Bruit, pollution de l’air, embouteillages monstres… La voiture est devenue un sujet de crispation dans les métropoles. Avec le déploiement des zones à faibles émissions, un changement de braquet est espéré pour faire reculer la place du véhicule individuel pour autant qu’une alternative sérieuse existe. Dans le même temps, la voiture entame sa mue dans sa motorisation et ses usages pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Par Nathalie Bureau du Colombier
Véritable marqueur social, symbole de liberté, d’évasion, la voiture reste le mode de déplacement plébiscité en Europe, notamment en France (80 %) où il se pratique principalement en autosolisme et sur une distance moyenne de 5 km. Les politiques publiques tentent d’infléchir la tendance en réglementant les accès, les stationnements dans les zones à forte densité urbaine et en piétonnisant au maximum les hypercentres. Plusieurs grandes villes ont même imposé la limitation à 30 km/h comme Paris, Nantes, Lille, Strasbourg et bientôt Bordeaux ou Lyon. Sans oublier le renforcement drastique des contrôles techniques voué à décourager les automobilistes. Un peu comme la cigarette, les accros ne sont pas prêts d’arrêter, quels que soient les effets délétères sur la santé générés par les externalités négatives. En effet, 40 000 décès seraient dus, chaque année, à la pollution aux particules fines, selon Santé Publique France.
« Quatre déplacements sur cinq s’effectuent en voiture en France à l’exception de Paris où la part est devenue minoritaire, avoisinant les 30 %. Elle demeure prépondérante en province. Les facteurs humain et géographique jouent un rôle de premier plan : ce n’est pas la seule présence des transports en commun, quand l’offre existe, qui va inciter les citoyens à changer leurs habitudes. La voiture ne va pas sortir de nos vies mais elle doit reculer car les pollutions sonore et atmosphérique ne sont plus tenables », analyse Julien de Labaca, fondateur du cabinet Le facilitateur de mobilité.
Nouveaux comportements citoyens
« En tant que maire, j’estime qu’il est normal que les pouvoirs publics cherchent à fluidifier la circulation. Nous devons trouver des moyens alternatifs. La ligne 1 du tramway de Nice avait suscité un combat idéologique et, aujourd’hui, elle transporte plus de 100 000 voyageurs par jour et nous allons ajouter des rames », explique Louis Nègre, maire de Cagnes-sur-Mer, premier vice-président de la métropole Nice Côte d’Azur et président du Groupement des Autorités Responsables de Transport (GART). Mais si l’offre de transports publics est essentielle, elle n’est pas toujours suffisante.
La France est passée, de 2016 à 2020, de 38 000 à 640 000 trottinettes électriques, observe Jean Ambert, directeur de l’agence de prospective en nouvelles mobilités Smart Mobility Lab
La prise de conscience écologique fait aussi émerger de nouveaux comportements citoyens. « Les plus jeunes et les femmes seraient prêts à se défaire du deuxième véhicule du foyer au profit de l’autopartage ou de la location. La tendance de fond en Europe est au développement des mobilités partagées, trottinettes, scooters, véhicules électriques. La France est passée, de 2016 à 2020, de 38 000 à 640 000 trottinettes électriques », observe pour sa part Jean Ambert, directeur de l’agence de prospective en nouvelles mobilités Smart Mobility Lab et membre du bureau de la Fédération des professionnels de la micro-mobilité.
Atteindre la neutralité carbone d’ici 2025
Dans le même temps, les métropoles françaises sont sommées par Bruxelles de trouver rapidement des solutions aux émissions de gaz à effet de serre, pour coller au paquet européen « Fit for 55 », publié le 14 juillet dernier. Il sonne comme un dernier avertissement pour tendre vers de nouvelles mobilités : l’Europe veut réduire de 55 % ses émissions de CO2 entre 1990 et 2030, et atteindre en 2050 la neutralité carbone. La loi Climat et résilience va également dans ce sens, en promouvant les alternatives à la voiture individuelle et en prévoyant la fin de la circulation des voitures les plus polluantes dans 45 grandes villes dès 2025. Mais, sur ce sujet sensible de la mobilité, les inégalités se creusent et les collectivités redoutent l’explosion sociale provoquée par l’avènement des Zones à faibles émissions (ZFE) de gaz à effet de serre auxquelles vient s’ajouter le recours croissant au télétravail pour les cadres quand les ouvriers sont contraints de se déplacer. Les plus démunis n’auront pas les moyens de changer leur véhicule malgré la prime à la conversion.
Chaussée partagée
Autre effet de la pandémie : elle a ravivé l’appétence pour les quatre-roues. Par crainte de la contagion, nombreux sont ceux qui ont délaissé le métro, le tram et le RER au bénéfice du véhicule individuel ou alors du vélo ou de la trottinette électrique. Les « coronapistes » ont fait leur apparition dans les villes pour favoriser l’usage du vélo au plus fort de la crise sanitaire. L’assistance électrique permet de parcourir des distances de 12 km en moyenne et de grignoter des parts de marché à la voiture sur certains trajets urbains.
