Les Zones à faibles émissions mobilité se mettent en place en ordre dispersé avant leur généralisation prévue dès 2025 dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Un énorme défi à relever pour les métropoles, contraintes d’imposer des interdictions de circulation – pour une grande majorité des véhicules – au risque de renforcer les inégalités sociales, économiques et territoriales.
Par Franck Soler
ZFE, ce sigle illustre à lui seul la périlleuse époque de transitions dans laquelle nous sommes bel et bien plongés. Car, pour bon nombre d’entre nous, accros à la voiture, les zones à faibles émissions annoncent un changement majeur dans nos déplacements quotidiens. Et pour les métropoles, le challenge est immense. Le sénateur écologiste Jacques Fernique l’affirmait haut et fort lors de l’examen, en juin 2021 au Sénat, de la loi Climat et Résilience instaurant le nouveau calendrier de mise en œuvre des ZFE-m : « Il faut prendre la mesure de l’urgence sanitaire. Parmi l’ensemble des villes françaises de plus de 150 000 habitants, il y en a 22 qui dépassent régulièrement la limite de qualité de l’air recommandée par l’OMS. » Le trafic automobile est en effet directement responsable d’environ 60 % des émissions d’oxydes d’azote et de 30 % des émissions de particules fines, Et dans les agglomérations les plus denses comme Paris, les transports routiers sont à l’origine de 58 % des émissions de particules fines PM2.5, les plus nocives pour la santé. D’après Santé publique France, cette pollution de l’air serait à l’origine d’au moins 48 000 décès prématurés par an en France.
Votée en août 2021, la loi Climat et Résilience impose la création d’une ZFE – désormais ZFE-m – à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Il y aurait donc au moins 43 ZFE-m en 2025 en France métropolitaine.
Ainsi donc, les ZFE-m visent à exclure progressivement les véhicules les plus polluants, diesel puis essence, sur la base des fameuses vignettes Crit’Air. Et il y a urgence. Au-delà de l’enjeu de santé publique, l’État français s’expose à des sanctions. En octobre 2020 déjà, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) condamnait la France pour non-respect des valeurs limites fixées par la directive sur la qualité de l’air ambiant. Dix millions d’euros par semestre de retard tout de même.
Plein gaz sur les ZFE-m
La France est à la traîne, comparée à d’autres pays européens comme l’Italie. D’autant que la crise des Gilets jaunes et la pandémie de Covid-19 ont sensiblement ralenti le programme initial prévu par la loi d’orientation des mobilités (LOM). Le pays compte désormais 9 ZFE. Certaines sont déjà « anciennes », comme celles du Grand Paris, de Grenoble Alpes Métropole et du Grand Lyon. Le dispositif se déploie un peu partout dans les grandes métropoles. De nouvelles ZFE-m sont prévues avant la fin de l’année à Montpellier, Marseille et Nice puis, en 2023, à Bordeaux.Votée en août 2021, la loi Climat et Résilience impose la création d’une ZFE – désormais ZFE-m – à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Il y aurait donc au moins 43 ZFE-m en 2025 en France métropolitaine. Elles toucheraient environ 26 millions d’habitants, soit 40 % de la population !
Un calendrier progressif… Et explosif
Pour les villes dépassant régulièrement les seuils de qualité de l’air, la loi impose un calendrier progressif de restrictions de circulation en trois étapes, de 2023 à 2025. Ces restrictions seront applicables à l’ensemble des véhicules – particuliers et utilitaires – classés Crit’Air 3, Crit’Air 4 etCrit’Air5. Ainsi, l’interdiction définitive des véhicules Crit’Air 3 et antérieurs – ils représentent tout de même 38 % du parc automobile – est fixée au 1er janvier 2025 au plus tard. Mais rien n’empêche les collectivités de mettre en place un calendrier plus ambitieux.
Au total, en tenant compte de l’ensemble des véhicules thermiques polluants – classés Crit’Air 2 et antérieurs –, les trois quarts du parc automobile français seraient exclus des métropoles à court et moyen termes.
C’est notamment le cas de la Métropole du Grand Paris qui prévoit l’interdiction des véhicules Crit’Air3 dès 2023, de Toulouse Métropole et du Grand Reims dès 2024. Les métropoles les plus zélées vont même jusqu’à programmer la sortie définitive de tous les véhicules diesel. C’est ainsi prévu dès 2024 pour Paris, 2026 pour Lyon et 2028 pour Strasbourg et Montpellier. Chantal Derkenne, sociologue au service qualité de l’air de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), précise que « pour les 33 autres collectivités intégrées au dispositif ZFE-m (celles qui ne sont pas en dépassement régulier des seuils de pollution, ndlr), il n’y a pas de calendrier de restrictions imposé».
