Dans une note mise en ligne sur le site du cercle « Inventer à Gauche » composé d’anciens rocardiens, Dominique Strauss-Kahn analyse la crise du Coronavirus dans le monde. Il y est évidemment question d’économie, d’Europe et plus globalement de multilatéralisme. Objectif Métropoles de France vous en livre les points principaux.
Par Sébastien Fournier
On ne l’avait pas entendu ou lu depuis un moment. L’ancien secrétaire général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, livre dans une note ses réflexions sur la crise sanitaire et ses conséquences sur l’économie*. Ici, il n’est pas vraiment question de mesures à prendre pour limiter la pandémie. L’ancien homme politique analyse plutôt la crise sur le plan géopolitique. Une mise en perspective plutôt bienvenue à l’heure où les débats sont souvent franco-français.
D’emblée, il donne le la. Selon lui, la pandémie s’annonce désastreuse pour les pays les plus fragiles. « Ce revers économique risque de replonger des millions de personnes de la “classe moyenne émergente” vers l’extrême pauvreté », écrit-il. S’il applaudit les réponses budgétaires et monétaires souvent coordonnées comme celles des banques centrales inondant le marché de liquidités, il souligne qu’elles n’atteindront que faiblement les économies émergentes. Comment faire alors pour éviter un cataclysme ? Il propose que le FMI réactive ses droits de tirages spéciaux (DTS), sorte de monnaie fictive qui permet de compléter les réserves de ses membres. La seule façon d’ « éviter une catastrophe économique dont les conséquences rejailliront au-delà des rives de la Méditerranée ». Pour Dominique Strauss-Kahn, il y a urgence. L’Europe, aujourd’hui, a déjà du mal à gérer l’afflux des milliers de migrants qui se pressent à ses portes. « Qu’en sera-t-il lorsque, poussés par l’effondrement de leurs économies nationales, ils seront des millions à tenter de forcer le passage ? », s’interroge DSK.
« Une méthode Monnet de l’après-guerre sanitaire »
De l’Europe, il en est encore question. Il n’hésite pas à torpiller « l’égoïsme » de ses membres. « On passe à côté du sujet central qui est celui d’une réponse budgétaire mutualisée afin de ne pas mettre en péril la soutenabilité de la dette des pays les plus fragiles », s’agace l’ancien homme politique. Il pointe les divisions en Europe autour de la création des “coronabonds”. Globalement, DSK propose un plan d’action musclé : un soutien de la demande de l’ordre de grandeur de la perte de production, un instrument de mobilisation de ressources budgétaires et d’endettement commun, et une action concertée au niveau international. L’ancien directeur général du FMI croit par ailleurs à une renaissance de l’Europe politique. Il en appelle à une « une méthode Monnet de l’après-guerre sanitaire ».
De l’Europe à la coopération mondiale, il n’y a qu’un pas. Dominique Strauss-Kahn espère un changement de la relation entre les Etats. Selon lui, la focalisation sur la crise sanitaire va rendre chaque jour plus visible le vide de puissance. Dans ce contexte, il estime que certains Etats vont être tentés d’accroître leur leadership ce qui conduirait à une fragmentation de la mondialisation. « L’Europe peut être une chance si elle sait se ressaisir », espère-t-il.
En guise de post-scriptum, Dominique Strauss-Kahn s’interroge sur l’avenir des mesures autoritaires prises par les Etats pour endiguer la pandémie, à commencer par la France. « