Au départ, La Ruche était un espace de coworking pour entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire. Aujourd’hui, elle incube, avec exigence, des entreprises à différents stades et soutient des publics peu représentés dans l’entrepreneuriat.
Par Magali Tran
La Ruche bourdonne de mille activités. À l’origine de ce réseau engagé dans l’économie sociale et solidaire (ESS), la volonté de cinq entrepreneurs « à impact » de « concilier intérêt général et business », raconte Bruno Humbert, l’un des co-fondateurs. « On a créé un lieu pour se regrouper et accueillir d’autres personnes avec la même philosophie que la nôtre. » C’était en 2007 et c’était le premier espace de coworking en France. Depuis, La Ruche s’est étendue, mais toujours avec cette volonté de rester dans l’impact social ou environnemental. Après Paris, d’autres lieux ont ouvert à Marseille et à Bordeaux : « L’état d’esprit est celui d’une énorme machine à café où l’on se retrouve, discute et échange les idées et les savoirs : chaque personne qui rejoint La Ruche doit accepter ce mode de fonctionnement d’entraide et de partage », poursuit le dirigeant. Aujourd’hui, une dizaine d’espaces existent sur le territoire national.
« La Ruche est un organisme vivant. Elle s’adapte aux besoins qu’elle identifie. » Bruno Humbert, co-fondateur
Peu à peu, La Ruche a vu sa finalité évoluer. Elle est désormais surtout connue pour son activité d’incubation. Mais à sa façon. « La Ruche est un organisme vivant », souligne Bruno Humbert. Elle s’adapte aux besoins qu’elle identifie. Aussi est-ce naturellement qu’elle se positionne « là où il n’y a personne »… et donc là où se trouvent potentiellement les difficultés. « Nous avons fait le choix d’accompagner des personnes qui n’en étaient qu’au stade de l’idée. Nous sélectionnons des projets à impact à fort potentiel. Nous sommes très exigeants dans la sélection, de l’ordre de 20 à 30 places pour 300 à 500 dossiers reçus : le oui se mesure à la force du non. Cette exigence nous permet d’être totalement impliqués et ça marche : 83 % des entreprises que nous accompagnons restent en activité dans les trois ans qui suivent. »
Cibler les publics sous-représentés dans l’entrepreneuriat
C’est assez naturellement que d’autres programmes ont suivi, dont l’un destiné à l’accélération, pour permettre aux entreprises de changer de braquet. Aujourd’hui, La Ruche a franchi une autre étape avec une nouvelle offre, dédiée à la levée de fonds. « Nous avons créé un fonds d’investissement avec des partenaires, baptisé Alliance for impact. Nous détectons des projets à fort potentiel, mais qui ne sont pas encore prêts à lever des fonds ou ne savent pas comment faire. Nous leur proposons un parcours d’incubation de 6 à 18 mois, en leur prêtant les sommes nécessaires (de l’ordre de 25 000 euros) sous forme d’une obligation convertible (OC). » Ainsi, après la levée de fonds, l’entreprise doit soit rembourser cette dette, soit la transformer en action. « Dans les cinq ans, on compte accompagner près de 400 projets à impact dans la levée de fonds », espère Bruno Humbert.
Autre particularité, « on essaye de toucher les publics sous-représentés dans l’entrepreneuriat », poursuit-il. Il existe ainsi deux programmes réservés aux femmes (l’un d’incubation, « Les Audacieuses », l’autre d’accélération, « Les Ambitieuses »). Plus récemment, La Ruche s’est associée à la fondation The Human Safety Net pour développer un parcours d’incubation destiné aux réfugiés bénéficiant de la protection internationale, en Seine- Saint-Denis (Montreuil et Saint-Denis). Les activités d’hébergement en coworking et d’incubation sont séparées, mais chaque espace de La Ruche (développé sous forme d’une franchise) peut créer ses propres programmes d’accompagnement. « Celui de Marseille a inventé des formats spécifiques pour travailler avec des personnes issues des quartiers Nord : cette offre a ensuite été généralisée aux quartiers politique de la Ville, explique Bruno Humbert. Les Ruches sont des communautés de partage qui répondent, chacune, à une problématique territoriale. » Ainsi, à 40 kilomètres de Toulouse, La Ruche de Lahage, un village de 200 habitants, propose des parcours autour de la permaculture, du bio ou de l’entretien des panneaux photovoltaïques.
Essaimer dans les territoires ruraux
Dans toutes ces actions, le soutien des collectivités est important pour contribuer au financement, mais pas seulement. « Lorsque nous montons nos programmes, nous avons besoin de mentors, d’entrepreneurs locaux qui s’associent à nous : les élus sont des interlocuteurs importants par leur connaissance du tissu économique local. Ensuite, cela permet de connecter les porteurs de projet à un écosystème déjà en place », précise Bruno Humbert.
Après avoir essaimé auprès de différents publics et dans différents lieux, La Ruche s’ouvre à de nouveaux défis. Quelques autres espaces pourraient être créés (du côté de Rennes, Vannes ou de la Martinique, actuellement en discussion) mais l’enjeu est ailleurs. « Nous avons créé un parcours d’accompagnement à distance, qui vient d’être lancé avec Pôle Emploi Île-de- France. Plus qu’une simple formation en ligne, Parcours Créateurs Pôle Emploi donne accès à des experts et à un véritable accompagnement, assure Bruno Humbert. La crise sanitaire nous a forcés à aller plus vite sur cette offre on line. » Et celle-ci servira de support à l’autre ambition de La Ruche : s’adresser aux porteurs de projets issus des territoires ruraux. « Ce sera l’aboutissement de plusieurs années de travail. Aucune offre n’existe dans ces zones. »
Un modèle hybrideÀ l’origine, La Ruche est une association fiscalisée. Puis l’association a créé une SAS de statut ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale, statut créé par la loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire de 2014), afin de développer des activités commerciales. Ce modèle hybride permet de mixer intérêt général et intérêt particulier, selon Bruno Humbert, co-fondateur de La Ruche. |