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Quand l’économie s’adapte aux règles physiques

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 4 minutes

Clémence Bechu, directrice du développement et de l’innovation au sein de l’agence d’architecture Bechu & Associés propose un scénario fictif de métropole qui a su adapter en 2050 son économie aux règles physiques. Un exemple à suivre.

Par Clémence Béchu

Atteindre la neutralité carbone en 2050 est un défi inédit pour l’humanité. La tâche est lourde et l’inertie du changement considérable : infrastructures, habitudes de consommation, politiques environnementales demandent du temps pour évoluer. C’est pourquoi les scénarii du GIEC se projettent surtout à partir de 2050. Dans ce contexte d’accélération du changement climatique, il est essentiel de renforcer les stratégies d’adaptation pour répondre aux enjeux de santé publique et économiques induits.

L’adaptation : un moteur naturel pour la réduction des émissions

Adaptation et atténuation sont deux leviers d’action complémentaires. Si l’un porte ses fruits sur le court / moyen terme, l’autre ne démontre ses impacts qu’à long terme. Interdépendants, l’adaptation est une réponse immédiate aux changements déjà perceptibles, tandis que l’atténuation vise à limiter l’aggravation de ces changements. Bien pensée, l’adaptation réduit la vulnérabilité tout en minimisant l’empreinte carbone, contribuant ainsi indirectement à l’atténuation. Face à ce constat, se pose la question volontairement décalée : après 2050, un territoire urbain parfaitement adapté devra-t-il encore se soucier de ses émissions carbone ? En théorie, non. Une adaptation réussie repose sur une intégration complète dans l’écosystème, favorisant l’économie circulaire. Un territoire en symbiose avec son environnement, optimise ses ressources, minimise ses pertes d’énergie, recycle les matériaux et réduit ainsi son impact carbone.

Repenser l’urbanisation

Mais qu’en est-il dans les faits ? Projection d’un scénario post-2050 où les enjeux d’atténuation seraient revisités grâce à une adaptation parfaitement réussie et véritablement novatrice. Nous sommes en 2050 à Écopole, métropole de 39 communes et de 450 000 habitants, devenue une référence en matière d’adaptation grâce à l’adoption d’une stratégie ambitieuse et pionnière. Depuis le début du XXIe siècle, la ville est sujette à des variations extrêmes de température et à des phénomènes météorologiques intenses, tels que des vagues de chaleur prolongées et des inondations récurrentes. De plus, Écopole a connu une croissance démographique rapide, attirant de nombreux foyers des grandes métropoles vers des villes à taille plus humaine avec un accès facilité à la nature.

Cette pression accrue sur les infrastructures a permis de redéfinir une urbanisation plus durable pour protéger les habitants et leur écosystème. Le constat de l’impact du climat sur l’organisation d’un pays a également mené Écopole à accélérer sa transition. Face à l’augmentation record des températures mondiales en 2024 – juin fut le mois le plus chaud jamais enregistré – entraînant des conséquences humaines et économiques dramatiques, Écopole a pris conscience que les règles physiques du changement climatique dépassent les impératifs économiques. L’Inde a par exemple connu un brutal ralentissement de sa croissance avec la perte de près d’un point* par rapport aux prévisions alors optimistes. Les experts s’étaient tous accordés à dire que les vagues de chaleur intenses – près de 50 °C – y étaient pour beaucoup. Les prévisions** indiquaient qu’en plus des vies humaines, celles-ci allaient coûter à l’Inde plus de 100 milliards de dollars par an d’ici 2030, soit 2,7 % du PIB annuel indien. Redoutant de suivre la même trajectoire à son échelle, Écopole a souhaité repenser son modèle économique a priori fini, en changeant de paradigme : adapter son économie aux règles de la physique.

Une métropole à l’avant-garde

Pour mettre en place des changements ayant un impact sur le quotidien et constatant l’élan positif du mouvement « B-Corp » pour la transition environnementale et sociétale des entreprises, Écopole a décidé devenir un territoire pionnier dans cette démarche. En 2028, elle fut la première métropole au monde certifiée « B-Met », « Met » pour « Métropole » et B signifiant « Bénéfice pour tous ».

En collaborant avec des experts en climatologie et en urbanisme, la métropole a développé des politiques environnementales et des plans d’adaptation novateurs, soutenus par des investissements dans des technologies durables et des infrastructures résilientes. Aussi, l’engagement et le dynamisme citoyens ont été boostés grâce à une plateforme numérique partagée, rendant compte régulièrement des impacts du changement climatique et des bénéfices obtenus au travers de chaque mesure.

La mesure de l’impact de ses investissements s’est faite via un indicateur révolutionnaire : le Taux de Rendement Climatique (TRC). Celui-ci ne se limite pas aux seules valeurs économiques, mais intègre une série de métriques extra-financières, dont l’engagement citoyen à agir, ou les émissions carbone évitées, les mesures d’atténuation ayant avec le temps, localement, fusionné naturellement avec l’adaptation. Ce TRC permet à la ville de suivre précisément les bénéfices climatiques et sociétaux de ses initiatives, renforçant ainsi sa transition vers une économie circulaire et plus sobre.

Contrer l’illettrisme climatique

Pour parvenir à ce résultat inédit, deux leviers majeurs ont été activés. D’abord éduquer, car l’un des freins les plus puissants au changement réside dans la méconnaissance. Ainsi, Écopole a mis en place des politiques de sensibilisation à grande échelle, notamment auprès des enfants, avec l’initiative « Je grandis avec le changement climatique ». Cette démarche a permis de lever des années d’illettrisme climatique, en donnant à chaque génération des clés scientifiques pour comprendre les enjeux, tout en offrant des perspectives sur les opportunités qu’une économie verte peut offrir.

Ensuite, motiver en récompensant l’action. Le coût de l’inaction a été compensé par de nouvelles taxes, alimentant une enveloppe dédiée à l’action climatique, et chaque geste rapporté dans l’appli a fait l’objet de points verts donnant droit à des boni de sobriété ou à des paniers maraîchers. Tri des déchets, économies d’énergie et d’eau, participation engagée à des mesures de densification douce dont les impacts positifs étaient prouvés scientifiquement, l’engagement de tous a été récompensé. À suivre.

* D’après la Banque centrale indienne, la croissance du PIB a atteint 6,7 % lors du premier trimestre de l’année fiscale 2024-2025, le plus faible taux en 15 mois avec 0,8 % de perte.
** Prévisions 2024 du think tank Climate Impact Lab et de l’Université de Chicago.

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