Réunies à Clermont-Ferrand à l’occasion des Rencontres nationales du transport public, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), ont longuement discuté du coût de la transition énergétique qui se chiffre en dizaines de millions d’euros. Tant pour l’achat de véhicules « propres » qu’en matière d’énergie dont les prix ont flambé ces derniers mois. Des moyens financiers supplémentaires sont nécessaires.
Par Christine Cabiron
Les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) n’ont pas le choix : elles doivent décarboner leurs transports en commun d’ici 2030 et arrêter d’acheter des bus roulant au diesel. Si toutes ont la volonté d’agir pour lutter contre la pollution atmosphérique, cette transition nécessite des investissements colossaux. Notamment pour acquérir des bus électriques et/ou au GNV. Reste que ces nouveaux systèmes de propulsion coûtent beau- coup plus cher que des bus au gazole. Certaines métropoles, comme Rennes et Amiens, ont très rapidement mis en œuvre la loi sur la transition énergétique.
« En 2016, nous avons décidé d’arrêter d’acheter des bus diesel », rappelle Matthieu Theurier, vice-président de Rennes Métropole, en charge de la Mobilité. « Nous voulions que l’ensemble des mobilités soit exemplaire en matière de décarbonation. » À cette époque, les motorisations électriques en étaient encore à leur balbutiement… La collectivité a donc signé un partenariat d’innovation avec le groupe Bolloré pour tester 8 Bluebus. Après trois ans d’expérimentation, la métropole rouennaise a commandé une flotte de 92 bus électriques à Mercedes-Benz, contre plus de 60 M€. « C’est un constructeur avec lequel nous avons l’habitude de travailler et dont le matériel est éprouvé », précise Matthieu Theurier. De son côté, Amiens Métropole a également opté pour cette motorisation en 2019. Le choix des élus s’est porté sur des véhicules articulés de 18 mètres, fabriqués par l’espagnol Irizar. « Nous étions la première AOM européenne à choisir des bus de cette longueur », indique Alain Gest, président de la collectivité. Des véhicules achetés 800 000 € pièce.
Mix énergétique
Comme pour d’autres AOM, le prix de ces véhicules bas carbone a beaucoup augmenté depuis deux ans pour la métropole amiénoise. « Or, comme nous voulons renouveler entièrement le parc du réseau Amétis, cela nécessite un budget supplémentaire et nous a contraint à augmenter le versement mobilité », poursuit Alain Gest. Cette taxe appliquée aux entreprises de plus de 11 salariés a ainsi été portée à 2 %. Valence Romans Mobilités (VRM) va agir de même en portant le taux de 1,3 à 1,5 % en janvier 2024. Cette hausse a un double objectif : absorber celle liée à la flambée des prix de l’énergie et financer un développement de l’offre de transport.
« Ces bus coûtent environ 500 000 € de plus qu’un bus thermique. »
En effet, l’agglomération valentinoise a acheté il y a cinq ans des bus électriques. Aujourd’hui, elle en possède 23, commandés via la Centrale d’achat du transport public auprès du groupe Iveco. « Nous avons choisi ce constructeur pour la fiabilité du matériel. Ce qui nous évitait de doublonner les véhicules avec de la réserve supplémentaire qui nous aurait coûté excessivement cher », explique Julien Michelon, directeur du syndicat mixte. « Ces bus coûtent environ 500 000 € de plus qu’un bus thermique. » Par mesure de prudence, VRM a donc fait le choix du mix-énergétique. L’AOM opère depuis des années des bus au gaz et en possède aujourd’hui une quarantaine. « Cette motorisation nous permet de capitaliser sur nos infrastructures existantes, telles que les stations de compression et de distribution de gaz », note le directeur de VRM.
Rennes Métropole a aussi opté pour cette énergie en 2020. « C’est une technologie qui a fait ses preuves, assez simple à mettre en œuvre et qui demande peu de ressources. De plus, le biogaz peut être produit dans les territoires via la méthanisation », souligne Matthieu Theurier. À noter : sa métropole a également diversifié les motorisations des transports publics avec du biogaz. « Ces bus coûtent nettement moins cher que les bus électriques », affirme le président d’Amiens Métropole. Ainsi, sa collectivité a commandé 34 véhicules de 12 et 18 mètres à Iveco, ce qui représente un investissement de 18,5 M€.
