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Attractivité, la fin d’un mot magique

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 5 minutes

Martelé par les pouvoirs publics locaux désireux de promouvoir leur dynamisme territorial pendant plusieurs décennies, le terme attractivité a pris du plomb dans l’aile. Simple phénomène de mode ou tendance de fond ?

Par Joris Garmand

Invité à faire la promotion de ses « Mémoires » au micro de France Inter en septembre dernier, Alain Juppé – maire de Bordeaux pendant 22 ans – en a profité pour digresser sur le mouvement des Gilets jaunes et le « métropole bashing ». Il s’est remémoré ce qu’il avait alors entendu : « Bordeaux est devenue trop belle, trop attractive, au détriment des autres territoires. » De quoi faire bondir l’ancien premier ministre qui rappelle justement que « les métropoles, nous les avons voulues ». Trop attractive, le mot est lâché. Pourtant, comme le dit Alain Juppé, elles sont une réalité assumée : le développement des grandes villes régionales est le fruit d’une volonté politique formulée il y a quarante ans, en réponse au « Paris tout puissant opposé au désert français », dixit le géographe Jean-François Gravier. Plus récemment, depuis la fin de la crise de 2008, l’État s’est appuyé sur ses métropoles dynamiques, devenant ses moteurs dans sa quête de renouveau économique. Les agences de développement économique au service de ces territoires ont fleuri de partout et font de l’attractivité leur maître mot. Quinze ans plus tard, il semble que l’argument ait pris un peu de plomb dans l’aile. La prise de conscience généralisée des problématiques du dérèglement climatique, la crise Covid et l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ont rebattu les cartes et modifié le schéma traditionnel de la compétitivité intra et inter-territoriale.

« Une part de la population des métropoles manifeste son hostilité envers l’accueil sempiternel de nouvelles entreprises et à l’égard de l’étalement urbain. » Magali Talandier, professeure des universités en Urbanisme et Aménagement du territoire à l’université Grenoble-Alpes

Au revoir l’attractivité…

« Une part de la population des métropoles manifeste son hostilité envers l’accueil sempiternel de nouvelles entreprises et à l’égard de l’étalement urbain », analyse Magali Talandier, professeure des universités en Urbanisme et Aménagement du territoire à l’Université de Grenoble. « On constate donc une certaine inflexion dans les discours des décideurs, ce qui ne veut pas dire que ces villes ne veulent plus attirer. » En effet, aucune gouvernance n’ose évoquer explicitement un désir de moins briller, mais dans certaines localités, le concept d’« attractivité » a tout bonnement disparu des plaquettes de communication. Pour d’autres, il n’a jamais été un argument que l’on matraque dans les salons institutionnels, notamment dans les agglomérations moyennes. « Nous sommes ravis d’accueillir des entreprises et de nouvelles populations, mais nous n’allons pas les chercher activement. En 20 ans, j’ai vu toutes les zones d’activité économique se remplir, sans que nous ayons eu besoin de débourser un centime en communication à ce niveau-là », s’enthousiasme Jean-Pierre Gorges, président de Chartres Métropole et maire de la capitale d’Eure-et-Loir. « Nous devons notre succès au bouche-à-oreille. Je pars du principe que le développement économique, c’est la résultante d’une ville qui est bien organisée et qui vit bien. Si ça se sait, les entreprises s’implantent. »

… et bonjour l’hospitalité

Pour caractériser ce changement de paradigme, la chercheuse grenobloise, auteure du livre L’Économie métropolitaine ordinaire, parle plus volontiers de la notion « d’hospitalité ». Plus que du développement et de la compétitivité, c’est de résilience dont vont avoir besoin dans un futur proche nos grandes villes de province et leurs bassins. « Porter le discours d’une volonté de décroissance de population reste aujourd’hui difficile. En revanche, l’enjeu est de parvenir à accueillir chacun dans toute sa diversité et pas seulement au nom d’une attractivité qui nous rendrait plus compétitifs, nuance Magali Talandier. Il faut ensuite en prendre soin, par des politiques publiques inclusives. J’ai travaillé sur cette notion avec la Métropole de Grenoble et j’ai été contactée par les équipes de l’Agence d’urbanisme de Lille, qui trouvent qu’il s’agit d’un terme intéressant pour qualifier aussi ce vers quoi doit tendre un territoire. »

« En finir avec le mythe de la croissance infinie »

L’illustration la plus parlante de ce glissement sémantique se trouve à Lyon. Élu en 2020 à la tête de la Métropole sous l’étiquette écologiste, Bruno Bernard avait mené une campagne s’inscrivant en rupture avec la mandature de Gérard Collomb, déclarant qu’il fallait « en finir avec le mythe de la croissance infinie ».

