Depuis une dizaine d’années, Caen travaille au renouveau du quartier de la Presqu’île, déserté depuis la désindustrialisation. Sur une superficie de 40 hectares, le quartier «Nouveau bassin » accueillera ses premiers habitants en 2025. Mais, avant, des défis restent à relever. Risque inondation, économie circulaire, qualité des logements : le projet se veut exemplaire.
Par Juliette Kinkela
Un quartier en mouvement. Un destin qui bascule. La reconquête d’un canal. Les différentes perceptions de la Presqu’île de Caen ne manquent pas. Vu du Dôme (Centre de culture scientifique, technique et industrielle, ndlr), comme vu du ciel, le site offre, pour quelques années encore, un double visage. Du côté de la Pointe Presqu’île à l’ouest, sur 10 hectares, on peut voir les équipements publics à l’architecture contemporaine, cœur battant de la nouvelle programmation culturelle et artistique de Caen. De part et d’autre de ces bâtiments, la Grande Pelouse conçue par le paysagiste Michel Desvigne invite les passants à s’approprier l’espace public. Quelques mètres plus loin, une autre dynamique se dessine. Des grues ont pris possession de différents îlots sur lesquels on aperçoit la construction de centaines de logements, au nombre de 400 à terme. La ville dense, arborée, du quart d’heure avec ses cellules commerciales que l’on devine en rez-de-chaussée, sort de terre.
Lorsqu’on tourne la tête à 180 degrés, vers l’est, un autre monde surgit, plus ancien. Le temps semble s’être arrêté sur une vaste friche industrielle. Il y a une trentaine d’années encore, l’ensemble de la Presqu’île accueillait terrains vagues, hangars désaffectés et lieux de stockage. Un no man’s land dans lequel peu de Caennais osaient s’aventurer. Aujourd’hui, les toitures en tôle, couleur brique ou acier, sont moins nombreuses, et les activités pour le moment en fonctionnement sont sur le départ. D’ici 2025, le quartier « Nouveau bassin », 40 hectares, accueillera ses premiers habitants.
Un algorithme pour des logements de meilleure qualitéLa Société publique locale d’aménagement (SPLA) Caen Presqu’île s’est penchée, avant l’heure, sur une problématique qui a récemment resurgit dans le domaine de l’habitat : la baisse de la qualité des logements, notamment dénoncée dans le rapport Girometti-Leclercq, publié en 2021 par le ministère du Logement. Bien avant ce document, l’architecte néerlandais Winy Maas, fondateur de l’agence MVRDV en charge du « plan-guide » de la Presqu’île, a mis en place un « algorithme de formes urbaines », d’après Thibaud Tiercelet, directeur général de la SPLA. Le logiciel se base sur trois critères : l’ensoleillement garanti toute l’année, la circulation de l’air et les distances entre chaque façade. « Cet algorithme génère une certaine forme d’épannelage. On demande ensuite aux promoteurs de suivre globalement ces schémas afin de garantir une situation privilégiée pour chaque logement », précise le directeur général. |
Simulations hydrauliques
La « reconstruction de la ville sur la ville » a ainsi fait partie des premiers fondamentaux du réaménagement de la Presqu’île. Pour l’occasion, en 2010, la Société publique locale d’aménagement (SPLA) Caen Presqu’île a été créée. Le projet global s’étend sur 300 hectares, sur les communes de Caen, Hérouville-Saint-Clair et Mondeville. Près de 4 000 logements sont prévus ainsi que le réaménagement de 10 kilomètres de berges. « Retrouver ce rapport historique à la mer », selon Thibaud Tiercelet, directeur général de la SPLA, c’est la deuxième colonne vertébrale du projet urbain. « Nous proposons un quartier situé entre l’Orne et le bassin Saint-Pierre qui était un endroit très dynamique en termes économiques », poursuit le directeur général. Aujourd’hui, les voiliers voguant sur le canal, construit de toutes pièces au XIXe siècle pour faciliter le commerce maritime, annoncent la couleur : la mode est à la navigation de plaisance.
