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« L’incertitude conduit les collectivités locales à freiner les investissements »

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 6 minutes

Suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation, baisse de la dotation globale de fonctionnement, incertitudes sur la fiscalité locale : des pans entiers de recettes ont été supprimés tandis que des dépenses nouvelles pèsent sur les budgets des collectivités locales. Au total, un manque de visibilité qui pénalise la capacité d’investissement, selon Olivier Landel, directeur général de l’Agence France Locale – Société Territoriale (AFL-ST), qui va se consacrer à plein temps à la « banque des collectivités » à partir de cette année. Dans ce contexte, l’AFL, veut tout de même tirer parti de sa souplesse et de son dynamisme pour accélérer sa croissance.

Propos recueillis par Christine Murris

Les collectivités locales prennent traditionnellement en charge une part importante de l’investissement public. Est-ce toujours vrai aujourd’hui, en sont-elles toujours capables ?

Les collectivités territoriales représentent près de 70 % de l’investissement public local, soit 50 à 60 milliards d’euros par an. On peut observer plusieurs constantes concernant ces investissements. Leur volume suit un rythme électoral : on commence un nouveau mandat en terminant les chantiers en cours et, dans la seconde partie du mandat, on lance les chantiers présentés durant la campagne.

Autre constante de l’investissement des collectivités territoriales, il est strictement encadré par ce que l’on appelle la « règle d’or » qui veut que l’on ne peut pas emprunter au-delà de ce que l’on peut rembourser. Lorsqu’une collectivité n’est pas en mesure de démontrer sa capacité de remboursement, elle ne peut tout simplement pas emprunter. L’État n’a pas ces délicatesses et il peut accumuler les déficits… La dette des collectivités, elle, est saine et maîtrisée, mais elle bénéficie de redistribution par l’État d’anciens impôts locaux supprimés.

Dans ces conditions, qu’est-ce qui pèse le plus actuellement sur la capacité d’investissement des collectivités ?

Depuis des années, des pans entiers de recettes ont été supprimés. Il y a eu la suppression de la taxe professionnelle, remplacée par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), elle-même en cours de suppression. La baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), dès le début du quinquennat de François Hollande, et qui n’a fait que s’amplifier. Dès la première baisse des dotations, les associations d’élus ont dit que cela se traduirait par 25 % de chute des investissements durant le mandat concerné ; cela n’a pas manqué. Au cours du premier quinquennat du président actuel, les communes ont subi la suppression de la taxe d’habitation, dont la compensation ne prend pas en compte les dynamiques territoriales. Depuis le début des années 2000, les pertes de leviers fiscaux se succèdent alors que les besoins s’accroissent. L’autofinancement, source essentielle de l’investissement, est donc menacé et l’incertitude est croissante.

“Résultat, on ferme les piscines existantes et on n’en construit pas de nouvelles.”

La conjoncture actuelle constitue-t-elle aussi une difficulté́ pour la capacité d’autofinancement des collectivités ?

La conjoncture pèse lourdement sur les perspectives des communes et sur leurs choix : l’inflation atteint des niveaux exceptionnellement élevés, notamment s’agissant du coût de l’énergie et des carburants, et la progression des recettes, dans ces conditions, risque de ne pas couvrir la hausse des dépenses. Aujourd’hui, une ville voit sa facture énergétique multipliée, en moyenne, par quatre. Résultat, on ferme les piscines existantes et on n’en construit pas de nouvelles.
Les conséquences sur les entreprises, dans le bâtiment, les travaux publics et la commande publique en général, sont importantes. Autre difficulté, la revalorisation du point d’indice de la fonction publique territoriale. Cette hausse, bien que coûteuse pour les collectivités, est inférieure à l’inflation. Les agents perdent donc du pouvoir d’achat alors que leur pouvoir d’achat est justement très important pour le commerce et, plus largement, pour l’économie locale.

“Vu les incertitudes, vu la priorité qu’il faut donner à la transition écologique, il y a partout [des] renoncements.”

Y a-t-il des projets qui sont remis en cause dans les métropoles ?

Bien sûr ! L’inflation à elle seule fait que, même à montant égal, les communes investissent moins que par le passé. Partout, des projets sont remis en cause. Ce ne sont pas toujours des renoncements mais le plus souvent des reports ou des ambitions revues à la baisse. Ici, des travaux pour une ligne de tramway que l’on repousse, là l’ouverture d’un chantier que l’on décale… À Dunkerque, un projet de stade était lancé. On y a renoncé. À Nantes, un site touristique en reste à la première étape, on repousse la suite des travaux à des jours meilleurs. Vu les incertitudes, vu la priorité qu’il faut donner à la transition écologique, il y a partout ce genre de renoncements. C’est très différent d’une commune à l’autre, très compliqué à évaluer et à chiffrer, mais évidemment, cela existe partout.

