Entretien avec Jean-Luc Moudenc, président de France urbaine et de Toulouse Métropole
Propos recueillis par Cécile Perrin
Promoteur de l’alliance des territoires, Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole et de France urbaine, l’association des métropoles, agglos et grandes villes, estime que l’intercommunalité est aujourd’hui un processus irréversible. Les métropoles qu’il représente doivent s’attaquer aux questions de fond, notamment aux problématiques sociales, mais elles doivent aussi partager leur dynamisme avec les territoires voisins. Il préconise des coopérations ciblées et concrètes et regrette les vaines polémiques qui relèvent de postures politiques opposant grandes villes et ruralité.
En tant que président de France urbaine, vous prônez l’alliance des territoires. Pouvez-vous rappeler de quoi il s’agit ?
L’alliance des territoires, c’est l’idée que si les métropoles et les grands centres du pays connaissent un fort dynamisme, il n’est pas concevable que ce dynamisme ne soit pas partagé. Et comment peut-il profiter à son environnement ? Nous pensons que des contrats de coopération, les accords ou ce qu’on a appelé les contrats de réciprocité doivent être signés avec les pays, les PETR (pôles d’équilibre territoriaux ruraux) et les communautés de communes. Coopérer signifie que le dynamisme d’une agglomération ne doit pas être conçu de manière égoïste. Or, il y a aujourd’hui un décrochage évident qui ne date pas de la création des métropoles. De telles fractures territoriales ne sont pas saines. Pour y remédier, un des moyens consiste pour les élus urbains et ruraux à se parler sans intermédiaire.
Quel est votre sentiment sur les oppositions entre le monde urbain et le monde rural qui s’expriment aujourd’hui ? Sont-elles la marque des fractures réelles ou y voyez-vous plutôt des postures politiques ?
On ne peut pas nier que, dans certains endroits, les territoires subissent une déprise économique. Il existe de vrais problèmes. Ce que je regrette, c’est que sur cette réalité se sont greffées des postures politiques, tant à droite qu’à gauche. Elles consistent à montrer du doigt les méchantes villes, dans une confrontation permanente. Or moi, je considère qu’une métropole n’est jamais en concurrence avec le monde rural. Lorsqu’une entreprise s’installe, elle recherche un environnement, un écosystème, qu’elle va trouver dans les grandes agglomérations. En pratique, la concurrence se joue entre métropoles, et pas entre métropole et monde rural. À partir du moment où une métropole attire des entreprises, il faut qu’elle réfléchisse aux moyens de diffuser cette richesse économique au-delà de son périmètre. Il n’y a pas de solution toute faite, ça ne veut pas dire que la bonne volonté suffit. On n’inverse pas les courbes du jour au lendemain, mais le dialogue, à terme, doit porter ses fruits, en tout cas plus que la confrontation stérile.
Le gouvernement n’est-il pas en partie responsable, en s’affichant trop près des métropoles ?
Ce débat a commencé bien avant la formation de ce gouvernement.
« Ce qui nous intéresse, ce sont les problèmes de fond. La Conférence des villes cette année porte sur une thématique sociale parce des problématiques de nature sociale se posent en ville. »
La campagne présidentielle a laissé apparaître cette question pendant plusieurs mois. Aujourd’hui, le gouvernement est favorable à ce mouvement d’alliance des territoires. Plutôt que de perdre du temps en polémiques, contre les métropoles, contre le gouvernement, il faut se mettre autour d’une table.
Le sujet de l’opposition ville/ campagne est-il un enjeu de la Conférence des villes, alors que la thématique de cette édition 2018 est clairement sociale ?
Nous, à France urbaine, nous n’avons jamais été dans les querelles et les polémiques. Nous rassemblons tous les élus et nous parlons d’une seule voix. Ce qui nous intéresse, ce sont les problèmes de fond. La Conférence des villes cette année porte sur une thématique sociale parce que des problématiques de nature sociale se posent en ville. Le sujet concerne l’État, les départements, mais aussi les villes. Le Président a présenté son plan pauvreté en septembre, le rôle des départements est incontournable, mais certaines métropoles mènent aussi des expérimentations. De plus, la loi NOTRe a transféré un certain nombre de compétences à caractère social du département à la métropole. Par ailleurs, nous avons développé des actions notamment périscolaires, à forte vocation sociale.
Cette orientation sociale de la Conférence des villes vient-elle annoncer un soutien au projet de fusion des métropoles et des départements ?