« Il y a une espèce de légende urbaine qui consiste à penser que les élus peuvent décider du nombre d’habitants à même de s’implanter sur leur bassin »

Pour autant, l’essor et l’évolution démographique d’un territoire peuvent- il se décréter ? « Non, ils se subissent ! » tranche d’emblée Sébastien Sémeril, vice-président de Rennes Métropole, en charge de l’Économie et de l’Emploi. « Il y a une espèce de légende urbaine qui consiste à penser que les élus peuvent décider du nombre d’habitants à même de s’implanter sur leur bassin. L’Insee prévoit 100 000 habitants nouveaux sur notre périmètre métropolitain à horizon 2040, nous devons donc construire des logements en conséquence et favoriser un certain développement économique pour maintenir un taux d’emploi élevé. » Que l’on ne s’y méprenne pas : l’élu breton reste favorable à la croissance – ce qui n’empêche pas la métropole rennaise de prôner la sobriété au niveau de la gestion de l’espace. « Nous menons une politique d’attractivité en bonne intelligence, de sorte qu’elle puisse se marier avec d’autres enjeux, notamment environnementaux. Nous réfléchissions à la maîtrise de la densité. Un large pan de notre politique concerne l’acquisition de foncier, pour conserver une certaine maîtrise et éviter les phénomènes de spéculation, préjudiciables à certains types de population et aux PME », note Sébastien Sémeril.

« Bien sûr que Lyon doit rester attractive. Mais notre responsabilité, c’est de garantir un cadre de vie acceptable pour toutes et tous au sens large du terme », Émeline Baume, première vice-présidente de la Métropole de Lyon, en charge de l’Économie et de l’Emploi

Attirer mieux

Même refrain pour l’actuel comité de pilotage aux manettes dans la capitale des Gaules : il ne s’agit pas de ne plus accueillir mais simplement d’accueillir mieux. « Bien sûr que Lyon doit rester attractive », tient à rassurer Émeline Baume, première vice-présidente de la Métropole de Lyon, en charge de l’Économie et de l’Emploi. « Mais notre responsabilité, c’est de garantir un cadre de vie acceptable pour toutes et tous au sens large du terme. En intégrant l’emploi, l’épanouissement de la population, le logement, les modes de déplacement, le sport et l’offre culturelle. » Au cœur du nouvel agenda de l’Aderly, agence de développement économique de la métropole lyonnaise : l’accompagnement choisi. « Chaque société est évidemment libre de s’implanter où elle le souhaite, rappelle l’élue. Simplement, nous ne mettrons plus d’argent public pour accompagner des grands comptes qui ne servent pas les chaînes locales. Nous souhaitons plutôt valoriser les projets productifs à impact positif au détriment du tout-tertiaire. » L’accent est notamment mis sur l’économie circulaire et l’accueil d’entreprises œuvrant à la décarbonation de l’économie.

« Bordeaux n’est plus une ville attrape-tout sur le plan économique ! La période où primait l’accueil des entreprises est derrière nous, il faut réfléchir différemment », Pierre Hurmic, maire de Bordeaux

À Bordeaux – ville sous pavillon écologiste en 2020, mais pas la métropole –, même constat… « Nous avons réorienté la feuille de route d’Invest in Bordeaux qui était trop centrée sur une mission d’attractivité au service d’une ville égoïste », a récemment confié son édile, Pierre Hurmic, à La Tribune. Le successeur d’Alain Juppé, qui lui aussi entend prioriser les entreprises à impact positif, n’y va pas par quatre chemins : « Bordeaux n’est plus une ville attrape-tout sur le plan économique ! La période où primait l’accueil des entreprises est derrière nous, il faut réfléchir différemment. »

Lutter contre les dérives de l’attractivité perpétuelle

Activer des leviers pour favoriser l’implantation d’acteurs privés vertueux – afin de lutter contre les dérives de l’attractivité perpétuelle old school – fait aussi partie des prérogatives de Rennes. « L’une des plus fameuses initiatives développées en ce sens concerne le Pôle d’excellence industrielle (PEI) de La Janais, à Chartres-de-Bretagne », souligne Sébastien Séméril. Historiquement consacré à l’industrie automobile carbonée, le site, menacé de fermeture, a opéré sa mutation. À côté de l’usine du groupe Stellantis (ex-PSA) qui y manufacturera une voiture électrique d’ici quelques années, Rennes Métropole et la Région Bretagne ont racheté plus de 50 hectares de foncier au constructeur pour faire sortir de terre ce PEI, dévolu aux activités articulées autour de deux piliers : la mobilité décarbonnée et l’habitat durable. Doté d’une triple casquette d’incubateur, de pépinière et d’hôtel d’entreprises, ce site va favoriser l’émergence de tout un écosystème dédié à l’industrie durable, voué à rayonner sur l’ensemble du territoire régional. Ce qui, in fine, devrait contribuer à le rendre encore plus attractif.

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