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Assiste-t-on réellement à un mouvement de recentralisation en France ?

par Sébastien Fournier
Emmanuel Macron
Temps de lecture : 4 minutes

Les derniers présidents de la Ve République sont-ils les héritiers de Napoléon, avec qui ils partageraient une certaine vision d’un État centralisateur ? Bien que la Constitution fait de la France une République « décentralisée » depuis 2003, les élus locaux, aujourd’hui réunis en congrès à Paris, dénoncent une perte d’autonomie et une mise sous tutelle de l’État. À juste titre ?

Par Martin Batko

Depuis 1982, la France a connu trois phases de décentralisation, sans compter les prémices de la régionalisation sous l’ère gaullienne. Réformes de l’administration territoriale, transferts de compétences, modifications de la Constitution,… les institutions territoriales se sont vues doter de larges pouvoirs au fil des années. Pourtant, les élus locaux n’ont de cesse de réclamer toujours plus de décentralisation.

Aujourd’hui, ils sont même remontés comme des coucous suisses, accusant l’État de bafouer les principes de la libre administration des collectivités locales, inscrite dans la Constitution. Certains avançant même une « mise sous tutelle » de l’État. Mais est-ce vraiment justifié et qu’en est-il réellement ? Quelques pistes pour démêler le vrai du faux…

L’État recentralise en matière de finance et de fiscalité ? Vrai 

La principale inflexion qui pourrait témoigner d’une recentralisation est la perte d’autonomie fiscale des collectivités. Si leur autonomie financière – à savoir flécher leur budget vers des postes de dépenses dont elles ont toute latitude – est entière, la réalité est en effet différente pour la fiscalité locale qui ne cesse de s’évaporer. Les suppressions d’impôts locaux, comme la taxe professionnelle, la taxe d’habitation ou encore la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), ont eu un retentissement sans précédent par- mi les chantres de la décentralisation.

Les collectivités se sentent financièrement tenues par l’État

L’État a le beau rôle en assurant une compensation à l’euro près, ce qui revêt en réalité plusieurs biais. Le principal tient à une redistribution par la Dotation globale de fonctionnement (DGF), dont le lissage sur plusieurs années contraste avec la dynamique que recouvrent les impôts locaux. Double peine : la dotation de l’État ne prend nullement en compte l’inflation et permet difficilement l’amortissement des dépenses supplémentaires induites. Cette réalité, en plus de constituer un étau budgétaire, effrite le lien fiscal entre élus locaux et administrés, et pose la question de la redevabilité démocratique.

Les collectivités se sentent financièrement tenues par l’État : la DGF est souvent brocardée par les élus locaux, mais elle n’est pas la seule. Il faut certainement voir plus loin et observer que, même si les transferts de compétences de l’État aux collectivités ont respecté une compensation financière, les dépenses afférentes aux politiques sociales, par exemple, ont généré un surcoût qui n’a pas été mesuré.

L’État recentralise les compétences locales ? Vrai et Faux

L’État n’a jamais autant donné de rythme et d’élan à la décentralisation que ces dernières années. Les lois MAPTAM et NOTRe de 2014 et 2015 ont justement étoffé les compétences des collectivités, avec un renforcement du statut des régions et des métropoles dans leurs raisons territoriale et politique.

Durant la crise sanitaire, les maires ont démontré leur agilité face à des services de l’État ankylosés

Cette approche s’est confirmée récemment par l’adoption de la loi dite « 4D » – dont les principes de décentralisation et de différenciation offrent des latitudes relativement intéressantes aux collectivités et leur prêtent une certaine maturité. Durant la crise sanitaire, les maires ont démontré leur agilité face à des services de l’État ankylosés pour répondre aux demandes de masques et vacciner les populations, comme ils ont su générer également des dispositifs adaptés pendant la crise énergétique. Pour autant, les collectivités locales, dans leur ensemble, estiment manquer sou- vent de moyens financiers pour mener à bien leurs compétences. Elles en demandent alors à l’État qui vient volontiers à la rescousse comme un seigneur s’adresse à ses vassaux. L’exemple de la recentralisation du RSA – une compétence du département – est assez remarquable en la matière.

L’État met sous tutelle les collectivités locales ? Vrai

En 2018, plusieurs associations de collectivités avaient parlé de « mise sous tutelle » de l’État pour qualifier les contrats de Cahors, imposés unilatéralement pour engager les 322 principales collectivités à limiter leurs dépenses de fonctionnement.

Le modèle de la contractualisation fait florès : l’État, magnanime, distribue ses subsides, mais sous conditions

Cette contractualisation – si elle a volé en éclats pendant la crise sanitaire – a été remise au goût du jour pour la mise en œuvre du Plan de Relance, dont les fonds étaient conditionnés par un contrat liant l’État et les collectivités, à l’image des Contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Ce modèle de contractualisation fait florès où l’État, magnanime, distribue ses subsides, mais sous conditions.

Cette mise sous tutelle peut également s’apprécier autour du principe d’autorité organisatrice. Une idée à la mode que le gouvernement promeut pour permettre aux élus locaux d’exercer des compétences qui leur échappent, comme l’habitat ou la petite enfance. À première vue, cela semble être une réponse adaptée. Mais derrière, cette notion d’autorité recèle une différence d’appréciation entre un transfert de compétences en bonne et due forme ou une simple délégation. Pour certains, il y a là un « entre-deux » qui semble faire tout autant le jeu de la décentralisation que celui de la recentralisation : des responsabilités données aux collectivités, mais avec un droit de regard et une supervision de l’État, en particulier sur l’affectation des ressources.

L’actualité plaide-t-elle pour une recentralisation ?

Aujourd’hui, le débat se positionne sur la répartition des compétences entre acteurs locaux, avec l’idée d’affirmer la place des intercommunalités dans le paysage institutionnel, quand bien même elles ne sont pas reconnues comme collectivités territoriales à part entière. Les dernières lois ont créé de la complexité et des tensions entre les strates territoriales qui se disputent parfois les compétences : les communes se sentent dépossédées de leurs prérogatives ; les métropoles lorgnent sur la gouvernance des fonds européens attribués en majorité aux régions ; les départements sont à fleur de peau dès lors que l’on évoque la prise de leurs compétences par les métropoles sur le modèle lyonnais.

Dans ce contexte, l’exécutif serait tenté de s’attaquer au « millefeuille territorial » et, pourquoi pas, de remettre sur la table la suppression d’un échelon territorial. Même si les chances d’aboutir sont en réalité minces, cette inflexion pourrait être moins l’œuvre d’une tentation de recentralisation qu’une affirmation de la décentralisation… Encore faut-il une clarification des compétences et une réelle autonomie fiscale attribuée aux collectivités !

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Les collectivités demandent plus de décentralisation

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