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La ZAN attitude

par Clara Seiler
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Temps de lecture : 6 minutes

Face à l’urgence climatique, jamais l’industrie immobilière – empruntant (trop) tardivement le sentier du bas carbone – n’aura connu autant de contraintes. À commencer par l’objectif Zéro artificialisation nette des sols, inscrit au fronton de la loi Climat et Résilience. Décryptage d’un secteur en pleine (r)évolution.

Par Aurélien Jouhanneau

Face au défi climatique, est-ce devenu la croix et la bannière pour faire sortir de terre un projet immobilier en France ? «Non! Nous avons toujours été prompts à embrasser la transition climatique », répond d’emblée Alexandra François- Cuxac, fondatrice et présidente d’AFC Promotion, qui réalise 800 logements par an dans le Sud-Ouest et en région toulousaine. «Notre secteur représente un quart des émissions de gaz à effet de serre dans l’Hexagone », rappelle à juste titre celle qui a été présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de 2015 à 2017.

Après les labellisations et certifications environnementales (BBCA, HQE, ISR E+C-…) et l’Accord de Paris en 2015, le cadre réglementaire a été renforcé pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

À marche forcée, l’industrie immobilière se plie donc aux desideratas de l’État et des collectivités locales en matière de production de la ville bas carbone. Après les labellisations et certifications environnementales (BBCA, HQE, ISR E+C-…) et l’Accord de Paris en 2015, le cadre réglementaire a été renforcé pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Derniers exemples en date : la loi Climat et Résilience – laquelle consacre la réduction de 50 % de la consommation des espaces naturels d’ici 2030 via le Zéro artificialisation nette (ZAN) – et la RE2020 (cf. OMF n° 13). « Bien que la RE2020 demeure exigeante pour notre profession, elle reste un outil indispensable pour aborder le bas carbone sur le cycle de vie d’un immeuble », stipule Véronique Bédague, directrice générale de Nexity. En revanche, sur les effets du ZAN, elle s’interroge : « S’il faut consommer de manière plus raisonnable le foncier, à force de faire du moins partout au travers de différentes lois, comment pourrons-nous construire du logement pour tous ? N’oublions pas que le logement est au cœur des inégalités des territoires : nous comptons 4 millions de Français mal logés.»

Des remous sur le terrain

Le nombre de permis de construire délivrés dans le neuf a bondi au cours du premier trimestre 2022, avec 141 900 habitations autorisées (+23,5 %) – une augmentation qui s’explique par le nombre « exceptionnel » de demandes de permis déposées en décembre 2021. « Beaucoup d’investisseurs ont réservé des logements ou des maisons individuelles pour éviter de rentrer dans la RE2020, donc sûrement d’avoir un renchérissement de prix », explique Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), qui estime entre 7 et 8 % le surcoût de la RE2020 en 2022. Pour rappel, cette loi vise, en autres, à encourager la sobriété et l’efficacité énergétique, et à lutter contre les passoires thermiques. Le ZAN – entré en vigueur au 1er janvier dernier – peut expliquer aussi cette ruée vers les maisons individuelles, lesquelles restent plus consommatrices en foncier que l’habitat collectif.

« La mise en œuvre trop radicale de ce volet de la loi Climat et Résilience entraînera inévitablement une réduction de l’offre et une inflation du prix des fonciers, donc des logements », prévient Marc Pigeon, président de l’association de promoteurs Build Europe. À en croire Alexandra François-Cuxac, ce ZAN provoque des remous sur le terrain : « Il frappe de plein fouet les PLU et PLUI des collectivités locales pour rendre cohérents les SCoT et les Sraddet.» Defacto, cela crée des frictions entre l’État et les élus, quitte à retarder ou geler des projets. « En raison des nouvelles réglementations et du contexte international, les appels d’offres s’allongent entre 6 et 12 mois », constate la présidente d’AFC Promotion. Par ricochet, chaque opération de logements à produire enregistre entre 10 et 20 % de surcoûts à la sortie.

Aller au-delà du cadre national

Au-delà du cadre étatique pour lutter contre le réchauffement climatique, villes et métropoles ont pris leurs dispositions. À la Métropole Nice-Côte d’Azur, une nouvelle charte vient d’être érigée pour allier production immobilière et performance écologique des bâtiments. En outre, il est question d’imposer la gestion optimisée des déchets et d’intégrer l’évolution future des bâtiments. «L’objectif de cette feuille de route n’est pas de contraindre, mais bien de coconstruire les projets avec les promoteurs et les architectes, avant le dépôt du permis de construire », fait savoir Christian Estrosi, président de la métropole azuréenne et maire de Nice. Si Bordeaux a donné le tempo en France avec le Bâtiment frugal bordelais en 2021– label qui promeut la construction raisonnée et bas carbone –, du côté de la métropole Lyon, l’urgence climatique irrigue désormais toute la stratégie d’aménagement du territoire. « Nous revisitons notre référentiel Habitat durable pour être plus exigeant que la RE2020 », affirme Béatrice Vessiller, deuxième vice-présidente du Grand Lyon en charge de l’urbanisme et du cadre de vie. « Pour limiter l’empreinte carbone des bâtiments, nous imposerons notamment le recours aux matériaux du réemploi pour chaque opération dans les ZAC. »

