Transpolis, le laboratoire français de la mobilité connectée grandeur nature, se voit aujourd’hui concurrencer par Waymo, la société sœur de Google qui développe la voiture autonome. Cette rivalité va-t-elle être fatale au site français ? Pas sûr, car Transpolis a plus d’un atout…
Le sud de l’Ain, entre Lyon et Ambérieux, accueille une ville qui n’a aucune existence juridique. Pourtant, Transpolis, baptisée par ses promoteurs la « ville laboratoire », est bien réelle avec ses quelques rues goudronnées, ses trottoirs, ses centaines de kilomètres de fibre optique, son mobilier urbain connecté, sa portion de chaussée à marquage lumineux, sa 5G installée avant l’heure. On y trouve aussi des départementales et même une portion d’autoroute. Mais tout est fictif. Personne n’habite cet endroit artificiel implanté sur la commune de Saint-Maurice-de-Rémens. Il est toutefois fréquenté par des ingénieurs en R&D. Ils trouvent ici le lieu idéal pour mener de la recherche appliquée.
Un site public-privé
Ouvert en 2018 sur une ex-base de l’armée, le site sert de terrain de jeu à l’échelle 1 aux constructeurs et équipementiers de la mobilité connectée. « Nous avons comme clients BMW, Volvo, Renault, Iveco, Bolloré, Renault Trucks ou encore les fabricants de navettes autonomes Navya et EasyMile, sans compter des équipementiers comme Valéo, Plastic Omnium, Gitec », liste Stéphane Barbier, le directeur du développement de Transpolis SAS.
Cette société est le fruit d’un mariage entre secteur public et secteur privé. Sur les 20 millions d’euros investis, 12,8 millions ont été apportés par l’État et différentes collectivités pour réaliser les travaux : région Auvergne-Rhône- Alpes, département de l’Ain, métropole de Lyon, Communauté de communes de la plaine de l’Ain. Quant aux industriels, ils ont doté la SAS en capital et en apport en industrie. De nouveaux acteurs vont bientôt s’ajouter à une liste d’actionnaires déjà longue : Aixam, Colas, Renault Trucks, Vibratec, Berthelet, Bouygues, Ericsson, Lacroix, Objenious, Selux, Sensys, etc., certains étant fournisseurs des collectivités. « Nous avons d’ailleurs parfois la visite d’élus qui assistent à des démonstrations », indique l’exploitant.
Waymo, un concurrent ?
L’intérêt spécifique de Transpolis ? Offrir un ensemble systémique qui permet le dialogue entre le véhicule et les infrastructures pour développer des voitures, bus, navettes et camions connectés et autonomes… sans être gênés par l’activité urbaine. Lors de l’inauguration en 2019, les invités ont eu droit à un aperçu de ce qu’on y fait : une première voiture en mode autonome a déboîté pour éviter un vélo, celle qui la suivait l’a esquivée tout freinant en urgence pour éviter un piéton mannequin qui traversait.
« Un site unique en Europe » : avec Transpolis, projet visionnaire imaginé en 2008, ses promoteurs (parmi lesquels l’IFSTTAR) sont fiers d’avoir damé le pion aux GAFA en matière d’innovation. Sauf que le 1er décembre 2020, Waymo, la filiale d’Alphabet, maison-mère de Google, dédiée au véhicule autonome, a lancé sa grosse machine. Le Californien a annoncé l’ouverture cette année de sa propre fausse ville dans l’Ohio, un terrain « de test exclusif et unique en son genre qui modélisera un environnement urbain dense ». Co-développé avec l’institut Transportation Research Center, il doit permettre à Waymo d’aboutir à la conduite autonome intégrale. Un concurrent ? « Nous habitons à 10 000 kilomètres l’un de l’autre et il est normal qu’un tel acteur veuille développer et maîtriser son propre site », répond Stéphane Barbier.
4 M€ de chiffre d’affaires
Par ailleurs le créneau n’est pas le même. « Le niveau 5 – la voiture robot sans conducteur – n’est plus un objectif en soi pour la majorité des constructeurs avec lesquels on travaille, c’est très complexe à mettre en œuvre dans notre espace urbain dense, avec des piétons qui traversent à l’improviste, des pistes cyclables à contresens, constate le directeur du développement, sauf dans des cas particuliers de convoi sur voies d’autoroute réservées. Les villes américaines à plan quadrillé avec de très larges avenues, un grand respect des feux de signalisation, s’y prêtent mieux. » Le travail des constructeurs vise à perfectionner les aides à la conduite qui apportent un plus en matière de sécurité et de confort.
Les affaires marchent. Transpolis s’attend cette année à 4 millions d’euros de chiffres d’affaires (contre 2,8 en 2018). « La crise n’a pas eu d’effets négatifs sur nous, elle a juste ralenti la croissance. Nous sommes une équipe de 28 et nous allons encore augmenter nos effectifs », détaille Stéphane Barbier. Et ce n’est pas fini. Transpolis et ses partenaires publics et privés doivent annoncer de nouveaux développements sous un an… encore sous le sceau du secret.
Le défi de la décarbonation
Certaines collectivités comme la Communauté de communes de la plaine de l’Ain, dont fait partie le site, y voient l’occasion d’un rééquilibrage de l’aménagement du territoire et du développement économique face à la tentaculaire métropole de Lyon. Elle a réservé 40 hectares contigus à Transpolis pour construire une technopole, c’est-à-dire des bureaux et des ateliers.
Certitude, la ville-laboratoire s’ancre dans un écosystème historique tourné vers l’industrie automobile dont les piliers sont Renault Trucks (ex-Berliet) ou Irisbus en Ardèche. Dans ce tissu industriel, le pôle de compétitivité CARA (European cluster for mobility solutions) fait le lien avec les filières de formation, les laboratoires et les sous-traitants avec, pour gigantesque défi, celui de la décarbonation. L’accession d’une majorité EELV à la tête de Lyon et de sa métropole menace-t-elle Transpolis ? « Nous sommes agnostiques et destinés à permettre aux industriels de développer des solutions. Chercher le moyen d’assurer une meilleure cohabitation entre vélos, piétons, trottinettes peut en faire partie », souligne Stéphane Barbier.
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