Une ZFE-m stratégique pour MontpellierÀ Montpellier, la ZFE-m, attendue pour juillet, se veut très ambitieuse. Dans un premier temps, elle couvrira les 10 communes desservies par le réseau structurant de transport, soit un périmètre de 142 km2, le plus grand après celui de la ZFE-m du Grand Paris. À partir de 2026, toutes les communes de la métropole seront intégrées dans le dispositif. Julie Frêche, vice-présidente déléguée au transport, voit la ZFE-m comme un levier de la stratégie mobilité mise en place par la Métropole. «Notre réponse à l’accompagnement social de la ZFE-m, c’est une stratégie mobilité 2025 très ambitieuse – 1,5 Md€ d’investissement – avec notamment une nouvelle ligne 5 de tramway, l’extension de la ligne 1, la création de cinq lignes de bustram et la réalisation d’un réseau express vélo. » À terme, 100 % des habitants de la métropole seront directement desservis par le réseau de transport public. Avec la gratuité des billets, cela offrira une vraie alternative à l’utilisation de la voiture individuelle. |
Les métropoles ont la main
Les métropoles définissent le(s) périmètre(s) et les plages horaires dans lesquels s’appliquent les restrictions de circulation. Chaque ZFE-m adopte ses propres règles d’application, ses propres dérogations. Pour l’instant, la plupart des métropoles qui s’engagent dans le dispositif le font timidement, en ne ciblant que les poids lourds et les véhicules utilitaires (comme à Grenoble et Rouen) ou en définissant des périmètres réduits (à Reims et Nice, par exemple). À ce jour, pour les particuliers, les interdictions se limitent le plus souvent aux très anciens véhicules diesel classés Crit’Air 5. Chantal Derkenne donne un avis éclairé sur le dispositif : « La ZFE-m, c’est un outil parmi d’autres. L’idée générale, c’est de jouer sur la baisse des émissions dans le cadre d’une politique de baisse du trafic. Oui, c’est compliqué pour les métropoles parce que le modèle urbain s’est développé autour de la voiture. Et il faut du temps pour mettre en place des mesures alternatives. »
Une injonction au changement de voiture
Au total, en tenant compte de l’ensemble des véhicules thermiques polluants – classés Crit’Air 2 et antérieurs –, les trois quarts du parc automobile français seraient exclus des métropoles à court et moyen termes. Les ZFE-m doivent agir comme un levier permettant de renouveler le parc. Oui mais. Le renouvellement d’une voiture fait peser un poids économique bien plus important sur les ménages modestes que sur les plus aisés. Et pour les banlieusards des grandes villes, quand il n’y pas de solutions alternatives satisfaisantes, la voiture reste le principal mode de déplacement. En pleine crise du pouvoir d’achat, le problème va vite devenir kafkaïen pour le nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne.
Beaucoup voient dans les ZFE un facteur d’inégalités, le nouveau symbole d’une écologie punitive.
Un contrôle automatisé
Il y a un point sur lequel les ZFE-m sont pointées du doigt, c’est le flou sur les sanctions. À Paris par exemple, la mesure s’applique depuis 2015 mais ne fait encore l’objet d’aucune verbalisation. L’absence de contrôles et de sanctions discrédite le dispositif et entretient la confusion. Difficile, dans ces conditions, d’attirer l’attention du grand public sur l’utilité des zones à faibles émissions. Les métropoles attendent de l’État la mise en œuvre du contrôle automatisé. Initialement prévu en 2022, il est finalement annoncé pour 2023.
