Tout a été dit sur les raisons de l’abstention record lors des dernières élections. En revanche, peu de choses sur les remèdes à apporter. Comment faire pour que cette élection intermédiaire intéresse davantage les Français ? Romain Pasquier, chercheur au CNRS, explique qu’il faut redessiner la carte actuelle des régions pour retrouver « une adhésion entre l’espace politique vécu et l’espace des politiques publiques ». A l’inverse, Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, estime qu’il ne faut pas y toucher. Selon lui, cela détournerait les exécutifs régionaux de la mise en œuvre des politiques publiques. Il considère qu’il faut davantage décentraliser et clarifier les compétences. Échange de points de vue.
Par Sébastien Fournier
« Pour les citoyens, c’est “Jurassic Park” ! »
Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS
Comment expliquer le fort taux d’abstention aux Régionales ?
Les élections régionales ne passionnent pas les foules. On le sait depuis longtemps. Ces élections ont toujours mobilisé entre 45 et 55 % de participation. Mais nous avons atteint là un seuil tout à fait exceptionnel, lié au contexte sanitaire bien sûr, mais qui doit nous interroger notamment sur l’illisibilité de notre organisation et la perception extrêmement floue que les citoyens ont des régions. Il faut bien se rendre compte que pour eux, c’est complètement « Jurassic Park » ! La gouvernance à la française, un mille-feuille territorial, n’est sans doute pas la seule explication mais elle n’a vraiment pas incité les Français à se déplacer. Ils ont eu la flemme de se rendre aux urnes.
À part François Hollande (qui a porté la réforme, ndlr), plus personne n’est convaincu par cette nouvelle carte.
Pensez-vous que la carte des régions doit être révisée ?
Je pense qu’il faudrait le faire. Si l’on veut véritablement retrouver du sens territorial, une adhésion entre l’espace politique vécu et l’espace des politiques publiques, il faudrait s’y atteler. Mais qui voudra le faire ? Évidemment, il y a plus de coups que de gains politiques à prendre. Une des pistes pour y parvenir serait de réactiver le conseiller territorial qui avait été proposé par le rapport Balladur en 2007. Mais, à l’époque, le découpage n’était pas le même. Là, avec ces régions aussi grandes que la Belgique ou l’Autriche pour certaines d’entre elles, cela paraît difficile de le faire. À part François Hollande (qui a porté la réforme, ndlr), plus personne n’est convaincu par cette nouvelle carte. Il faudrait la démanteler. Je le dis de façon utopique car, vu les rapports de force, je ne suis pas certain que nous puissions y arriver.
Le sujet n’est-il pas plutôt de donner plus de pouvoirs aux régions ?
Il est certain que la réforme aurait dû renforcer leurs pouvoirs et pas leur surface. Si vous voulez des régions puissantes, des régions qui intéressent, il leur en faut. Regardez en Corse : il y a une collectivité territoriale unique qui gère à la fois les compétences des départements et celles de la région ; il y a de vrais clivages, résultat, il y a deux fois plus de participation. À Mayotte, collectivité unique, il y a eu 90 % de participation. Lorsqu’il y a des débats territorialisés avec des institutions puissantes, cela incite les Français à se déplacer. Ils ont l’impression que leur vote peut changer leur quotidien. Là, ils ne savent pas qui fait quoi. Le RSA tombera toujours et les TER continueront de rouler. En revanche, si les régions géraient la santé, l’éducation, les universités, l’insertion jusqu’à l’employabilité, là il y aurait plus d’intérêt à participer.
Si l’on veut faire une grande réforme de décentralisation, il vaut mieux ne pas avoir trop de relais auprès des élus locaux parce qu’on ne peut pas avancer.
L’État doit donc impulser le mouvement ?
L’État doit clarifier et faire des choix. La clarification des compétences, me semble-t-il, repose sur trois échelons forts : un local, un intermédiaire et le niveau national. Nous, on n’a rien de tout cela. La difficulté, c’est que lorsque vous êtes au pouvoir, il est difficile d’agir, parce que les élus locaux qui appartiennent à la majorité demandent toujours à ne pas être sacrifiés. Si l’on veut faire une grande réforme de décentralisation, il vaut mieux ne pas avoir trop de relais auprès des élus locaux parce qu’on ne peut pas avancer.