Si, de nos jours, la présence de l’eau au sein d’un quartier d’habitation est un atout majeur, cette aménité n’en reste pas moins une gageure : comment prévenir les risques d’inondation et éviter à des centaines d’habitants, commerçants et salariés de vivre les pieds dans l’eau ? « Le site est soumis au risque d’inondation et de submersion marine. Bien qu’un plan de prévention ait été mis en place par l’État, les collectivités normandes ont souhaité aller plus loin en lançant des simulations hydrauliques avec un bureau d’études », précise Thibaud Tiercelet. Les scénarios se sont ainsi appuyés sur plusieurs critères, comme la hauteur des marées, la vitesse du vent, l’intensité des précipitations et le circuit d’écoulement des eaux. « Grâce à ces simulations, nous savons à quels emplacements nous devons concevoir nos couloirs d’eau. On ne vient ni perturber le phénomène, ni l’aggraver », indique le directeur général. S’il se veut confiant dans ses analyses, Thibaud Tiercelet envisage tout de même de surélever les rez-de-chaussée sur l’ensemble du quartier. En outre, des opérations de communication sur la façon de gérer ces risques devraient régulièrement avoir lieu auprès des habitants.
La voiture se fait discrèteAvec un projet composé à 60 % d’espaces publics et 40 % d’espaces privés, le futur quartier «Nouveau bassin » proposera des voies de circulation largement dédiées aux piétons et aux modes doux. Les places de stationnement, situées dans des parking silos, seront mutualisées. Aucun habitant ne sera donc propriétaire d’une place. Objectif : diminuer le nombre de voitures. Des systèmes d’autopartage de véhicules et de vélos seront proposés. Pour faciliter les déplacements en transports en commun, le prolongement du tramway jusqu’au nouveau quartier est prévu pour 2028. |
Le « poubellien »
Autre sujet complexe : la gestion des sols pollués. Sur un territoire ayant connu notamment des dizaines d’années d’industrialisation, les problématiques sont nombreuses. Ici aussi, la SPLA a fait dans le sur-mesure. « Avec l’accord de l’État, nous allons mettre en place une plateforme de tri commune entre les trois villes impliquées dans le projet. De cette façon, nous pourrons récupérer les terres des uns et des autres, sans que celles-ci ne soient considérées comme des déchets dont il faut se débarrasser », explique Thibaud Tiercelet. Terre, plâtre, pneus, béton, métal, etc. Le sous-sol de la Presqu’île abrite tout un tas de « trésors ». En triant les sous-sols qui hébergent le « poubellien » (néologisme désignant le foncier pollué par différents déchets, notamment plastiques, ndlr), la SPLA espère revaloriser 60% du sol.En ce qui concerne les terres polluées, certaines seront remises en état, grâce à différents fertilisants naturels.
Même logique pour les sédiments accumulés près des berges. Objectif : remplacer les mauvaises terres par les bonnes. Certaines serviront à la création de 18 kilomètres de haies paysagères autour des îlots de logements afin de garantir une biodiversité dans le quartier. Avec cette solution, la SPLA estime à 10 millions d’euros ses frais de dépollution, soit 20 millions d’euros d’économies par rapport à un traitement classique en déchetterie. La structure affirme également réduire l’empreinte carbone du projet grâce aux dizaines de camions en moins sur les routes. Forte de ces expérimentations, la SPLA ambitionne de faire de « Nouveau bassin » un quartier « vitrine » en matière d’aménagement. Toutes ces aspirations ont un coût : l’opération «Nouveau bassin » est estimée à 80 millions d’euros (ce qui comprend notamment l’achat du foncier, la dépollution et les équipements publics), dont 30 millions à la charge de la communauté urbaine de Caen-la-Mer. À ce jour, 75 % du foncier est maîtrisé par les collectivités et porté par l’Établissement public foncier de Normandie.
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