d’un lycée à l’autre en matière d’offres de formation. Ce qui est très important c’est de regarder comment concrètement la situation d’un élève de seconde progresse entre juin 2018 et juin 2019. Chaque lycéen se retrouve dans une situation de choix bien plus importante qu’auparavant. Nous avons renforcé la diversité des enseignements dans les établissements des territoires les plus défavorisés, dans les quartiers sensibles ou en milieu rural. D’une manière générale, nous avons enrichi l’offre en implantant, par exemple, la spécialité science numérique et informatique dans plus de la moitié des établissements.

Les Régions s’inquiètent de devoir financer des équipements numériques. Que leur dites-vous ?

On pourra toujours trouver que chaque sujet pose des difficultés mais c’est un progrès gigantesque que nous faisons. Je sais que les Régions sont favorables à cette évolution. Nous venons de faire passer la France à l’avant-garde en matière de l’enseignement informatique. Nous sommes un des rares pays à avoir le numérique comme discipline scolaire. Cela s’accompagne par la création du CAPES informatique, par la systématisation de l’apprentissage de la programmation à l’école primaire et au collège. Toutes les régions de France sont engagées depuis bien longtemps dans un volontarisme en matière d’équipements informatiques des lycées. Elles ont d’ailleurs souvent regretté que l’Éducation nationale ne fût pas au rendez-vous de la formation des professeurs ou même des contenus pédagogiques. Il serait paradoxal d’avoir le reproche inverse à l’heure où nous mettons à jour les contenus et les formations. Cette année, il y a près de 2 000 professeurs en France qui reçoivent une formation de haute qualité pour enseigner ces disciplines. C’est une bonne nouvelle pour les collectivités locales qui veulent avoir, en la matière, de grands professionnels en devenir pour le développement de leurs territoires.

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