Accueil Tour d'horizon « Il faut un choc majeur d’offres de transports en commun » 

« Il faut un choc majeur d’offres de transports en commun » 

par Johan Bataille-Finet
Temps de lecture : 3 minutes

Réduire de 60 % nos émissions de CO2 d’ici 10 ans, comme le prévoit le Parlement européen, oblige à un report modal massif comme jamais nous n’en avons connu. Jean Coldefy, expert en mobilité au sein du Réseau des acteurs de la mobilité intelligente, précise ici les implications d’un tel objectif, qui oblige à un choc d’offres de transports en commun et à des contraintes sur l’usage de la voiture.

Pour contenir le réchauffement climatique à + 1,5 °C, il nous faut d’ici 10 ans réduire de 60 % nos émissions de CO2, nouvel objectif fixé tout récemment par le Parlement européen. Les mobilités sont en France le premier poste de rejets de gaz à effet de serre, dont la moitié générés par la voiture. Pour faire baisser ces émissions, trois moyens possibles : rendre les véhicules moins polluants, diminuer les distances parcourues et recourir plus massivement aux transports partagés – ce que l’on appelle le report modal.

Puisque les distances parcourues en France sont stables depuis 20 ans (45 km/jour/habitant) et que les effets de l’essor de la voiture électrique sur la pollution sont limités, le report modal devra assurer un transfert de la voiture vers des transports partagés de 50 %. C’est considérable. Et le seul recours au vélo n’y suffira pas.Ce sont les liaisons périphéries/métropoles sur lesquelles il faut mettre l’accent et améliorer l’intermodalité, avec davantage de parcs-relais et des outils numériques autour du MaaS (Mobility as a Service) adaptés pour fluidifier les liaisons entre différents modes de transport.

Des ressources complémentaires

Surtout, ces dispositifs doivent s’accompagner de contraintes sur l’usage de la voiture. L’arrivée d’élus écologistes, qui placent la lutte contre le réchauffement en haut de l’agenda, va à l’évidence accroître ces contraintes. Elles sont aujourd’hui parfois mal ciblées (dans les hyper- centres) et arrivent avant les offres alternatives à la voiture individuelle, ce qui risque fort de miner la cohésion sociale et territoriale, et de réamorcer une crise des Gilets jaunes. Ces limites devraient concerner l’allocation réduite d’espaces publics en zones denses et donc les vitesses de déplacement en voiture, l’urbanisation fléchée à proximité des transports en commun et une régulation par la tarification en augmentant le coût d’usage de la voiture.

Réaliser un tel programme en 10 ans et non en 30 suppose des ressources complémentaires. Au vu du niveau actuel des impôts sur les particuliers et les entreprises, il semble inéluctable de tarifer l’usage de la route pour accéder aux grandes agglomérations. Cette tarification contraignante doit se faire une fois les solutions alternatives à la voiture mises en place, en exonérant de cette mesure les publics les plus fragiles (ou en la compensant), et avec une affectation à 100 % des recettes vers un programme précis de mobilité. Elle devrait être faible (1 à 2 e par jour) et uniquement les jours ouvrés, hors périodes de vacances scolaires.

Tarifer la mobilité à l’usage

Par ailleurs, le déploiement d’outils ITS (Intelligent Transport Systems) comme le MaaS permettra demain de tarifer la mobilité à l’usage, dans une optique de recouvrer un ratio R/D (recettes commerciales/dépenses d’exploitation) de 50 % dans les transports en commun, deux fois supérieur au ratio actuel, afin de disposer des capacités d’investissement nécessaires. Les options possibles sont nombreuses et sont à évaluer selon les territoires : passage à une tarification basée sur le quotient familial et introduction d’une tarification à la distance, maintien de l’abonnement pour les seuls trajets domicile/travail et paiement à la distance pour les autres déplacements, modulation selon les heures de pointe (générant de forts surcoûts dans les transports en commun), tarification selon la qualité de service du mode, notamment la vitesse, etc. Les outils MaaS permettent une grande flexibilité et ouvrent des opportunités qu’il convient de saisir.

Aller au-delà du voeu pieu

Réaliser ce programme suppose également une gouvernance à l’échelle de l’aire urbaine et donc une coordination entre régions et métropoles, voire l’État et les conseils départementaux pour les voiries. Cette nouvelle gouvernance devra décider du programme de mobilité, de son financement et des affectations des ressources. C’est ce que pratiquent les territoires du nord de l’Europe depuis 30 ans.

Les responsables politiques ne mesurent sans doute pas les implications d’une réduction de 60 % des émissions de CO2 d’ici 10 ans : jamais dans les 20 dernières années, nous n’avons réussi à faire baisser ni les distances journalières parcourues, ni la part modale de la voiture. Comme démontré, il faudra réduire comme jamais l’usage de la voiture dans l’accès aux grandes villes, grâce à un choc massif d’offres de transports en commun et de contraintes sur la voiture. Les politiques iront-ils, au-delà des vœux pieux, jusqu’à mettre en œuvre un tel programme et convaincre les citoyens pour qu’ils l’acceptent ?

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