Considérée comme la clé de la transformation des sociétés et des villes, l’innovation portée par les start-up est choyée par les pouvoirs publics. En région parisienne, les jeunes pousses sont désormais nombreuses. Leur mission : innover et, surtout, apporter des solutions durables à un monde en pleine mutation. Leur passage au stade industriel reste cependant difficile, notamment aujourd’hui, alors que le ralentissement de l’investissement menace.
Par Christine Murris
Loïc Dosseur n’en fait pas mystère : il en a plus qu’assez qu’on ne lui parle que « licornes », levées de fond, capitalisation… Pour le directeur de Paris&Co, agence de développement économique qui anime une dizaine d’incubateurs thématiques – Le Tremplin, plateforme dédiée au sport, TechCare Paris, spécialiste de la santé, Welcome City Lab, qui accueille les start-up du tourisme, etc. – dans la métropole francilienne, là n’est pas vraiment la question. Certes, il faut que les start-up accompagnées dans les incubateurs parisiens trouvent leur modèle économique, se développent et deviennent rentables – c’est la règle commune à toute entreprise – mais il faut surtout, toujours selon le directeur de Paris&Co, qu’elles soient utiles et apportent des innovations qui soient aussi des solutions durables aux pro- blèmes de notre temps.
De l’innovation utile
Voilà la clé, insiste Loïc Dosseur, d’une innovation « socialement responsable », adaptée à notre siècle… L’agence, qui a déjà accompagné en une dizaine d’années quelque 2000 start-up, se veut donc très sélective à l’entrée de ces écloseries où l’on est choyé, à grand renfort de conseils, d’aides au financement, de constitutions de réseau… « Pas d’innovation futile ici, répète Loïc Dosseur, mais de l’innovation utile. » Un exemple ? L’immobilier et la construction comptent, avec les transports, parmi les secteurs les plus émetteurs de carbone qui soient. Les start-up qui, d’une façon ou d’une autre, apportent des solutions pour limiter ces émissions, sont ainsi jugées prioritaires.
C’est, par exemple le cas de Low What, une jeune entreprise qui analyse les consommations des particuliers comme des sociétés pour les aider à « construire leur plan d’amélioration énergétique ». « Cette start-up grandit très vite parce qu’elle répond à un problème de société », souligne Loïc Dosseur.
D’autres start-up, répondant au souci d’une alimentation plus locale et plus saine ou apportant des solutions en matière d’agriculture urbaine et/ou de mobilité respectueuse de l’environnement, sont ainsi privilégiées par les incubateurs parisiens. Pour trouver « la meilleure solution durable à un sujet réel », les responsables des incubateurs vont également à la rencontre des grandes entreprises ou des collectivités publiques pour identifier les besoins et les présenter ensuite aux start-up qui seront en mesure de chercher et d’élaborer une ou des solutions.
Paris, terreau privilégié
Et tout cela, manifestement, fonctionne : la terre francilienne, avec les incubateurs de Paris&Co, mais aussi avec bien d’autres sites liés aux entreprises ou aux campus universitaires, est devenue particulièrement fertile en matière d’innovation. Les start-up, particulièrement choyées, s’y multiplient.
« C’est à Paris », rappelle Nicolas Regnier, fondateur et animateur du Programme Ville de demain, au sein de la Station F, « qu’agit aujourd’hui le plus grand incubateur du monde, la Station F. » De fait, le site parisien fondé par Xavier Niel compte aujourd’hui une trentaine de programmes placés sous l’égide d’entreprises, comme LVMH ou L’Oréal, ou de grandes écoles. Les thématiques concernées y sont très diverses, de l’alimentation aux crypto-monnaies. Et c’est tout récemment que Ville de demain, qui unit les entreprises qui entendent faire progresser la ville durable, est née au sein de la Station F.
