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La 5G au prisme des usages

par Johan Bataille-Finet
Temps de lecture : 4 minutes

Porteuse de promesses, la 5G suscite des débats passionnés. La question des usages de la 5e génération de téléphonie mobile cristallise les tensions autour d’inquiétudes sanitaires et d’enjeux écologiques. Si la technologie est moteur de progrès, la finalité reste à définir.

Par Magali Tran

Quelles sont les promesses de la 5G, la 5e génération de téléphonie mobile ? Elles reposent sur un triptyque : des débits augmentés jusqu’à dix fois plus importants que ceux de la 4G, des temps de latence très réduits et une densification importante des connexions. À la clé, les nouveaux usages pourraient être exponentiels. Concrètement, pour les particuliers, la 5G ne devrait pas changer grand-chose dans un premier temps : ils verront des vidéos et des techniques immersives (réalité virtuelle) de meilleure qualité ; les jeux connectés s’en trouveront aussi améliorés. La densification des connexions entre appareils (les « terminaux » dans le jargon) verra la montée en puissance de la domotique avec des objets connectés mais, pour l’heure, difficile de savoir pour quels usages précisément.

Un intérêt pédagogique

Quant aux collectivités, elles pourraient bénéficier de systèmes de vidéo-surveillance de très haute qualité, développer les mobilités connectées ou encore parfaire des smart-cities. Mais c’est surtout dans le secteur industriel que la 5G ouvre des perspectives. « Ce sera une révolution pour les entreprises », affirme Guy Pujolle, informaticien, spécialiste des réseaux et professeur à Sorbonne Université. « L’automatisation des process permettra d’augmenter fortement la productivité. C’est bien ça l’objectif de la 5G : la compétitivité. » On évoque le pilotage de lignes de production sans fil, le guidage des machines dans les zones industrielles ou portuaires, la montée en puissance de la télémédecine et de la téléchirurgie, l’accélération de la robotique avec des collaborations drone/robot rendues possibles… La liste est sans fin.

François Rousseau, directeur de l’École des Mines de Nancy, qui sera équipée en 5G dès 2021, y voit un autre intérêt, pédagogique : « Nous avons l’envie de travailler sur la société du futur. Nous voulons que les ingénieurs qu’on forme le soient avec ce qui est le plus à la pointe possible, au plus près des technologies du futur. » Et de poursuivre, catégorique : « Les enjeux sont énormes : ceux qui prendront le virage trop tard seront marginalisés dans l’influence qu’ils peuvent avoir sur le monde de demain. »

Quels usages et quels besoins ?

Toutefois, tous les usages évoqués ou imaginés sont déjà possibles avec la 4G et/ou la fibre. La 5G n’a donc pas l’exclusivité des projets innovants. Et inversement, « pour l’heure, aucun usage n’a pas fait la preuve qu’il avait besoin de la 5G », tempère Bruno Foucras, professeur agrégé de sciences industrielles de l’ingénieur à Aix-Marseille Université et membre du think tank The Shift Project*. Pour lui, c’est la question des besoins, encore plus que celle des usages, qui doit être posée. À titre d’exemple, « le véhicule autonome, qui devrait bénéficier pleinement de l’essor de la 5G, avec une meilleure fiabilité et des temps de latence réduits, semble intéressant », remarque Caroline Zorn, vice-présidente en charge de la métropole numérique à l’Eurométropole de Strasbourg. « Mais la question se pose de savoir si l’on veut de ces véhicules, dans un objectif de réduction de la circulation automobile, pour réaliser la transition environnementale. » Ce que Bruno Foucras résume en ces termes : « Doit-on mettre de l’argent dans la 5G pour éviter les bouchons… ou pour qu’il y ait moins de voitures ? »

Côme Girschig, porte-parole du collectif Procès 5G France, lui, « craint ce déploiement d’un point de vue méthodologique : on fait les choses dans le désordre. La 5G va apporter une révolution en termes économique et numérique, mais c’est un choix qu’on n’a pas fait. Ça pose la question du projet de société que l’on souhaite ».

L’impact environnemental inquiète

D’autant que l’augmentation des débits et les usages nouveaux entraîneront nécessairement un effet rebond, et ce, même si, à périmètre constant, les niveaux de consommation électrique par quantité d’informations échangées diminuent. Xavier Verne, directeur de projet à la SNCF et expert sobriété numérique pour The Shift Project, explique : « Quand il y a des gains technologiques, on maximise l’usage. Avec la 5G, c’est comme si on créait une 5e voie d’autoroute, sans savoir ce qui va rouler dessus. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’on va remplir les tuyaux. » D’où une inquiétude grandissante concernant l’impact environnemental de la 5G : « Est-on prêt à en assumer le coût énergétique ? On parle de smart-cities, d’accord, mais a-t-on des exemples de smart-cities dont la facture carbone a diminué ? Je n’en connais pas. » Dans son rapport remis fin 2020, le Haut conseil pour le climat (HCC) alerte lui aussi : « Le déploiement de la 5G peut induire des émissions directes (construction, déploiement des infrastructures) ou indirectes (mise à disposition de nouvelles infrastructures, terminaux et services pour les usages de la 5G, qui génèrent des émissions de gaz à effet de serre pour leur fabrication et leur utilisation). Selon l’intensité du déploiement, l’impact carbone de la 5G pourrait ajouter entre 2,7 Mt éqCO2 et 6,7 Mt éqCO2 en 2030 à l’empreinte carbone du numérique. » Des chiffres « difficilement compatibles avec la trajectoire carbone de la France », commente Jean-Marc Jancovici, membre du HCC.

Favoriser la 5G dédiée à la transition écologique

Alors, quels garde-fous déployer ? Guy Pujolle estime qu’« il faut accepter les progrès apportés par la 5G, mais associer son déploiement à des limitations : limiter les puissances d’émission pour moins de risque sanitaire ; limiter les débits pour éviter les applications qui ne servent à rien… » Le HCC préconise pour sa part de favoriser la 5G dédiée à la transition écologique à travers des usages qui permettront de maintenir la trajectoire carbone, via des taxes par exemple. L’État a d’ailleurs fait des propositions en ce sens, dans sa feuille de route Numérique et Environnement présentée au mois de février pour « faire du numérique un levier de la transition écologique et solidaire ». Le fonds du 4e Programme d’investissements d’avenir (PIA) et un autre de 300 millions d’euros viendront soutenir la GreenTech et les innovations mettant la 5G au service de la transition écologique. Est-ce que cela sera suffisant ? Certains en doutent.

* The Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone.

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