Entretien avec Philippe Saurel, Maire de Montpellier, Président de Montpellier Méditerranée Métropole
Propos recueillis par Sébastien Fournier
Philippe Saurel n’a pas sa langue dans sa poche. Le maire de Montpellier et président de la Métropole nous livre, sans détour, son analyse politique de l’évolution des territoires et des fractures sociales dans notre pays. Il a des idées pour transformer la France, et il compte le faire savoir.
La métropole de Montpellier est souvent citée parmi les grands centres urbains les plus dynamiques. Vos projets de développement sont nombreux avec l’émergence de nouveaux quartiers ou en renouvellement. Rien ne vous arrête ?
C’est exact, rien ne nous arrête parce que nous avons un peu cette façon de procéder dans nos gènes. Montpellier n’a pas de grande industrie comme à Toulouse, nous n’avons pas Airbus, pas de sidérurgie, de métallurgie. Nous n’avons pas fait de révolution industrielle comme d’autres villes ont eu l’opportunité de le faire. Nous, nous sommes une ville très jeune, une ville d’étudiants, une ville de la matière grise, avec des chercheurs, des universitaires… et nous basons notre croissance sur l’innovation, essentiellement la santé, le numérique et l’écologie.
Quel est le programme le plus emblématique aujourd’hui en cours ?
Il y en a plusieurs et de natures très différentes. Si j’allais de l’infiniment petit à l’infiniment grand, pour paraphraser Pascal, je commencerais par un projet qui est patrimonial dans le centre-ville et je finirais par un projet de territoire beaucoup plus politique qui a pour l rouge la coopération territoriale. Entre les deux, il y a des projets emblématiques : les quartiers Cambacérès, Eurêka, la reconversion du site de l’École d’application de l’infanterie, tout le quartier République qui va ouvrir dès 2019, le projet Ode à la Mer qui fait partie de l’Écocité, un secteur en restructuration, ainsi que l’ouverture d’une nouvelle ZAC, celle du Coteau. Enfin, emblématique lui aussi, le dossier ANRU 2, que j’aime beaucoup, porte sur le quartier de la Mosson dont fait partie La Paillade. Il s’agit d’un dossier de renouvellement urbain, dans un quartier politique de la ville, qui va nous demander beaucoup de travail.
Beaucoup d’élus ont critiqué la loi ELAN. Ils ont déploré l’absence des territoires dans cette loi, la question de la territorialisation. Vous partagez cette opinion ?
Je pense que la question des territoires dans les politiques publiques doit se traiter par une reforme territoriale juste et globale. La précédente réforme territoriale qui nous a été proposée est totalement avortée. C’est pour cette raison que je suis favorable à une réforme territoriale intégrée dans la réforme constitutionnelle. Cela permettrait de figer un peu les choses. Le risque, si on ne le fait pas, c’est de changer les règles du jeu dès qu’un nouveau gouvernement est nommé, selon des concepts très politiciens d’ailleurs. Aujourd’hui, les métropoles pourraient exercer les compétences sociales du département et devenir un guichet unique cohérent. Mais, sur les territoires dépourvus de métropole, il faut renforcer le rôle du département et ses compétences.
On a vu un premier ministre, Manuel Valls, nous dire à l’époque : « Il faut supprimer les départements », pour finalement nous dire 15 jours plus tard : « Il faut les renforcer. » On ne peut pas traiter le pays de cette façon.
Le gouvernement est seulement favorable à une fusion entre départements et très grandes métropoles. Souhaitez-vous un élargissement ?
Oui, je pense que ça peut se faire dans toutes les métropoles, c’est une question d’organisation territoriale. Même pour celles qui sont nées après la loi MAPTAM. Elles ont certes moins de 500 000 habitants mais ce sont les plus grandes villes de leur territoire. Le problème est le même, c’est l’échelle qui est différente. Par contre, il faut revoir totalement le rôle des régions parce que, selon moi, il n’est pas aujourd’hui satisfaisant. Le sociologue Jean Viard a indiqué que les présidents de régions se comportent comme de petits roitelets dans le pays. Je partage ce point de vue. Ils ne lèvent pas l’impôt donc ils n’ont pas de compte à rendre aux citoyens. Ils reçoivent des subsides de l’État qu’ils répartissent à leur bon gré. Cela peut être considéré comme du clientélisme.
Le sociologue Jean Viard a indiqué que les présidents de régions se comportent comme de petits roitelets dans le pays. Je partage ce point de vue.
Le législateur a donné des compétences importantes aux régions. Est-ce une bonne chose selon vous ?
Le rôle des régions doit être totalement modifié. Je suis pour le retour du conseiller territorial que Nicolas Sarkozy avait initié mais qu’il n’a jamais pu mettre en place. C’est-à-dire que les conseillers régionaux doivent être réellement élus. Si on regroupe la fonction de conseiller général et celle de conseiller régional, on supprime une couche du millefeuille, tout en gardant l’ancrage territorial sur de vraies circonscriptions électorales. La région pourrait alors se comporter comme une inter-départementalité. Elle pourrait ainsi mettre en œuvre les schémas dont elle a la charge sans tenir en laisse les maires et les départements.
Le rôle des métropoles n’est pas d’être égoïste. Les métropoles doivent passer avec tous leurs territoires d’influence des contrats de coopération. C’est ce que nous faisons à Montpellier.
On parle beaucoup aujourd’hui de fractures territoriales. On voit notamment une partie de la population se braquer contre les métropoles. Qu’en pensez-vous ?
