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Urbanisme : changer de modèle ?

par Johan Bataille-Finet
Temps de lecture : 4 minutes

Les différentes crises – climatique, sanitaire, les Gilets jaunes – ont remis sur la table les dossiers relatifs à l’urbanisme, frappés d’un tampon « urgent » : qualité́ des logements, mobilités, nature en ville… Agissant comme un révélateur et un accélérateur de changement, la Covid-19 invite à revoir les façons d’aménager, vers plus de proximité́ et de sobriété́. Enfin ?

Par Magali Tran

Et si on modifiait les façons de faire la ville ? Avant, on discourait sur l’étalement urbain, aujourd’hui, on parle d’artificialisation des sols. Si le vocable a changé, le problème est resté quasiment le même depuis des années. Mais à présent, les lignes bougent. L’idée fait son chemin d’un changement de paradigme en matière d’urbanisme. La crise sanitaire notamment a permis d’accélérer les transformations à l’œuvre. Ainsi, le premier confinement, il y a un an, « a eu plus un effet sur le rythme que sur le fond dans nos façons de concevoir la ville », estime Hugues Parant, directeur général de l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée. « Tous les sujets ou presque étaient déjà dans les tuyaux, mais la Covid a révélé en quatre mois ce qu’il fallait faire : on a manqué de nature, on a manqué de rencontres. On a manqué aussi de lieux mobilisables à des fins collectives. On va gagner cinq ans sur ces sujets », lance-t-il, optimiste.

La crise climatique et environnementale invite, elle, à adopter un autre point de vue sur le foncier et à le considérer comme une ressource rare… et donc à préserver.

Chercher la sobriété

La crise climatique et environnementale invite, elle, à adopter un autre point de vue sur le foncier et à le considérer comme une ressource rare… et donc à préserver. De même que l’on recycle les objets ou les matériaux, le sol pourrait lui aussi être (mieux) réutilisé. C’est ce que le gouvernement invite à faire à travers l’objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN). « La lutte contre l’artificialisation des sols invite à réinventer la ville sur elle-même : les espaces intermédiaires, les friches industrielles, commerciales », listait Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement lors d’une table-ronde en début d’année. Selon Nicolas Delon, architecte à l’agence Encore Heureux, « on est dans un système qui cherche l’efficacité, en tout, alors qu’on devrait plutôt viser la sobriété. Il faudrait moins construire mais plutôt transformer les bâtiments existants pour répondre à la demande de logements ». Pour lui, « l’enjeu collectif de notre siècle, c’est de pouvoir passer à l’échelle ». Bref, accélérer.

Vers un urbanisme circulaire

Dans le même ordre d’idées, l’urbaniste Sylvain Grisot défend un nouveau modèle d’urbanisme plus attractif, alors que « la machine à fabriquer la ville tourne à vide, avec un quart des lotissements qui sont construits dans des villes qui perdent des habitants ». Dans son ouvrage Manifeste pour un urbanisme circulaire*, il identifie trois façons de faire. La plus simple, c’est d’abord d’« intensifier les usages de l’existant », c’est-à-dire éviter de construire et de déconstruire. On pense ici à l’urbanisme transitoire, mouvement qui prend de l’ampleur pour occuper des lieux et des bâtiments de manière temporaire, en attendant qu’ils trouvent une nouvelle vie pérenne. Autre option, transformer l’existant, par exemple en construisant un étage de plus au-dessus d’un immeuble ou en convertissant des bureaux vides en logements, sujet qui commence à prendre de l’ampleur. Enfin, dernière phase, plus consommatrice de ressources, recycler les espaces pour éviter de s’étaler davantage : densifier, construire les dents creuses, réhabiliter les friches.

Retrouver la proximité

Ce dernier sujet, sur lequel les Établissements publics fonciers (EPF) planchent depuis dix ans, pourrait connaître lui aussi une accélération avec la création du Fonds Friches, doté de 300 millions d’euros, fin 2020 (cf. OMF 8). Prévu par le gouvernement dans le Plan de relance, « c’est un point de départ pour diviser par deux le rythme d’artificialisation », explique la ministre chargée du Logement. Car il y a urgence : « L’urbanisme tel qu’il est pratiqué, de façon linéaire, conduit à une impasse climatique directe, avec l’artificialisation des sols, et indirecte, avec la croissance des mobilités », alerte Sylvain Grisot. D’où l’importance, également, de rapprocher les services, pour faire la ville de la proximité. Hugues Parant ne dit pas autre chose : « Le confinement a donné sa propre définition de la proximité, un rayon de 1 kilomètre autour du domicile. » Selon l’aménageur, « il faut développer des “quartiers villages”. C’est nécessaire même pour les secteurs proches du centre-ville ou bien reliés à lui. À nous de définir un référentiel des services obligatoires à cette échelle de proximité, comme une pharmacie ou une boulangerie, que l’on appliquera dans les quatre nouveaux quartiers d’Euroméditerranée ». Car relier les quartiers périphériques au centre-ville par les transports en commun ne doit plus être la seule solution. Ainsi, pour Hugues Parant, « la vision post-Covid de l’aménageur va s’opposer à la vision pré-Covid des spécialistes de la mobilité ». Les solutions existent déjà, c’est une bonne nouvelle. Reste à passer à l’acte et, pour cela, se mobiliser, tous.

* Manifeste pour un urbanisme circulaire. Pour des alternatives concrètes à l’étalement de la ville, Sylvain Grisot – Éditions Apogée, 224 p., 15e.

Accélérer la transformation de bureaux en logements

Le sujet de la transformation des bureaux en logements, un marronnier ? La ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, dressait un bilan en février dernier : « Depuis 2018, 417 000 m2 de logements issus de la transformation de bureaux ont fait l’objet d’une demande de permis de construire, dont 110 000 m2 dans l’agglomération parisienne (26 %) et 190 000 m2 dans les autres grandes agglomérations (46 %). » Pour la ministre, reste encore à « accélérer considérablement cette dynamique ».

De son côté, la Ville de Paris dédie son 3e appel à projets « Réinventer Paris » à ce sujet spécifique. Six premiers sites ont été identifiés pour transformer environ 60 000 m2 de bureaux en logements.

Lire sur le même sujet :
« Inventons de nouveaux modèles urbains », Magali Talandier, professeure en urbanisme et aménagement du territoire à l’université de Grenoble
« Sous les deux mandatures précédentes, rien n’a été fait pour lutter contre l’artificialisation des sols »

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