Johanna Rolland, maire PS de Nantes, a été élue présidente de France urbaine en septembre dernier. Pour Objectif Métropoles de France, elle évoque les conséquences de la crise sanitaire sur les finances des grandes villes et métropoles. L’occasion de réagir sur le plan de relance du gouvernement et les grands sujets d’actualité, comme la sécurité et la 5G.
Propos recueillis par Sébastien Fournier
Quel regard portez-vous sur la façon dont le gouvernement a géré la crise due au coronavirus ?
La crise n’est pas dernière nous. Il y a des éclaircies, mais le virus circule toujours. Notre pays doit encore vivre plusieurs mois dans ce contexte. Nous devons faire bloc. Le temps de l’analyse et des commentaires viendra mais nous n’en sommes pas là. L’heure est à la responsabilité partagée et à l’action. La seule chose que je dirais, c’est que la crise a démontré à quel point les collectivités locales sont nécessaires pour mettre en place des solutions. Regardez, sur les masques ou les tests, ce sont les collectivités locales et plus précisément les grandes villes et métropoles qui impulsent et mettent en œuvre.
L’État doit s’appuyer sur nous s’il veut que les choses se concrétisent
Vous avez reproché au gouvernement de ne pas suffisamment vous associer. Vous le dites encore aujourd’hui au sujet du plan de relance. Les maires de grandes villes ne sont-ils pas entendus ?
Dans un pays où 70 % de l’investissement public passe par les collectivités locales, en particulier les grandes villes et métropoles, il est indispensable que l’État nous mette autour de la table. Nous devons travailler main dans la main, notamment sur le plan de relance. Malheureusement, ce n’est pas le cas. On voit des intentions mais cela ne se traduit pas par des actes. Depuis les élections municipales, de nouvelles équipes ont été mises en place, prêtes à intervenir. Ce n’est pas le cas de tous les niveaux de collectivités. Certains vont achever leur cycle électoral. C’est pourquoi, l’État doit s’appuyer sur nous, s’il veut que les choses se concrétisent.
Je demande au gouvernement s’il est prêt à ouvrir des négociations avec nous comme il l’a fait avec les régions
La crise coûte cher aux collectivités locales. Les finances des grandes villes sont-elles menacées ?
Nous tirons la sonnette d’alarme. Pas pour nous-même mais pour l’intérêt du pays. Durant la crise, nous avons eu moins de recettes et, dans le même temps, nous avons fait face à de nouvelles dépenses afin de venir en aide aux plus fragiles ou soutenir les acteurs économiques. Les dépenses s’élèvent à ce jour à 2 milliards d’euros pour les grandes villes, soit un tiers de notre épargne. Cela met à mal notre capacité d’autofinancement. C’est moins d’argent pour construire des crèches, des équipements ou soutenir des projets. Chez mes collègues, l’inquiétude n’a jamais été aussi grande. C’est pourquoi, je demande au gouvernement s’il est prêt à ouvrir des négociations avec nous comme il l’a fait avec les régions.
Pourtant, cet été, le gouvernement s’était engagé à compenser vos dépenses. Ne tient-il pas ses promesses ?
Nos discussions ne sont pas achevées. Le gouvernement nous dit avoir reçu le message. Très bien. Maintenant nous attendons des actes. L’impatience est forte.
Sur le terrain, j’entends du renoncement, c’est pire que de la colère
La crise touche fortement les populations fragiles. Une crise sociale s’installe durablement et une colère est en train de monter dans le pays. La ressentez-vous ?
Je ressens plus que de la colère. Il y a un double phénomène : des familles déjà dans la difficulté basculent dans une situation encore plus inextricable et puis des Français se retrouvent pour la première fois dans une situation de précarité. Sur le terrain, j’entends du renoncement, c’est pire que de la colère. Ce n’est pas bon pour notre pays.
Les jeunes sont durement touchés. Êtes-vous favorable à l’instauration d’un RSA jeunes comme le préconisent les associations de lutte contre la précarité ?
Il faut une réponse pour les jeunes. On constate tous dans les grandes métropoles que la jeunesse est touchée de plein fouet. Si ce n’est pas le RSA jeunes, cela doit être une autre proposition. On ne peut pas fermer les yeux sur cette situation.
On ne résoudra pas le problème des commerces sans régler la question des géants de l’internet qui ne respectent aucun principe
La crise a fait surgir un débat sur le commerce, les grandes plateformes contre les petits commerçants. Certains élus ont pris position pour un Noël sans Amazon. Ce sujet est-il au cœur de vos discussions à France urbaine ?
France urbaine a écrit au Premier ministre pour l’alerter sur l’iniquité qui existe entre grands et petits commerces. Pour que les règles soient comprises, il faut en percevoir le sens et la cohérence. La crise va durer encore plusieurs mois et certaines restrictions vont demeurer. On ne résoudra pas le problème sans régler la question des géants de l’internet qui ne respectent aucun principe. C’est d’abord une question de taxation. Si Amazon sort gagnant, ça voudra dire que le made in France a perdu.
