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L’héritage des JO est-il surcoté ?

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 4 minutes

Bâtis sur la promesse de générer des bienfaits matériels et sociétaux durables, les Jeux Olympiques doivent maintenant relever les défis que l’action politique classique a souvent peiné à tenir. On peut déjà mesurer des apports tangibles, mais attention aux lendemains qui déchantent.

Par Marc Fressoz

« L’héritage ! » À chaque étape de la marche vers Paris 2024, tous les protagonistes et acteurs importants de l’événement avaient cette expression à la bouche, véhiculant la promesse de traces positives et durables sur les territoires où ses emprises seraient déployées. « Cet héritage sera pour vous », assurait la maire de Paris Anne Hidalgo lors de ses vœux de 2024, insistant surtout sur le leg « écologique » de « jeux exemplaires ». À en en croire le président de la République, l’apport des JO ira bien au-delà, il sera immatériel et global. « Il y aura un héritage de ces Jeux en termes de valeur, d’éducation, d’installations », promettait Emmanuel Macron au printemps 2024. Faut-il croire à un impact profond alors que les épreuves, par nature, ont une durée de vie limitée ?

Des transformations durables

Dans l’histoire olympique, inclure dans le dossier de candidature cette promesse messianique de progrès remonte à l’édition 1956, organisée par Melbourne. S’inscrivant dans cette tradition, l’équipe française qui a décroché le pompon en 2017 a fait campagne en se démarquant de ses prédécesseurs, notamment de Londres 2012 qui a nécessité la construction de nombreux équipements neufs. Le comité conduit par Tony Estanguet a moins insisté sur l’héritage tangible que sur le volet environnemental et social. Des objectifs formalisés en septembre 2021 dans « le plan héritage et durabilité des Jeux olympiques et paralympiques ». Paris 2024 se donne ainsi pour mission « de créer une dynamique positive au service d’un nouveau projet de société ». Les JO doivent « stimuler l’émergence de solutions innovantes » ou accélérer des « transformations durables [qui] sont autant de façons radicalement différentes de bâtir un projet tourné vers l’avenir et qui nous ressemble », peut-on lire dans cette sorte de manifeste.

Tout se passe comme si cet événement extraordinaire devenait un instrument consensuel apte à gommer les clivages politiques et à permettre aux élus alliés au mouvement sportif de réussir là où l’action politique traditionnelle a parfois échoué à changer la vie.

Les différentes visées sont détaillées : la pratique du sport renforcée par les JO doit être « un facteur d’inclusion et de solidarité », favoriser « la santé, l’éducation, et l’engagement ». Les Jeux promettent aussi d’être « moteurs d’attractivité, de développement des territoires et d’amélioration de la qualité de vie » et « porteurs d’opportunités pour tous ». Vaste programme ! Tout se passe comme si cet événement extraordinaire devenait un instrument consensuel apte à gommer les clivages politiques et à permettre aux élus alliés au mouvement sportif de réussir là où l’action politique traditionnelle a parfois échoué à changer la vie. « Cela démontre à quel point la croyance dans le pouvoir magique du sport est forte », constate l’universitaire Michaël Attali, qui travaille depuis longtemps sur l’impact des JO.

Des infrastructures existantes

Comment évaluer l’empreinte que laissera Paris 2024, en particulier sur son centre de gravité territoriale ? À un stade où le recul manque encore, l’exercice est forcément partiel. Au-delà des aménagements urbains réalisés en Seine-Saint-Denis qui améliorent la vie quotidienne des habitants, on peut estimer sans trop se tromper que le risque de recevoir en héritage empoisonné des « éléphants blancs » est écarté, le terme désignant des stades construits spécialement et laissés à l’abandon après les épreuves parce qu’inutiles ou trop coûteux à entretenir. Chez nous, les organisateurs ont misé au maximum sur l’utilisation d’infrastructures sportives existantes (Stade de France, Parc des Princes, vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, Roland Garros etc.) si bien que les besoins spécifiques se sont résumés principalement à trois équipements neufs pérennes : le Centre aquatique olympique de Saint-Denis, l’Aréna de la Porte de la Chapelle et le village olympique, réparti sur trois communes (Saint-Denis, Saint-Ouen et L’Île-Saint-Denis). Le premier sera transmis aux collectivités locales pour un usage au quotidien et l’accueil de compétitions internationales ; le second servira à l’organisation d’événements sportifs ou culturels. Reste à savoir si le fonctionnement de tels équipements ne rimera pas avec fardeau financier pour ses légataires. Pour le village olympique, une telle question ne se pose pas. Les logements ont en effet vocation à être mis sur le marché immobilier par la Solideo, après des adaptations intérieures nécessaires. « Il faut en effet réaménager les studios destinés aux athlètes car ils ne comportent pas de cuisine, indique un promoteur, mais tous les branchements sont prévus pour le permettre ». Au final, la Solideo a surtout adapté ou conçu des équipements provisoires comme la piscine de Colombes.

Une mise en service retardée

Un autre héritage incontestable a trait aux transports. Mise en service sans anicroche fin juin, soit un mois avant la cérémonie d’ouverture, le prolongement de la ligne 14 du métro parisien jusqu’à l’aéroport d’Orly est un acquis de nature à faciliter aussi bien la vie des utilisateurs de l’aéroport que des riverains. Autre effet de ce développement : une amélioration de l’empreinte carbone de la desserte aéroportuaire. Reste que l’allongement de la ligne 14, également étendue au nord de Paris, était programmée indépendamment des Jeux. C’était aussi le cas des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express. Les promoteurs des Jeux ont en revanche créé de la déception en s’avançant, contre la réalité du chantier, sur la certitude d’une mise en service cette année. Or aujourd’hui l’ouverture des premiers tronçons est renvoyée à fin 2026 en raison notamment de la crise sanitaire.

« J’ai été frappé lors de l’inauguration du Centre aquatique de la tonalité du discours tenu par des élus de la Région, témoigne un dirigeant d’une entreprise de services informatiques. Derrière la satisfaction, ils exprimaient une grande inquiétude et nous demandaient de conserver les emplois crée pour les JO. Encore faut-il qu’ils nous fournissent des commandes ».

Si l’héritage des JO laissé en dur a de quoi rassurer gouvernement et élus locaux, en revanche, dans l’immédiat, l’éclatement dès septembre de la bulle olympique crée une crainte : celle d’une hausse du chômage, notamment en Seine-Saint-Denis, un des départements les plus pauvres de France. « J’ai été frappé lors de l’inauguration du Centre aquatique de la tonalité du discours tenu par des élus de la Région, témoigne un dirigeant d’une entreprise de services informatiques. Derrière la satisfaction, ils exprimaient une grande inquiétude et nous demandaient de conserver les emplois crée pour les JO. Encore faut-il qu’ils nous fournissent des commandes ». L’enjeu porte sur le devenir de milliers d’emplois occasionnés par le JO. De ce côté-là, le problème peut rester entier.

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