Loin de former des espaces homogènes, les métropoles dessinent, par leurs votes, l’image d’une France fragmentée. Si elles restent en majorité favorables au président sortant, les suffrages populaires – autour de Jean-Luc Mélenchon en particulier mais également de Marine Le Pen – s’y expriment de plus en plus fortement. Décryptage.
Par Franck Soler
Non,toutes les métropoles françaises ne se ressemblent pas. Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, elles ont montré le visage d’une France tripolaire, dominée par trois forces politiques de poids et d’ambitions comparables. Et cette géographie des votes est assez révélatrice du temps présent. C’est bien dans nos grandes métropoles – en pleine métamorphose – que les inégalités sociales, les clivages identitaires et les angoisses écologiques s’expriment le plus fortement. Pour Romain Pasquier, politologue et directeur de recherche au CNRS, le vote des métropoles révèle avant tout les lignes de fractures socio-économiques. « Dans les territoires qui restent les plus cohésifs, sereins sur leur avenir, le vote Macron a encore gagné. En revanche, dans les territoires qui se sentent plus fragilisés, les métropoles où il y a davantage de tensions, de fractures, davantage de lignes de clivage entre riches et pauvres, c’est plus équilibré, voire Emmanuel Macron est en difficulté. »
Trois ensembles métropolitains distincts
Trois ensembles se distinguent parmi les quinze métropoles étudiées, situées en haut de la hiérarchie urbaine française. La Métropole du Grand Paris a clairement montré son attachement à l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon. Trois autres métropoles de province (Toulouse, Montpellier et Grenoble) se sont également rangées dans le camp des Insoumis. Les métropoles méditerranéennes (Nice, Toulon, Aix-Marseille) ont toutes plébiscité l’extrême droite. La vague bleu marine n’a épargné que Montpellier, historiquement ancrée à gauche. Les grandes villes de l’Ouest (Bordeaux, Nantes, Rennes et Rouen) et les métropoles au rayonnement européen (Lille, Strasbourg et Lyon) ont donné un net avantage au président sortant. C’est bien dans ces métropoles dynamiques et baignées d’optimisme qu’Emmanuel Macron a construit sa victoire, du moins en partie. C’est ce que souligne Romain Pasquier : « Les métropoles, c’est la France qui continue d’aller bien et où il y a de l’emploi. C’est la France de la “start-up nation” qui a voté Macron. »
Huit des quinze plus grandes métropoles ont placé le candidat d’En Marche en tête des suffrages, dès le premier tour.
Moins d’abstention dans les grandes métropoles
L’abstention, au premier tour, a été plutôt moins forte dans les grandes métropoles qu’ailleurs en France. C’est dans la métropole lilloise que les électeurs ont le plus boudé les urnes (28,9 % de non-votants). À Marseille, Nice et Toulon, la faible participation a bien profité à l’extrême droite. Par contre, à Toulouse – la métropole qui a le plus voté au premier tour avec « seulement » 20,8 % d’abstention –, il semble que la mobilisation d’un électorat « dépolitisé » – en particulier des jeunes – ait bien profité à Jean-Luc Mélenchon.
Des métropoles en marche
Dans la quasi-totalité des grandes métropoles, le vote en faveur du président sortant progresse par rapport au premier tour de la présidentielle de 2017. À Lille, par exemple, il gagne près de sept points. Huit des quinze plus grandes métropoles ont placé le candidat d’En Marche en tête des suffrages, dès le premier tour. C’est sans appel à Rennes, Strasbourg, Nantes et Bordeaux où Emmanuel Macron est plébiscité par plus de 31 % des électeurs.
L’élection présidentielle a définitivement balayé le schéma simpliste opposant la France des grandes villes à la France périphérique.
Les métropoles de l’Ouest, favorables aux formations politiques écologistes ou de centre-gauche, ainsi que les métropoles européennes et plutôt progressistes comme Lyon et Strasbourg se sont clairement exprimées pour la majorité présidentielle. Dans le Grand Paris, devancé de peu par Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron ne s’impose que dans l’hypercentre et les beaux quartiers, historiquement à droite. Le deuxième tour confirme une dynamique macronienne largement portée par le front républicain anti RN (voir les 79,9 % à Rennes et les 77,3 % à Nantes !). Jusqu’à Paris où Emmanuel Macron fait le plein (79,5 %) grâce, notamment, au report massif des voix du candidat de la France Insoumise.
