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Sans retour à « l’art normal », les lieux culturels tentent de se réinventer

par Johan Bataille-Finet
Temps de lecture : 5 minutes

Le monde de la culture est toujours dans l’attente d’une réouverture des salles de spectacle, des cinémas et des musées, montrant parfois les muscles pour se faire entendre auprès du gouvernement. Malgré tout, des artistes et des responsables de lieux culturels tentent de garder un lien avec le public. Dans ce contexte, les maires de grandes villes sifflent la fin de la récré et demandent au président de la République une feuille de route pour sortir de la crise.

Par Yoanna Sallese

Depuis plus de 6 mois, les portes des lieux culturels sont fermées. Fortement impactés par la crise sanitaire, opéras, théâtres, salles de concert et musées se raccrochent à l’espoir, mince, de pouvoir rouvrir… cet été ? Forcés de rester en coulisses, ces oubliés de la crise continuent pourtant de travailler quand ils le peuvent, se creusant les méninges pour « se réinventer », comme les y invitait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 6 mai 2020. Concerts, spectacles et visites virtuelles en streaming, le numérique a, dans un premier temps, aidé la culture à toucher ses publics. Mais cela ne suffit plus aujourd’hui : après une année de pandémie, l’enjeu est de revenir au contact des spectateurs, pour leur redonner du plaisir, de l’émotion et de la magie.

Des visites depuis l’extérieur

« C’est un peu la déprime », concède Jean-Patrick Gille, vice-président à la métropole de Tours en charge des affaires culturelles. « Pour autant, la période que nous traversons ne doit pas être celle de la résignation. » Si le vice-président et les acteurs culturels de la métropole naviguent à vue, il n’en demeure pas moins que les artistes veulent poursuivre leurs activités. « Il ne s’agit pas de faire des plans sur la comète, car l’actualité ne le permet pas, mais on essaie de voir comment rendre visibles certaines expositions », ajoute Jean-Patrick Gille. Il faut de l’imagination. Le Centre de création contemporain Olivier Debré (CCC-OD), à Tours, dont le centenaire devait être célébré cette année, a trouvé une réponse… en toute évidence.

Il veut profiter de sa nef transparente, un espace de 350 mètres carrés et haut de 15 mètres, pour donner une vraie visibilité depuis l’extérieur. « La crise sanitaire nous a incités à repenser notre manière de travailler », confirme Isabelle Reiher, directrice du CCC-OD. « On vient de terminer l’installation d’un artiste péruvien, Nicolás Lamas, avec l’exposition Times in collapse. Il a travaillé un mois avec nous ; on a décidé de laisser les rideaux ouverts pour que l’exposition soit visible jour et nuit. » Depuis début février, le Centre organise même des visites en petit groupe de six per- sonnes à l’extérieur pour une durée de 45 minutes. Avec ce format réduit, « les visiteurs apprécient la proximité avec le guide et se sentent malgré tout plus proches de l’artiste, précise Isabelle Reiher. Nous ne cessons d’organiser des visites et le public vient même quand il pleut, se réjouit la directrice. Preuve que tout le monde a besoin de culture ! »

Se réinventer dans les espaces publics ?

« En ce début de printemps, et avec le couvre-feu, c’est très compliqué de faire des représentations à l’extérieur. D’autant que l’esprit n’est pas vraiment au rassemblement, le gouvernement nous l’a bien fait comprendre », ironise Jean-Patrick Gille. Reste à imaginer l’été. « À présent, mon travail est de répertorier des endroits où il est possible de se produire en plein air », poursuit l’élu. Par exemple, le musée des Beaux-Arts de Tours peut faire office de cinéma ; le domaine du château du Plessis pourrait accueillir des représentations de type comédie musicale.