C’est une discussion que nous aurons. Il appartient au gouvernement d’ouvrir le débat, ce sera à nous de nous positionner. La seule chose que je peux remarquer, c’est un vécu du quotidien : dans les quartiers de Toulouse, le centre social, qui réunit les services de la Caisse d’allocations familiales et le CCAS (centre communal d’action sociale), se trouve à quelques centaines de mètres d’une Maison des solidarités du Conseil départemental. Est-ce que ce n’est pas redondant ? N’est-ce pas une perte d’efficacité de l’action publique sur la thématique sociale ? Il faudra aborder le sujet de la manière la plus objective possible, la moins polémique. Nous devrons partir du terrain, être dans le concret et suivre un processus de transformation de l’action publique pour une plus grande efficacité.
Certains observateurs préconisent de renforcer l’échelon de la commune et déclarent que l’intercommunalité ne doit pas être une instance supra-communale. Qu’en pensez-vous ?
Toute la France est désormais couverte par l’intercommunalité. On ne reviendra pas dessus. Il faut rechercher un équilibre. Mais je pense ici au succès de la commune nouvelle, qui a fait passer le pays de 36 000 à 35 000 communes. De petites communes avec peu de moyens se sont regroupées. Je crois à la pertinence de la formule de la commune nouvelle dans la ruralité. D’autre part, au sein de Toulouse Métropole, il y a 37 communes et l’articulation entre métropole et communes se fait de manière respectueuse et efficace. Par exemple, la métropole développe des projets de nature métropolitaine, d’intérêt supra-communal, comme le Parc des expositions. Un tel équipement profite à tout le territoire, sans porter ombrage à aucune commune.
Sur le terrain, les coopérations territoriales fonctionnent de manière inégale. Que faudrait-il faire pour accélérer les choses ? L’État doit-il intervenir ?
Oui, je pense qu’il faudrait rendre obligatoire ces coopérations. Si leur répartition est très inégale, c’est parce qu’il y a des élus très volontaires et d’autres pas assez. On n’arrêtera pas la dynamique métropolitaine, concomitamment, la coopération doit monter en puissance. Plus une métropole est forte, plus elle doit coopérer.
Sur votre territoire, vous avez créé l’association du Dialogue métropolitain en 2013, signé des contrats de réciprocité et d’autres conventions de coopération. Existe-t-il une recette pour engager le dialogue territorial ?
Les recettes relèvent du pragmatisme à partir du terrain, des expériences qui constituent des références, comme à Toulouse mais aussi à Brest où il se passe des choses très intéressantes. Lorsque nous discutons avec nos collègues ruraux, nous sélectionnons trois ou quatre sujets sur lesquels nous focalisons l’effort de coopération. Puis, à partir de réalisations concrètes, on tisse peu à peu le lien et on crée la confiance.
Justement, pouvez-vous nous présenter des exemples concrets ?
Évidemment, il y ceux de Toulouse avec le Pays gersois des Portes de Gascogne. Nous avons engagé plusieurs actions, comme le projet alimentaire de territoire. Comment approvisionner nos cantines centrales ? Elles représentent pour la mairie de Toulouse 34 000 repas par jour dans les cantines scolaires et les restaurants seniors solidaires. Nous avons constaté qu’une majorité de produits ne provenait pas de la région. Avec la coopération territoriale, très concrètement, désormais, le veau servi dans les cantines vient du Gers. Une filière de 150 producteurs de veaux fournit de la viande de qualité et, pour eux, c’est un marché garanti. Depuis, ces producteurs ont réinvesti dans l’atelier de découpe des abattoirs d’Auch, qui étaient menacés de disparition faute de commandes. Je souhaite que nous signions d’autres contrats sur les autres produits de la restauration collective. Parallèlement, pourquoi ne pas travailler sur ce sujet avec Airbus et les hôpitaux de Toulouse ? Nous avons identifié un potentiel de 77 000 repas par jour, ce qui représente de l’emploi et un volume de produits important. La démarche se met en place progressivement, dans le respect des textes, notamment en ce qui concerne les appels d’offres. Il existe d’autres exemples en matière de tourisme. Toulouse attire de plus en plus de visiteurs grâce à ses monuments et son patrimoine. Pourquoi ne pas parler des attraits touristiques des alentours ? Cela veut dire ne pas limiter la promotion à nos sites urbains. Un troisième exemple avec le Gers concerne le télétravail, pratiqué par un nombre croissant de personnes. Cela implique notamment l’aménagement de lieux connectés. Nous avons identifié trois petites villes susceptibles d’accueillir des tiers lieux de coworking. Il en résulte une véritable complémentarité car ces actions contribuent à diminuer la congestion automobile et la pollution métropolitaine : tout le monde y gagne.