« Nous constatons une baisse européenne du recours aux transports collectifs. Cette défiance résulte de la distanciation sociale. En voiture vous avez le sentiment d’être à l’abri. » Louis Nègre, président du GART
De fait, l’automobile doit bel et bien partager la chaussée avec d’autres modes de transport et d’autres usages avec les voies réservées aux vélos et aux bus/autocars. « Nous constatons une baisse européenne du recours aux transports collectifs. Cette défiance résulte de la distanciation sociale. En voiture vous avez le sentiment d’être à l’abri. Avec la vaccination et les masques, le taux de fréquentation des transports collectifs est tout de même remonté à 85 % et les autorités régulatrices de transport ont remis en service 100 % de l’offre », précise Louis Nègre.
Offre de service
« À l’avenir, la question du transport sera liée à la qualité du service offert et plus à la possession d’un véhicule. Les politiques de mobilités qui ne prennent pas en compte ces usages font fausse route. Nous plaidons pour une mobilité électrique, intermodale. L’usage va changer car le transport est la première source d’atteinte au climat », souligne Frédéric Busin, directeur Action régionale Paca d’EDF. « La mobilité électrique explose. Dans dix ans, un véhicule sur trois sera électrique. Nous aurons en parallèle une politique d’efficacité énergétique car si nous ne faisons rien, nous allons au-devant de difficultés pour délivrer de la puissance sur un même créneau horaire », détaille-t-il.
« La voiture de demain en ville sera plus compacte, servicielle, électrique et partagée. »Julien de Labaca, fondateur du cabinet Le facilitateur de mobilité
Quoi qu’il en soit, la voiture individuelle ne doit pas être méprisée mais, au contraire, intégrée dans un panel de solutions. « La voiture de demain en ville sera plus compacte, servicielle, électrique et partagée. Hors des villes, les véhicules thermiques continueront de rouler », prédit Julien de Labaca. Et de soupirer… : « Si seulement le transport ferroviaire pouvait jouer un rôle dans les déplacements du quotidien ! »
À 30 km/h, pollue-t-on plus qu’à 50 ?La réduction de la vitesse serait source de pollution. Info ou intox ? L’abaissement de la vitesse maximale de 50 à 30 km/h dans Paris, cet été, a déchaîné les passions. Les détracteurs du 30 km/h ont invoqué un rapport publié en août 2021 par le Cerema, intitulé « Émissions routières des polluants atmosphériques – courbes et facteurs d’influence », pour dénoncer le fait que cette vitesse générerait davantage de pollution et de gaz à effet de serre pour un véhicule thermique qu’à 50 km/h. Les « anti 30 » auraient dévoyé un des graphiques de l’étude qui portait sur une vitesse moyenne de circulation et non sur la vitesse maximale. Pour en avoir le cœur net, nous avons interrogé le chef de projet travaillant sur la connaissance et l’analyse de la mobilité au Cerema. « En ville, pour une limitation à 50 km/h, la vitesse moyenne se situe entre 15 et 20 km/h en incluant les feux, les ronds-points. La limitation de la vitesse maximale à 30 km/h ne ralentit pas le trajet. Les automobilistes freinent et accélèrent moins générant moins d’émissions polluantes », explique Mathieu Rabaud. En outre, le passage aux 30 km/h dans les agglomérations de Paris, Grenoble ou Lille est motivé par la réduction du nombre d’accidents et la diminution de la pollution… sonore. |
La voiture fait sa révolution vertePrise de conscience écologique oblique, l’image de la voiture est mise à mal. Les constructeurs automobiles multiplient ces dernières années les prouesses technologiques pour continuer à séduire leur clientèle en inondant le marché de moteurs hybrides et électriques. « Nous vivons une vague de greenwashing. Les véhicules électriques résolvent le sujet du bruit sans toutefois résoudre la question des embouteillages et du stationnement », pointe Julien de Labaca, fondateur du cabinet Le facilitateur de mobilité. D’autant que de plus en plus de véhicules électriques occupent des places de stationnement dédiées à la recharge sans faire le plein d’électricité ! La hausse du prix du carburant pourrait impulser une nouvelle dynamique en faveur du covoiturage. Des usages nouveaux et des technologies évolutives se précisent avec l’avènement de véhicules propres, interconnectés et autonomes, comme ceux que teste La Plateforme Auto- mobile sur le transport de personnes et de biens en zones urbaines, péri-urbaines et rurales. Cependant, le parcours du véhicule autonome semble encore jonché d’embûches (législatives et réglementaires). Quant à la reconversion des véhicules anciens, les experts demeurent dubitatifs. |
Lire sur le même sujet :
La gratuité des transports en commun, vraie-fausse bonne idée ?