Pourtant, en réalité, les communes ont encore des capacités d’endettement bien réelles. Mais l’incertitude prend le dessus et elles freinent…

“Avec un montant de prêts de 1,4 milliard en 2022, nous sommes le quatrième prêteur des collectivités et ce n’est pas fini !”

Dans ce contexte, quel rôle entend jouer l’Agence France Locale ?

Nous sommes une banque créée par les collectivités locales et pour elles. Cela nous permet de globaliser les besoins, de constituer ainsi en quelque sorte une « masse » et de nous présenter aux investisseurs internationaux en créancier solide. Au début des années 2000, au moment où des communautés urbaines se sont pour la première fois regroupées, elles ont observé que des exemples de ce type d’agence de financement existaient déjà, notamment dans les pays scandinaves. Nous avons ainsi vu, lors de la crise financière de 2008, que les collectivités qui y avaient accès ont plus facilement réglé leurs problèmes que celles qui n’avaient que les banques « classiques » et qui subissaient ainsi ce que l’on a appelé la crise du crédit.

Aujourd’hui, l’AFL compte 600 collectivités adhérentes, un grand nombre de métropoles, 14 au total, mais aussi des régions, des départements et, surtout, beaucoup de petites communes. Avec un montant de prêts de 1,4 milliard en 2022, nous sommes le quatrième prêteur des collectivités et ce n’est pas fini ! 30 000 entités pourraient être actionnaires et il y en a pour l’instant 600, la marge de progression est donc fort grande, même si nos 600 membres représentent déjà 23 % du stock de dette de l’ensemble des collectivités françaises.

“Nous finançons une collectivité et non pas des projets. Notre objectif est d’informer, en aucun cas de prescrire.”

Souhaitez-vous vous-même faire des choix et privilégier tel ou tel type d’investissement dans les collectivités ?

Certainement pas. Les collectivités savent ce qu’elles ont à faire : elles sont encadrées par la réglementation et leurs projets sont placés sous l’œil des citoyens. Voilà qui suffit pleinement à légitimer leurs choix, nous n’avons pas à nous en mêler car nous sommes un outil à la main des collectivités.

Pour notre part, nous finançons une collectivité et non pas des projets. Notre objectif est d’informer, en aucun cas de prescrire. Dans cette perspective, nous souhaitons cependant produire de la connaissance pour éclairer le savoir des collectivités. Nous réalisons ainsi des études, notamment avec des élèves de l’Institut national des études territoriales (INET). Par exemple, en ce moment, nous élaborons un référentiel pour la rénovation des bâtiments publics appartenant aux collectivités.

“Je reste optimiste : je crois que les collectivités territoriales se font de mieux en mieux comprendre.”

Les taux d’intérêt augmentent et l’argent est peut-être moins accessible sur les marchés. Cela pèse-t-il sur votre capacité à répondre aux besoins de vos collectivités adhérentes ?

Il y a toujours autant d’argent prêt à s’investir et les investisseurs ont confiance en notre modèle. Mais, bien sûr, pour tout le monde, le crédit est devenu plus cher et les taux sont actuellement très volatiles. Cela étant, nous restons très compétitifs, car nos collectivités emprunteuses étant aussi nos propriétaires, nous ne versons pas de dividendes, l’argent
ne s’échappe pas, il reste dans les collectivités locales ! Les collectivités ne s’y trompent d’ailleurs pas et nous avons été retenus dans 69 % des consultations auxquelles nous avons participé en 2022.

En outre, nous sommes une institution jeune, partie de rien, et nous avons donc une informatique récente, une masse salariale contenue et, au total, des coûts maîtrisés. Dans ce contexte, il s’agit surtout pour nous d’accélérer
la croissance en conservant la souplesse que nous confère la légèreté de la structure. C’est ce que nous allons faire pour accompagner les collectivités dans leur transition écologique et sociale, un enjeu essentiel.

Plus globalement, je reste optimiste : je crois que les collectivités territoriales se font de mieux en mieux comprendre. La question cruciale de l’autofinancement est mieux comprise du gouvernement et celui-ci mesure mieux aussi les limites des appels à projets. Le Fonds vert mis en place pour aider les collectivités n’est pas ce qu’il devrait être mais il pourrait s’améliorer. On a enfin, par ailleurs, ce grand ministère que l’on espérait de longue date ; même si les administrations sont encore séparées, la lutte contre les silos semble engagée…

 

Olivier Landel quitte France urbaine

En juillet prochain, Olivier Landel, également délégué général de France urbaine, se consacrera exclusivement à l’AFL. Il sera remplacé à la direction de l’association des métropoles et des grandes villes par Emmanuel Heyraud, actuel directeur adjoint. Entré en 2008 à l’Association des maires de grandes villes de France, devenue France urbaine en 2016, après la fusion avec l’Association des communautés urbaines de France, il s’est occupé essentiellement des dossiers consacrés à l’habitat et la cohésion sociale. Il est l’auteur d’ouvrages de référence sur la politique de la ville.

 

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