« Ne pas remettre sur la table un chantier administratif consommateur d’énergie »
Jules Nyssen, délégué général de l’association Régions de France
Les régions actuelles sont-elles bien identifiées par les Français ?
C’est assez paradoxal. Les noms des régions et de leurs présidents sont relativement connus, en tout cas leur notoriété progresse, soit parce que ce sont des personnalités politiques nationales, soit parce que le nombre de régions diminue. D’un autre côté, nos concitoyens ont une mauvaise vision, mais on ne peut pas leur en faire reproche, de leurs responsabilités en matière de politiques publiques.
Il y a une méfiance vis-à-vis des pouvoirs locaux comme si la construction de l’unité de l’État était en péril à cause des élus locaux.
À qui la faute ?
À tout le monde mais il me semble surtout que la culture extrêmement centralisée de notre pays en est la cause. Cela ne date pas de ce gouvernement. Depuis longtemps, il y a une méfiance vis-à-vis des pouvoirs locaux comme si la construction de l’unité de l’État était en péril à cause d’eux. Cette méfiance est plus prononcée envers les régions parce qu’elles sont peu nombreuses et plus visibles politiquement. Cela n’incite pas à transférer des pouvoirs et des responsabilités. Or, pour davantage de visibilité, il faudrait que l’État accepte d’en délester une partie, de les confier aux régions et éventuellement à d’autres niveaux de collectivités, mais dans un système clair et pas entremêlé où il est compliqué de savoir qui fait quoi.
Il suffit alors de transférer plus de pouvoirs…
La question est moins celle du pouvoir en tant que tel que des responsabilités. Pour pouvoir être responsable d’un sujet, il faut avoir les moyens de le mettre en œuvre. Et si vous en avez les moyens, vous devez en assumer la responsabilité politique. Or, aujourd’hui, les régions n’ont qu’un bout des responsabilités et in fine l’État est toujours là. Un lycéen va avoir affaire aux personnels de l’éducation nationale, or les équipements sont payés par la région. Un demandeur d’emploi, qui veut une formation, va s’adresser à Pôle emploi, alors que c’est la région qui va la financer. Il faudrait clarifier ces situations, en confiant des blocs de responsabilités qui vont plus loin. Les régions françaises représentent un poids de dépenses publiques assez faible quand on les compare avec les régions européennes et pas simplement l’Allemagne, que l’on cite tout le temps, mais aussi l’Italie, l’Espagne…
Personne ne considère que la carte est très rationnelle mais personne dans les régions ne souhaite revenir en arrière.
Ne faudrait-il pas aussi redessiner les contours des régions ?
Je ne le pense pas. Ce serait remettre sur la table un chantier administratif qui est consommateur d’énergie et qui détourne les exécutifs régionaux de la mise en œuvre des politiques publiques. Personne ne considère que la carte est très rationnelle mais personne dans les régions ne souhaite revenir en arrière. Il faut essayer de faire avec. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir des ajustements ici où là. Ce qui est certain, c’est que la fusion des régions n’est pas responsable du manque d’intérêt de nos concitoyens. Il n’y a pas eu de différence de participation entre les régions fusionnées et celles qui ne l’ont pas été. C’est plutôt le manque de clarté dans les compétences qui est en cause.
Ce sujet doit être au cœur du débat de la présidentielle, car c’est au président de la République de le porter.
Êtes-vous favorable, pour simplifier l’action publique, à ce que la région chapeaute l’ensemble des compétences dans les territoires ?
Je ne vois pas la région en super chef de file des autres niveaux de collectivités infra-régionales. Par contre, comme je vous l’ai dit, je vois la région responsable de certains champs de politiques publiques qui sont éventuellement à partager avec l’État avec des outils bien spécialisés. Le véritable enjeu est là, plus que d’étendre le portefeuille des responsabilités. Ce sujet doit être au cœur du débat de la présidentielle, car c’est au président de la République de le porter.
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