Dominique Pitoiset, nouveau directeur de l’Opéra de Dijon, mène le même travail : « Nous réfléchissons à proposer aux spectateurs un opéra hors les murs. Il pourrait se dérouler dans un parc sous forme de parcours artistique autour d’une œuvre mêlant théâtre, chant et musique. » Même son de cloche pour le théâtre Châteauvallon près de Toulon : « À partir de juin, nous misons toute notre programmation sur la période estivale avec notre amphithéâtre en plein air », assure Stéphane de Bellevale, directeur des relations publiques du théâtre Châteauvallon. « Une dizaine de spectacles devraient y être joués cet été, avec de la danse, de la musique et du théâtre », et une capacité d’accueil limitée à 500 places au lieu de 1 200. Si le gouvernement l’autorise…

Spectacle vivant dans les établissements scolaires

Pour autant, la scène nationale Châteauvallon-Liberté continue à assurer des représentations auprès des scolaires, seul public encore autorisé. « Nous avons sélectionné plusieurs spectacles qui devaient se tenir durant l’hiver pour les jouer dans les lycées et collèges, comme la pièce de théâtre du comédien Swann Arlaud, explique Stéphane de Bellevale. Cela nous permet de travailler, de produire les pièces, de donner de la visibilité aux artistes et d’aller parler à la jeunesse, qui est le public de demain. » En attendant des jours meilleurs, Jean- Patrick Gille spécule : « Nous sommes partis pour avoir uniquement un public d’été. Si cette crise doit perdurer, peut-être faudrait-il songer à décaler les saisons artistiques ? » Avant d’en arriver là, les lieux culturels espèrent pour bientôt un retour à « l’art normal ».

Un cadre pour les festivals cet été ?

Pour préparer l’été, la ministre de la culture Roselyne Bachelot a précisé le cadre dans lequel pourront se tenir les festivals. La jauge pourra être de 5 000 spectateurs maximum et tous devront être assis. L’État prévoit également un fonds de 30 millions d’euros pour accompagner ces structures culturelles. À ceci s’ajoute une enveloppe de 15 millions d’euros pour aider aux captations de spectacles afin de toucher un public plus large. À noter qu’en cas d’aggravation de la pandémie, tout événement devra être annulé. Des « concerts tests » doivent se tenir en avril à Paris et Marseille pour voir dans quelle mesure ces manifestations créent ou non des clusters de contamination.

Repères

Avant la crise sanitaire, le secteur du spectacle vivant public évaluait à 5 milliards d’euros annuels ses retombées économiques. En 2021, les pertes sont estimées à 2,3 milliards d’euros.

Concernant le spectacle vivant privé, il rapporte près de 250 millions d’euros en période normale. Depuis la crise, le secteur accuse une perte de chiffre d’affaires de 60 millions d’euros.

Les syndicats culturels réclament au gouvernement la création d’un outil fiscal qui, selon eux, est indispensable à la relance culturelle.

France urbaine écrit à Macron

Une soixantaine de maires des grandes villes demandent au président Emmanuel Macron une feuille de route « pour la sortie de crise culturelle » afin de donner des « perspectives » à un secteur « en grande détresse », dans une lettre ouverte rendue publique mercredi.

« Il est urgent d’envoyer au monde de la culture des signes forts”, écrit l’association France Urbaine, qui regroupe les grandes villes et les métropoles, dans une lettre signée par sa présidente, la maire PS de Nantes Johanna Rolland, et soixante autres élus dont Anne Hidalgo (PS/Paris), Jean-Luc Moudenc (LR/Toulouse) ou encore Eric Piolle (EELV/Grenoble).

Les élus réclament « la mise en œuvre d’une feuille de route pour la reprise de la programmation culturelle et la réouverture des équipements culturels définie au niveau national » tout en étant « capable de s’adapter localement, de manière différenciée, en fonction de la situation sanitaire du territoire ».

Parmis les autres signataires figurent notamment Martine Aubry, maire PS de Lille, François Rebsamen (PS/Dijon), Benoît Payan (PS/Marseille), (LR/Saint-Etienne) ou encore François Grosdidier (LR/Metz)

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