Certains élus s’opposent aujourd’hui à la construction de grands entrepôts. Est-ce aussi une solution ?
Les géants du Net avancent souvent masqués. Dans certains endroits, Amazon ne se présente pas lui-même pour demander une autorisation d’urbanisme à une mairie. Il fait appel à un porteur d’affaires privé. Les élus se trouvent devant le fait accompli au dernier moment. Sur ce manque de transparence ou sur la taxation, il doit y avoir des avancées.
La crise a révélé de manière flagrante la nécessité de passer un cap supplémentaire en matière de décentralisation
Attendez-vous encore quelque chose du futur texte de décentralisation, dit « 3D » ?
Il y a eu une évolution du calendrier. La partie du projet de loi organique est présentée actuellement mais elle ne va concerner que les questions d’expérimentation. Les questions de fond ne seront abordées que dans un deuxième temps. Il va y avoir un décalage. Nous devons revisiter ce texte à l’aune de ce qui s’est passé durant la crise sanitaire. Elle a révélé de manière flagrante la nécessité de passer un cap supplémentaire en matière de décentralisation. Ce serait un comble si, au final, cette loi était une petite loi.
En matière de sécurité, les habitants se fichent de savoir si c’est la compétence de l’État ou des villes, ils veulent des résultats
En matière de sécurité, on voit aujourd’hui des élus accepter davantage de nouvelles compétences pour leur police municipale. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé. La situation conduit-elle à une forme de résignation ?
Les maires cherchent des solutions. Il faut prendre la mesure de ce qui se passe dans les grandes villes. Il y a 18 mois, nous étions une dizaine de maires de grandes villes et présidents de métropoles à écrire à Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, pour attirer son attention sur la forte montée de la délinquance et des trafics de drogue dans nos grandes villes. Nous avons besoin de fermeté républicaine. Si les mesures ne sont pas prises maintenant, le pays se prépare à de grandes difficultés.
Mais il y a un débat, en effet, entre les membres de France urbaine. Certains élus considèrent que la sécurité est une compétence de l’État et qu’il doit l’assumer totalement. Et si les maires investissent finalement ce champ-là, ils n’hésitent pas à dénoncer le désengagement de l’État. Mais d’autres considèrent ce discours inaudible. Les habitants se fichent de savoir si c’est la compétence de l’État ou des villes, ils veulent des résultats. Cela conduit à faire bouger des élus dans une idée de contractualisation avec l’État. Mais chacun son boulot, la police municipale, ce n’est pas la police nationale. La lutte contre les trafics de drogue, contre le grand banditisme, ça doit rester la prérogative de l’État ; quant aux villes, elles sont prêtes à prendre leur part pour la sécurité du quotidien et la tranquillité publique.
Alors que la 5G commence à se déployer dans les territoires, certaines villes ont adopté des moratoires. Quelle est la position de France urbaine ?
Il y a différentes positions qui s’expriment dans les grandes villes. Des débats locaux sont organisés et France urbaine, à travers sa commission dédiée à ce sujet, se fait le réceptacle de ces expressions. Nous sommes un lieu de partage des initiatives. En ce qui me concerne, je pense que la 5G pose plusieurs questions d’ordre économique et sanitaire mais aussi sur les usages. Si on dit aux Français que cette technologie est développée pour faciliter la télémédecine, on ne peut qu’être d’accord. Si c’est pour que nos ados téléchargent plus de vidéos sur les écrans, on peut s’interroger. Cela pose aussi la question de la souveraineté française. Qui est détenteur de la technologie ? Comment et pourquoi faire ? Dans une société qui est adulte, on peut avoir un débat serein et éviter les attitudes qui frisent parfois l’hystérie. À Nantes, nous avons fait le choix d’organiser un débat local. On fait le pari de l’intelligence collective.
L’État a-t-il été trop vite selon vous dans l’attribution des fréquences ?
Délivrer les fréquences avant la remise du rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail) me semble étonnant. En règle générale, on fait plutôt dans le sens inverse.
Vous présidez France urbaine avec les Verts qui ont conquis plusieurs grandes villes lors des dernières élections municipales. Dans votre camp, certains les jugent trop encombrants. La gouvernance est-elle difficile avec eux ?
Je suis présidente d’une association dont le mot clé est le collectif. Je suis la garante de cette diversité qui est représentée, concrètement, au sein du bureau exécutif. Par exemple, y siègent à mes côtés Jean-Luc Moudenc, maire LR de Toulouse, Nathalie Appéré, maire PS de Rennes, Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble. Par ailleurs, toutes nos commissions sont présidées à parité droite-gauche. France urbaine, c’est d’abord des élus urbains qui partagent ensemble la même vision du développement des territoires.