Moderniser les dépôts de bus
Les énergies « propres » impliquent d’autres coûts inhérents à l’adaptation des dépôts aux nouvelles motorisations des bus. Dans la Drôme, VRM a débloqué 12 M€ pour moderniser son centre d’exploitation valentinois et installer des bornes de recharge électrique. Le syndicat mixte a par ailleurs engagé la construction d’un second dépôt à Romans. Coût de l’opération : 5 M€.
De son côté, Amiens Métropole a investi pas moins de 20 M€ dans la construction d’un centre d’exploitation destiné à accueillir les nouveaux bus électriques et au gaz. À ces coûts s’ajoutent ceux liés à la flambée des prix de l’énergie. « En année pleine, cela représente un surcoût d’environ 800 000 €, estime Julien Michelon. L’électrique reste logiquement moins cher dans un système où l’inflation n’est pas galopante comme aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qui a préfiguré notre choix pour cette énergie. À l’heure actuelle, ce n’est pas complètement avéré. » Côté gaz, VRM s’en sort plutôt bien en ce sens où les contrats ont été négociés avec des prix bloqués. « Jusqu’à présent, nous avons pu sanctuariser l’évolution du prix du gaz, mais nos contrats arrivent à terme. »
« En temps normal, le GNV nous coûtait entre 200 000 et 300 000 € par an. En 2022, nous avons dû payer 1,5 M€ »
À Colmar, la flambée des prix a failli avoir raison de la restructuration du réseau Trace repoussée en 2024. En effet, cette agglomération exploite un parc composé à 84 % de bus au gaz. « En temps normal, le GNV nous coûtait entre 200 000 et 300 000 € par an. En 2022, nous avons dû payer 1,5 M€ », regrette Tristan Denéchaud, vice-président en charge de la Mobilité. « Cette année, les prix du gaz ont un peu atterri et la facture sera réduite de moitié. » Ce qui explique aussi que la collectivité prévoit d’acheter dix nouveaux bus au gaz. À Rennes cette fois-ci, la situation est différente en ce sens où Keolis, l’opérateur en charge de l’exploitation du réseau STAR, dispose de contrats électriques dont les prix sont bloqués. Il en est de même pour ses sous-traitants qui opèrent les véhicules au gaz. « L’achat d’énergie représente 15 % du coût global d’exploitation d’un bus. C’est très minoritaire par rapport aux évolutions de salaire », déclare Matthieu Theurier. Autre élément ayant limité les hausses du prix de l’électricité : l’installation de centrales photovoltaïques dans les parcs-relais, sur les toits des garages-ateliers du métro et ceux du nouveau dépôt de bus. « Ainsi, nous pouvons envisager de l’autoconsommation (notamment pour le métro) qui atténuera la hausse des coûts de l’énergie », pour- suit le vice-président de la métropole rennaise. De plus, l’installation de ces centrales solaires ne demande pas d’investissements lourds pour la collectivité, car elles louent les toitures à des opérateurs extérieurs qui reversent une redevance au titre de l’occupation temporaire de l’espace public.
Un parc 100 % « propre » d’ici 2030 à Rennes
Il n’en demeure pas moins que la transition énergétique des transports rennais va coûter un peu plus de 100 M€ sur 15 ans à la métropole rennaise. Cet investissement intègre l’achat des véhicules, le développement des systèmes de recharge, le coût d’exploitation et celui de la masse salariale. « Ce qui, rapporté à un bus électrique, représente un coût de 1,2 M€ et 1,1 M€ pour un bus thermique sur 15 ans. Par conséquent, sur le plus long terme, l’électrique est potentiellement moins cher que si nous restions sur du thermique », affirme Matthieu Theurier. La métropole bretonne prévoit de disposer d’un parc à 100 % « propre » d’ici 2030, soit environ 300 bus électriques et autant alimentés au gaz. VRM vise pour sa part 95 % de véhicules à faibles émissions à cette date-là, soit plus de 237 bus et cars. Quant à Amiens Métropole, elle envisage de « sortir » du diesel d’ici une dizaine d’années. « Face à ces investissements et ceux à venir, les AOM ont besoin d’argent. On ne peut pas leur demander de développer des modes doux et des transports écologiques sans leur donner les moyens », conclut Alain Gest.
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