Les violences urbaines de juin dernier ont remis sur le devant de la scène la politique de la ville qui, au fil des années, fut marquée par quelques réussites… mais, surtout, par beaucoup d’échecs. Objectif Métropoles de France revient sur les 45 dernières années d’une politique urbaine au bilan contrasté.
Par Martin Batko
La politique de la ville est-elle un Ovni ? La question se pose, tant il semble parfois compliqué de définir une politique qui, depuis les années 1970, se tricote et se détricote majoritairement en réaction aux tensions urbaines. Pour répondre à l’objectif de réduction des écarts de développement dans les quartiers et d’amélioration des conditions de vie des habitants, la politique de la ville bénéficie d’un panel de programmes dédiés, bien que leur éclatement et leur éparpillement desservent la bonne lisibilité des dispositifs. Tout commence en 1977, lorsqu’un groupe de travail « Habitat et vie sociale » dresse un premier constat sur les quartiers populaires : pauvreté, ségrégation, ghettoïsation. Il accouche d’un premier « Plan banlieues » la même année, date qui coïncide ainsi avec le lancement de la politique de la ville : 53 sites sont identifiés pour bénéficier d’une réhabilitation et d’un accompagnement social.
« Plan banlieues »
Depuis, plus d’une dizaine de plans se sont succédé, relativement inégaux et parfois spécifiques, comme la mise en place, en 1981, des zones d’éducation prioritaire (ZEP), afin de lutter contre les inégalités sociale et scolaire, ou le plan architectural « Banlieue 89 », en 1983. On compte également, en 1992, le plan lancé par Bernard Tapie, ministre de la Ville, pour une dizaine de cités. Sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 1999, le plan de « Rénovation urbaine et de solidarité » voit le jour. Consécutive au plan Borloo, en 2003, une avancée majeure est franchie avec la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine » (ANRU) – laquelle est dotée de moyens financiers conséquents pour transformer en profondeur la physionomie des quartiers. On notera également une mobilisation, en 2013 et en 2017, pour les « emplois francs », visant à accorder des primes aux entreprises embauchant des habitants issus d’un quartier prioritaire de la ville (QPV).
ZUS, ZRU et ZFU
Dispositif phare de la loi de nouvelle géographie prioritaire (loi Lamy) du 21 février 2014, les QPV sont les cibles d’intervention de la politique de la ville. Plusieurs critères sont retenus, dont celui du revenu des habitants en comparaison des revenus de l’agglomération ainsi que de ceux de l’échelon national. Autre condition : une population concentrée dans des quartiers de plus de 1 000 habitants, eux-mêmes intégrés dans des agglomérations de plus de 10 000 habitants. Ces QPV ont d’ailleurs simplifié une géographie prioritaire relativement éclatée avant 2015 – principalement contenue dans les 751 « Zones urbaines sensibles » (ZUS) qui se caractérisaient par la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi. Ces ZUS peuvent être également qualifiées en « Zones de redynamisation urbaine » (ZRU) ou en « Zones franches urbaines » (ZFU), catégorisation qui, depuis 1986, en- joint une mobilisation différente selon le nombre d’habitants du quartier, le taux de chômage, la proportion des personnes sorties du système scolaire sans diplôme…
Contrats de ville : une méthode qui régit les relations entre l’État et les collectivités
La politique de la ville dispose de plusieurs contrats et dispositifs qui régissent les relations entre État et collectivités. La contractualisation passe depuis plusieurs années par les « Contrats de ville » – lesquels recensent les projets globaux de cohésion sociale et les programmes associés auxquels les collectivités souhaitent recourir. Ces Contrats de ville permettent ainsi de déclencher un financement pluriannuel, conjointement porté par l’État et les collectivités, en particulier les intercommunalités. En outre, on observe une montée en puissance au sein des Contrats de ville de la participation citoyenne et des associations de quartier. Une nouvelle tendance que leur dernière mouture devrait intégrer pour l’échéance 2023-2030, en complément de dispositifs renforcés en matière de cohésion sociale (sport, culture, éducation), de cadre de vie ou encore d’aide à l’emploi (présence de guichets sociaux dans les territoires prioritaires).