Une extrême droite très sudiste
Marine Le Pen ne s’impose pas que dans les territoires éloignés des grands centres urbains. La candidate du RN se permet d’arriver en tête dans trois métropoles françaises : Toulon, Nice et Aix-Marseille. Ici, le vote en faveur de l’extrême droite – en comptabilisant les voix d’Éric Zemmour – atteint entre 36,6 et 40,8 % tout de même. Dans quasiment toutes les villes du Sud méditerranéen, de Nice à Perpignan, des villes toujours aussi sensibles aux thèses de l’extrême droite, en particulier celles touchant à l’islam et à l’immigration, la droite nationaliste renforce son implantation territoriale. Ailleurs, c’est une autre histoire. Dans les métropoles anti RN, comme Paris, Rennes ou Nantes, Marine Le Pen divise son score par deux ou trois par rapport à sa moyenne nationale. Au deuxième tour, seule la métropole toulonnaise l’a placée en tête avec 51,7 % des voix.
L’urbain pro-mélenchon
Troisième de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon doit son succès aux grandes villes. En tête au premier tour dans quatre des plus importantes métropoles – dont Paris avec un score remarquable de 33,1 % –, le candidat insoumis fait une percée significative dans l’électorat urbain. Dans Paris et sa banlieue notamment, il a surfé sur un vote de classe ravivé par l’effondrement du Parti socialiste. Il remporte aussi plusieurs métropoles traditionnellement à gauche ou écologistes comme Montpellier et Grenoble. En zoomant sur les villes-centres, le vote Mélenchon est encore plus marqué. Partout dans les cœurs des grandes métropoles (sauf à Nice, Bordeaux, Lyon et Paris), le candidat de la gauche populaire l’emporte massivement : 40,7 % à Montpellier, 40,5 % à Lille, 38,9 % à Grenoble, 37 % à Toulouse. Au-delà du simple « vote utile » à gauche, c’est un nouvel électorat urbain, jeune et populaire – sorti de l’abstention – que Jean-Luc Mélenchon a su capter. Romain Pasquier y voit également le signe d’une gentrification des centres urbains denses, là où les classes moyennes plutôt aisées ont exprimé des attentes écologiques fortes : « On observe un vote de la gauche écologiste très marqué dans le centre-ville des métropoles. Plus on s’éloigne de l’hypercentre, vers des communes périphériques parfois plus riches, plus le vote macroniste centriste prend le dessus. »
L’écologie à la peine
Le candidat écologiste Yannick Jadot ne fait un score « honorable » que dans deux métropoles : Nantes (avec 9,2 %) et Rennes (9 %). Ailleurs, c’est la déroute, même dans les métropoles actuellement gouvernées par les écologistes comme à Bordeaux (6,8 %), Lyon (6 %) ou Grenoble (7,4 %). Dans les grandes métropoles, les aspirations écologistes sont fortes, mais c’est bien Jean-Luc Mélenchon qui en a le plus profité.
L’effondrement des partis de gouvernement
Anne Hidalgo, représentante du PS et maire de Paris, n’obtient que 1,6 % des suffrages exprimés dans la Métropole du Grand Paris. Même dans la ville-centre, elle n’a pas profité de son ancrage local. Une déroute cinglante. Valérie Pécresse, candidate du parti LR, fait son meilleur score à Paris avec 6,1 % des votes. Dans toutes les autres métropoles, elle est largement devancée par Éric Zemmour qui lui grignote une grande partie des voix. L’élection présidentielle a donc définitivement balayé le schéma simpliste opposant « deux France», la France des grandes villes et la France périphérique. L’une optimiste et ouverte à la mondialisation, et l’autre ethnocentrée et réactionnaire. L’une qui serait plutôt favorable à Emmanuel Macron et l’autre à Marine Le Pen. À noter également, parmi les enseignements à tirer du vote des grandes métropoles, le profond décalage entre le national et le local. Le plus souvent gouvernées par des représentants de partis en déroute, les métropoles ont exprimé un subtil paradoxe électoral tiraillé entre idéologie et pragmatisme.
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