Mais ce n’est pas tout… La collectivité emmenée par Bruno Bernard a récemment revisité son PLUH. L’objectif sur le plan environnemental ? « Protéger 27 hectares d’espaces verts supplémentaires, sacraliser 80 hectares de zones agricoles initialement dévolues à la création de zones d’activités économiques et renforcer le coefficient de pleine terre sur 6000 hectares de 20 à 40% ou de 15 à 30 % selon les opérations », précise Béatrice Vessiller. En outre, pour réduire l’usage de la voiture, la métropole lyonnaise va abaisser le taux de stationnement de 0,9 places par logement à 0,6 % pour les nouvelles constructions. A contrario, les parcs vélo fermés doubleront leur taille à 3 mètres carrés par logement. À ceux qui taxent les écologistes à la tête du Grand Lyon d’être pour la non-construction de nouveaux immeubles, Béatrice Vessiller répond : «On préférera toujours la réhabilitation à la démolition-reconstruction d’un point de vue bilan carbone ! » Quitte à assécher davantage l’offre de logements neufs… Pour rappel, la FPI Lyon a comptabilisé 3 083 réservations en résidentiel collectif neuf dans la Métropole de Lyon, alors qu’il faudrait en construire 8 000 par an pour détendre le marché.

Se réformer de l’intérieur

Face à la grogne de certains acteurs de l’industrie immobilière, l’État a concocté un fonds friches, doté de 750 millions d’euros dans le cadre du plan France Relance, pour aider au financement de la dépollution des friches urbaines et des sites déjà artificialisés. Avec cette mesure incitative, des promoteurs deviennent eux aussi des adeptes de la ZAN attitude. En la matière, Vinci Immobilier montre le chemin. Le groupe, qui produit 7 500 lots résidentiels par an, s’est fixé l’objectif de zéro artificialisation nette à horizon 2030.

Post-ZAN, l’industrie immobilière attend surtout l’État au tournant quant à la question de l’aménagement du territoire.

Soit 20 ans d’avance sur l’échéance fixée par la loi Climat et Résilience ! « Nous pensons que cet objectif est fondé », appuie Olivier de la Roussière, président de Vinci Immobilier. « Le foncier libre va se tarir à mesure que les politiques publiques vont se durcir en matière d’artificialisation. » Avant 2030, il ambitionne de réaliser plus de 50 % du chiffre d’affaires du groupe grâce aux opérations de recyclage urbain. « Nous entendons conforter ce savoir-faire que nous avons acquis et démontré à travers plusieurs opérations telles que le Village des Athlètes à Saint-Denis et le stade du Ray à Nice (cf. OMF n°12). » Une démarche qui nécessite de se réformer de l’intérieur : à ce titre, les 1 200 collaborateurs du groupe intégreront les compétences en matière de réhabilitation, de paysage et de préservation de la biodiversité. Chez Nexity, si le ZAN n’est pas un axe stratégique, on revendique le bas carbone comme cœur de business depuis plus d’une dizaine d’années. À l’échelle du quartier et du bâtiment. « À Lyon Confluence, nous réalisons une première en France : un bâtiment résidentiel sans chauffage ni climatisation », souligne Véronique Bédague. Si bien que, pour la troisième année consécutive, l’opérateur immobilier a été désigné premier maître d’ouvrage bas carbone au classement BBCA. « Parce qu’il n’est pas question de tergiverser face à l’urgence », selon les mots de sa directrice générale, Nexity a revu sa stratégie Climat et Biodiversité à la hausse. « Cette nouvelle feuille de route représente un doublement des ambitions du groupe par rapport à la trajectoire précédente, avec de nouveaux objectifs de réduction de ses émissions de CO2, soit -42 % par mètre carré livré d’ici 2030. »

Dans l’attente d’un acte II

Post-ZAN, l’industrie immobilière attend surtout l’État au tournant quant à la question de l’aménagement du territoire. «C’est un sujet de premier ordre qui a toute son importance. Pour l’habitat, l’emploi, l’éducation, la santé, la décarbonation du secteur immobilier,… nous avons besoin d’une planification et non de stop and go au sommet de l’État », indique Alexandra François-Cuxac. Un acte II qui nécessite, d’après elle, de la concertation entre des membres du gouvernement, les élus locaux et les promoteurs. « Nous avons besoin d’une vision politique de la ville et de l’aménagement du territoire !», clame-t-elle. Un desiderata partagé par Véronique Bédague de Nexity lors de l’élection présidentielle : « Le logement doit être pensé à deux niveaux : local, pour travailler la montée des exigences de non-artificialisation et la crainte de la densité et donc pour écouter, ressentir les territoires, et agir ; national, pour s’assurer que tous nos concitoyens puissent être mieux logés et donc donner une impulsion, définir une stratégie. » « Plutôt qu’un ministère du Logement pour embrasser tous ces sujets, je milite pour un ministère régalien de la Ville de demain », invite-t- elle encore. Le chef de l’État, Emmanuel Macron, a sans nul doute fait la sourde oreille… Le 20 mai dernier, le logement n’a pas été cité à l’annonce du nouveau gouvernement. « La disparition du ministère du Logement, malgré ses urgences sociales et environnementales, est source de grandes interrogations », a réagi Guillaume Poitrinal, cofondateur de Woodeum & WO2. Une thématique intégrée « dans le portefeuille » de la ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Amélie de Montchalin. Un secrétaire d’État pourrait être nommé après les élections législatives des 12 et 19 juin prochains.

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