La présidente de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) entend prendre un arrêté prolongeant de deux ans la « période pédagogique » d’interdiction des véhicules Crit’Air 3, décalant de fait leur réel bannissement du territoire.
Par Bénédicte Weiss
Changement de calendrier. Contrairement à ce qui était prévu depuis 2021, les véhicules Crit’Air 3 ne seront pas interdits sur les routes de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) au 1er janvier 2025 mais deux ans plus tard, après une prolongation de la « période pédagogique » lancée le 1er janvier 2024 pour sensibiliser – sans verbaliser – leurs propriétaires à la mise en place de la zone à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) de Strasbourg. Les véhicules sans Crit’Air, Crit’Air 5 et Crit’Air 4 ont, eux, été progressivement bannis depuis début 2022. Une évaluation de la mise en œuvre de la ZFE-m publiée le 18 septembre 2024 montre que 4 % des véhicules circulant sur le territoire sont en infraction.
C’est sur la base de cette même évaluation que la présidente de l’EMS vient de décider le report de l’interdiction des véhicules Crit’Air 3. Cet assouplissement est permis par le passage de la collectivité en mars 2024 en « territoire de vigilance », un statut prévu pour les grandes agglomérations métropolitaines respectant les seuls réglementaires de qualité de l’air. Il les autorise à ne pas renforcer immédiatement les restrictions déjà en place, tout en se préparant à la révision de la directive européenne sur la qualité de l’air ambiant qui devrait abaisser d’ici à 2030 les seuils de pollution tolérée.
Une meilleure qualité de l’air
Pour la première fois en 2023, les concentrations des polluants ciblés par la ZFE-m ont baissé sur les sept stations de mesure Atmo du territoire. Les teneurs en dioxyde d’azote (NO2) étaient alors de 10 à 36 μg / m3 d’air selon les stations, en-deçà de l’actuelle valeur limite européenne de 40 μg / m3, mais généralement au-dessus de celle envisagée par le projet de révision de la directive sur la qualité de l’air (20 μg / m3) comme de la ligne directrice de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 10 μg / m3). Le constat est semblable en ce qui concerne les particules PM10 et PM2,5.
Parmi les facteurs qui ont pu jouer dans cette évolution favorable, il y a la baisse de 40 % du trafic de poids lourds sur la M35, autoroute traversant la métropole et la ville-centre du nord au sud : le trafic en transit y est désormais interdit avec un report sur l’A355, contournement ouest de Strasbourg mis en service fin 2021. Au grand dam des communes qui le bordent, dont certaines sont situées en deuxième couronne de l’EMS. En 2023, une étude commandée par quatre d’entre elles a pointé une hausse des concentrations en NO2 sur leurs bans depuis la mise en service du contournement. L’évolution du parc de véhicules, avec une baisse des immatriculations (- 7 000 entre 2022 et 2023) et une croissance de la part liée aux Crit’Air 1 a aussi pu jouer sur la qualité de l’air de la ville-centre, tout comme des conditions météorologiques favorables à la dispersion des polluants selon Atmo Grand Est.
Aller jusqu’aux Crit’Air 2
« L’interdiction des véhicules Crit’Air 3 sera un vrai défi par rapport aux Crit’Air 4 et 5 car ils représentent 15 % des véhicules en circulation sur le territoire contre seulement 4 % pour les Crit’Air 4 aux véhicules sans vignette », relève Elias Alaoui, chargé d’études à l’Agence d’urbanisme de Strasbourg Rhin supérieur (Adeus), qui chapeaute l’Observatoire de la mise en œuvre de la ZFE-m, auteur de l’évaluation présentée en septembre.
S’en prépare d’emblée un second : celui de l’interdiction des Crit’Air 2, soit 47 % du parc roulant sur le territoire. Le 1er janvier 2025 marquera aussi le début de la période pédagogique les concernant. En 2021, une délibération a inscrit l’ambition d’interdire aussi les véhicules Crit’Air 2 à partir de 2028, sous réserve qu’une évaluation en confirme la pertinence en 2026. En cause, une qualité de l’air régulièrement dégradée à Strasbourg du fait de l’émission de polluants (trafic routier, chauffage bois, activités industrielles…) comme de leur évacuation difficile dans une plaine à l’étroit entre les Vosges et la Forêt noire. Le débat pour une interdiction de ces véhicules avait été engagé dès le mandat précédent, sous la présidence de Robert Hermann (PS). Mais la mesure ne convainc pas toutes les communes de la métropole, seules quatre (sur 33) s’étant prononcé favorablement pour le moment. Les élus d’opposition critiquent le nombre de véhicules concernés comme le caractère supralégal de la mesure.
Le tissu économique s’est aussi longuement prononcé contre, alors que 61 % des véhicules professionnels circulant sur le territoire sont estampillés Crit’Air 2. Des aides ciblées pour la conversion de leur parc, ainsi que des dérogations permanentes dans certains cas, ont été prévues à l’issue d’un travail avec les chambres consulaires. L’étude de l’Adeus montre cependant que ces aides restent encore peu connues et sollicitées.
Assouplir certaines aides
Les aides aux particuliers, elles, ne sont pas toutes demandées dans la même ampleur. Celles liées à la conversion de véhicules le sont bien plus que le « compte mobilité », une mesure d’accompagnement vers l’abandon de la propriété d’un véhicule, soit vers un bouleversement bien plus conséquent de l’organisation des ménages. Elle prend la forme d’un portemonnaie de 2 000 à 2 500 euros servant à l’achat d’abonnements aux transports en commun ou d’équipement vélo, par exemple. Une période d’essai de six mois devrait être introduite, après laquelle l’accès à l’aide entière sera soumis à séparation définitive du véhicule automobile. Les usages possibles des sommes allouées devraient aussi être élargis à l’achat de billets de train et à la location de voiture pour des trajets longue distance, dont le coût est souvent un frein à l’abandon d’un véhicule personnel.
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