La jeunesse et l’éducation au cœur des QPV
La politique de la ville est aussi considérée sous le prisme de la jeunesse : elle est fortement représentée dans les QPV à hauteur de 40 %. Selon l’Observatoire national de la politique de la ville, les « NEET » (personnes ni en emploi, ni en études, ni en formation) représentent 260 000 jeunes âgés de 15 à 29 ans des QPV – soit un poids deux fois et demi supérieur à celui des jeunes NEET des autres quartiers des unités urbaines englobantes. Si le public jeune des QPV est allophone (38,9 % des 15 à 29 ans vivant en QPV sont nés à l’étranger, contre 21,2 % dans les villes englobantes), il est deux fois plus nombreux à subir le chômage : 15,5 % d’entre eux sont chômeurs, contre 8,2 % dans les quartiers environnants. Outre la scolarité, l’emploi et l’égalité des chances pour la jeunesse, les QPV se concentrent également sur les mobilités ou encore l’accès aux activités sportives et culturelles.
Pour lutter contre « les inégalités de destin », l’État a aussi opté pour le lancement d’un programme éducatif en 2019, après avoir été expérimenté à Grigny (91) : les « cités éducatives ». Ces dernières visent à coordonner l’ensemble des acteurs de la communauté éducative (État, collectivités locales, parents, associations, inter- venants du périscolaire, travailleurs sociaux, écoles et collèges…) pour une meilleure prise en charge et un accompagnement à l’insertion professionnelle. 118 millions d’euros ont été attribués à ces cités éducatives par le ministère chargé de la Ville pour la période 2019-2023.
Des ZEP aux REP
Au cours des 45 années écoulées, l’éducation prioritaire a subi quelques évolutions : les « Réseaux d’éducation prioritaire » (REP) ont succédé aux « Zones d’éducation prioritaire » (ZEP). Les établissements des classes primaires et collèges sont concernés, selon le calcul d’un indice social qui classe ces établissements dans une catégorie REP ou REP+. D’après Éduscol, à la rentrée 2022, 1 092 réseaux composaient la carte de l’éducation prioritaire : 730 collèges et 4 174 écoles en REP, 362 collèges et 2 462 écoles en REP+. Le dédoublement des classes de CP et CE1, dispositif phare d’Emmanuel Macron en 2017, avait fait beaucoup parler – contraignant les collectivités à réaménager les classes. Au total, 1,7 million d’élèves sont dans des REP.
Des flops et des territoires laissés pour compte
Même si elle bénéficie de programmes parfois structurants, la politique de la ville a surtout été le théâtre de flops et d’effets d’annonces qui ont généré au mieux quelques frémissements en matière d’insertion, d’employabilité ou encore de baisse de la délinquance. Cette dernière est d’ailleurs le principal prisme de la politique de la ville et derrière elle des quartiers, que Nicolas Sarkozy a cristallisé en 2007 en annonçant vouloir les « nettoyer au karsher ». Deux ans plus tard, le plan « Espoir banlieues », proposé par Fadela Amara, ne répondait pas aux attentes : la secrétaire d’État à la Ville s’attribuait d’ailleurs une note de 11/20.
Autre flop : celui du rapport Jean-Louis Borloo en 2018. Dans ce document, l’ancien ministre délégué à la Ville proposait 19 programmes thématiques – dont la rénovation urbaine, l’éducation, les mobilités ou encore l’emploi. Aussitôt dévoilé, ce plan fut enterré par le chef de l’État, pour qui l’échange d’un rapport sur la politique de la ville entre « deux mâles blancs » rendait la démarche caduque.
À quand une nouvelle donne ?
Si la politique de la ville ne dispose pas – ou rarement – d’un ministère de plein exercice, pour beaucoup d’observateurs, celle-ci devrait être rattachée auprès d’un ministère régalien qui traite des relations avec les collectivités.
La question se pose, tant les programmes et la cartographie administrative associés à la politique de la ville oublient encore trop souvent des territoires perclus d’insécurité, de chômage et de tensions sociales, démunis et en manque de réponses de l’exécutif. La nouvelle géographie prioritaire attendue pour la fin de l’année pourrait être une nouvelle donne.
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