Le rôle des métropoles n’est pas d’être égoïste. Les métropoles doivent passer avec tous leurs territoires d’influence des contrats de coopération. C’est ce que nous faisons à Montpellier. Par exemple, nous avons signé un contrat de réciprocité avec l’agglomération des Monts de Lacaune sur la filière Bois. Nous achetons le bois énergie et le bois de construction dans les hauts cantons de l’Hérault et dans le parc régional du Haut-Languedoc dans le Tarn. Cela nous permet de mettre en valeur les circuits de proximité et les productions locales. Nous étudions d’autres pistes avec Millau dans l’Aveyron ou le Parc national des Cévennes. Montpellier est par ailleurs signataire du Pacte de Milan sur l’agriculture urbaine, la protection des terres à fort potentiel et le non-gaspillage alimentaire. Nous recevrons l’an prochain les 179 villes mondiales qui ont signé ce pacte. Nous venons aussi d’intégrer le réseau Medcités, le réseau des villes de la Méditerranée. En même temps, j’ai créé un G6, une instance de coopération avec toutes les agglomérations voisines de la métropole, ainsi qu’un Parlement des territoires. C’est un immense pôle métropolitain qui regroupe 55 intercommunalités sur les 5 départements de l’ancienne région Languedoc-Roussillon et le sud de l’Aveyron. On se réunit une fois par an et on échange, dans tous les sens du terme, dans un esprit gagnant-gagnant. C’est une métropole ouverte, qui nourrit avec ses territoires des relations de bonne intelligence.
Il n’empêche que le mouvement des Gilets jaunes fait apparaître les requêtes et les récriminations de ce que beaucoup appellent la France périphérique, et je suis d’accord avec ça. Mais pour régler le problème de la France périphérique, de ceux qui n’ont pas les moyens de vivre dans les villes et partent à leur proximité, il est absolument nécessaire de développer des services publics, des voies de communication, des écoles pour les enfants, l’adjonction au réseau numérique, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Comment faire ?
Il faut faire ce que le maire de Neuilly, Jean-Christophe Fromantin, explique dans son dernier livre : créer des échelles avec les villes moyennes, qui vont devenir à leur tour des zones de centralité. Et ces zones de centralité doivent travailler avec les métropoles.
Ne pensez-vous pas que l’État a toujours traité la question des territoires de façon segmentée ?
La réforme territoriale que je souhaite a le mérite politiquement de ne rien segmenter puisque nous aurions alors des entités cantonales. Nous n’aurions plus de compétition entre grandes villes et villes moyennes. En plus, elle se baserait sur des vraies circonscriptions électorales, avec une vraie élection et non plus un scrutin de liste. Il ne peut pas y avoir d’équité territoriale sans équité politique. Les régions ne règlent pas l’équité territoriale parce que leur mode d’élection est fait en dehors de la représentation locale. Les conseillers régionaux, personne ne les connaît, ils ne sont pas élus sur le territoire mais sur une liste des partis politiques.
La réforme territoriale que je souhaite a le mérite politiquement de ne rien segmenter…
Récemment, vous vous êtes exprimé contre le péage urbain. Pour quelles raisons ?
Parce qu’à Montpellier, nous avons une spécificité locale. Nous avons un immense centre piétonnier de 106 hectares que nous agrandissons progressivement. Nous y avons mis en place une zone à faibles émissions. Elle joue un rôle de filtre pour les émissions de gaz à effet de serre. En revanche, je serais favorable à la mise en place d’un péage urbain sur les autoroutes. Parce que, notamment, l’autoroute A9 et l’autoroute A750 drainent 14 000 camions par jour. D’où la nécessité d’activer la nouvelle ligne ferroviaire Montpellier-Perpignan, la LGV, qui est une ligne mixte fret/voyageurs, permettant de charger les camions sur les trains.
Le dialogue entre l’État et les collectivités locales s’est un peu corsé. Quel est votre sentiment ?
Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent et qui pleurent en permanence. J’ai toujours tendance, par philosophie personnelle, à regarder le verre à moitié plein. D’abord, on ne peut pas demander au gouvernement, en un peu plus d’un an, de modifier le cours d’un pays dont certains pans ont été laissés à l’abandon depuis 30 ans. Ça ne se règle pas d’un coup de baguette magique. Ensuite, des choses positives ont été mises en place. La plus belle mesure, et je pèse mes mots – je ne dis pas la meilleure –, c’est le dédoublement des classes de CP et de CE1. Les professeurs enseignent à 12 élèves. C’est une mesure sociale incommensurable. Deuxième grande mesure sociale : le doublement des fonds accordés à l’ANRU. La troisième mesure, que j’estime importante, c’est la police de sécurité du quotidien dont nous bénéficions à Montpellier. Dernière chose, jamais la France n’a eu depuis 20 ans une image aussi belle à l’international. Moi qui vais dans de nombreuses villes un peu partout dans le monde, j’écoute les gens me dire que la France a rudement changé dans le bon sens. Après, bien entendu, il faut du temps pour tout réorganiser. Je pense très sincèrement qu’il faut réformer l’architecture des collectivités du pays car, si on ne la réforme pas, on va aggraver les injustices territoriales.
En plaçant au cœur la question urbaine ?
Ce sont les maires qui font le monde, il faut l’accepter. Encore plus aujourd’hui ! Moi, je suis capable de mettre autour de la table le maire de Bethléem et le maire de Tibériade, des villes jumelées avec Montpellier, alors qu’il est difficile de le faire avec les États palestinien et israélien. Je suis allé en Russie dans notre ville jumelle d’Obninsk et dans notre région jumelle de Kalouga, à côté de Moscou, pendant l’embargo. Les Russes m’ont dit quelque chose d’essentiel : il y a deux formes de diplomatie officielle, celle des États et celle des villes. Cette dernière est une diplomatie populaire. Je pense qu’elles sont complémentaires, mais j’ai tout de même davantage confiance en celle des villes.