Un mal pour un bien
En outre, les ZFE posent-elles un problème d’injustice sociale ? Depuis l’annonce officielle du calendrier, les associations de défense des automobilistes sont « vent debout » contre ce dispositif qu’elles jugent dangereux et liberticide. Le sujet –absent des débats lors de la présidentielle – est brûlant. « Les ZFE (et l’interdiction du diesel) nous mènent vers les “Gilets jaunes” puissance 10 », affirmait Xavier Bertrand, président LR des Hauts-de-France, dans un récent article du Monde. C’est dans ce contexte que le Sénat avait proposé plusieurs assouplissements de la loi concernant les ZFE, comme le report à 2030 de l’interdiction des véhicules Crit’Air 3. Des propositions finalement retoquées par la Commission mixte paritaire. Il est vrai que renoncer à l’usage de sa voiture personnelle est difficile, en particulier pour les habitants des communes périphériques qui ne profitent pas toujours d’une offre suffisante en transports en commun. Alors, beaucoup voient dans les ZFE un facteur d’inégalités, le nouveau symbole d’une écologie punitive. Chantal Derkenne reconnaît que les ZFE auront un impact social fort : « On en est là en effet. Il faut baisser les émissions. On n’y échappera pas. On va tous devoir imaginer d’autres façons de se déplacer. L’écologie, dans les limites qu’elle impose à nos modes de vie, est forcément punitive. Par contre, il ne faut pas traiter tout le monde de la même façon. »
Une ZFE-m concertée pour LyonIci, la ZFE mise en œuvre en 2020 ne concernait jusqu’à présent que les poids lourds et les véhicules utilitaires légers, dans un périmètre limité à l’intérieur du périphérique. Jean-Charles Kohlhaas, vice-président du Grand Lyon en charge des déplacements, des intermodalités et de la logistique urbaine, soutient que la ZFE a été peu effective et n’a pas permis une amélioration significative de la qualité de l’air. « Nous avons donc décidé d’amplifier le dispositif en l’étendant aux particuliers et en définissant deux périmètres avec deux calendriers différents, le tout sur la base d’une grande concertation. » Cette ZFE-m a pour ambition d’aller au-delà de ce qu’impose la loi, avec notamment l’interdiction des véhicules Crit’Air 2 et antérieurs. Dans cette métropole où les niveaux de pollution atteignent des records, la ZFE-m doit être une réussite, selon le vice-président. « On a essayé de voir, avec l’ensemble des acteurs économiques, des associations, des citoyens, quels étaient les blocages et quels systèmes d’accompagnement on pouvait mettre en place. C’est ainsi qu’a été décidée la création d’une agence de la mobilité destinée à accompagner les particuliers et les professionnels dans leur changement de pratiques. » |
Muscler les mesures d’accompagnement
Certes, il existe des mesures d’accompagnement, primes à la conversion et bonus écologique notamment, qui peuvent être cumulées à celles prévues par les collectivités. Mais les métropoles attendent de l’État qu’il muscle ses mesures afin de rendre les ZFE socialement plus justes. L’expérimentation d’un prêt à taux zéro pour l’acquisition d’un véhicule peu polluant a été lancée dans certaines ZFE-m. Et Emmanuel Macron a également annoncé la mise en place d’un leasing de 100 euros par mois, maximum, pour rendre la voiture électrique accessible au plus grand nombre. Une mesure à confirmer.
Une ZFE-m solidaire pour Toulouse440 000 habitants sont concernés par la ZFE-m. Mise en œuvre au 1er mars, elle va progressivement se déployer jusqu’à l’interdiction, en 2024, de tous les véhicules Crit’Air 3 et antérieurs. François Chollet, vice-président chargé de l’écologie, du développement durable et de la transition énergétique – et ancien médecin – est convaincu de l’intérêt sanitaire du dispositif : «C’est assez rare qu’une politique publique puisse aussi directement influer sur la santé. » Pour rendre sa ZFE-m acceptable, Toulouse Métropole met le paquet sur les aides : jusqu’à 600 € pour l’acquisition d’un vélo électrique et jusqu’à 5 000 € pour l’achat d’un véhicule peu émissif. Ces aides sont fournies sous conditions de ressources mais les deux tiers de la population toulousaine peuvent en bénéficier. « On s’aperçoit que 70 % des primes sont données aux ménages issus de la catégorie la plus faible en matière de revenus. Et ce sont eux qui possèdent les véhicules les plus anciens. » Malgré tout, François Chollet avoue que le dispositif a ses limites. « C’est certain, il y a des particuliers qui vont être embêtés. Les personnes âgées qui roulent très peu par exemple. Les personnes qui viennent de l’extérieur et qui ne peuvent bénéficier des aides de la métropole. » |
Remettre la voiture à sa place
Si l’amélioration de la qualité de l’air urbain est bien l’objectif premier de la ZFE-m, il faut également – et surtout – la voir comme un outil, Elle se veut plus incitative que répressive. La zone à faibles émissions a une ambition plus large, celle d’améliorer la qualité de vie en ville à travers la réduction du trafic routier, le report modal vers les déplacements « doux » et bien sûr le renouvellement de la flotte des véhicules. Les métropoles qui portent ce dispositif à bout de bras l’ont bien compris, elles qui rêvent de pouvoir, enfin, rendre l’espace public aux piétons et aux cyclistes. Au-delà de l’utopie d’une ville sans voitures, le rejet massif suscité par cette ZFE-m interroge sur notre capacité à vivre de façon différente. Et à quelles conditions ces changements de mode de vie deviendront acceptables, non «punitifs»?
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