Point commun entre la plupart des start-up, quel que soit leur domaine de prédilection, le numérique y est omniprésent, même s’il apparaît davantage comme un outil que comme une finalité en soi. Dans de nombreux secteurs – au-delà du numérique à proprement parler, des jeux vidéo au e-commerce –, la transformation passe par le digital. Aujourd’hui encore, des sites spécialisés naissent régulièrement : ils associent acteurs et experts de filières jugées porteuses d’innovation afin de constituer de nouvelles écloseries fertiles pour les porteurs de projet.
BPI, un acteur de l’écosystème
Au printemps dernier, un tout nouveau PariSanté Campus a ainsi ouvert ses portes dans le 15e arrondissement parisien. Financé par l’État, mais aussi par l’Inserm, l’université PSL, l’Inria, le Heath Data Hug et l’Agence du numérique en santé, le site a pour ambition de structurer une filière française en santé numérique : on y partagera expertises et outils, proposera des formations, accélérera des entreprises. De quoi, affirme ParisSanté Campus, « accompagner les grandes mutations du système de santé ».
Autre acteur majeur de ce fameux « écosystème de l’innovation », la BPI (Banque publique d’investissement), qui propose un panel très large de solutions financières, de l’amorçage (fonds destinés au démarrage des start-up) jusqu’à la cotation en bourse, du crédit aux fonds propres. Entre 2013 et 2018, Bpifrance a ainsi octroyé une aide à l’innovation à 7 000 entreprises franciliennes. Les données les plus récentes montrent que les bénéficiaires sont majoritairement des très petites entreprises. L’effort de soutien à l’innovation de Bpifrance, couplé aux mesures prises par la Région, concerne un large spectre de secteurs d’activité : santé, biotechs, aéronautique, tourisme… Il faut aussi noter que l’appui de Bpifrance constitue souvent un signal fort pour les capitaux-risqueurs privés. « La BPI joue le rôle d’un très puissant guichet unique, assure Loïc Dosseur. Et pour ce qui est du financement privé, la place parisienne, désormais en pointe, est passée devant la place londonienne… »
Autres vecteurs de développement importants de « l’écosystème de l’innovation » : les pôles de compétitivité, qui associent enseignement supérieur, laboratoires de recherche et entre- prises. Au sein des centres scientifiques et technologiques que sont Paris- Saclay et ses grandes écoles, à Évry-Courcouronnes, avec le Génopole, ou encore à Champs-sur-Marne, avec la Cité Descartes, on observe la co-localisation de campus universitaires, d’écoles supérieures, d’incubateurs et de laboratoires de recherche, publics autant que privés : au sein de toutes ces structures, l’innovation se développe, à des degrés et des moments différents de sa vie, de la naissance d’une idée jusqu’à son développement entrepreneurial…
Innover, oui, mais pour quoi faire ?
Reste que si les start-up se multiplient à l’envie, leur transformation en entreprises et leur développement ne sont pas toujours au rendez-vous. C’est ce que déplore un rapport sénatorial publié en juin 2022 sous un titre explicite : « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française. » On ne saurait mieux dire : la France ne manque pas, le rapport le souligne, « d’innovations technologiques de qualité et bon marché » mais c’est par des entreprises étrangères qu’elles sont transformées et valorisées pour revenir sur le marché français sous forme d’importations qui dégradent toujours davantage la balance commerciale.
Les solutions ? Le Sénat, qui déplore le saupoudrage des aides publiques et le développement exponentiel de dispositions de soutien illisibles, préconise avant tout une stratégie appuyée sur les écosystèmes territoriaux pilotés par les régions, un appui aux phases d’industrialisation et non pas seulement aux projets en amont, et une coordination des politiques nationales avec les dispositifs européens. Dans cet esprit, le Sénat détaille toute une série de recommandations ayant pour objectif au bout du compte d’obtenir la réindustrialisation de la France par un soutien efficace à l’innovation. Il en appelle au Parlement aussi bien qu’au gouvernement et aux acteurs privés. Pour le Sénat, de fait, l’essai de l’innovation a bel et bien été marqué : reste à le transformer pour engranger les performances et faire émerger de véritables champions industriels.
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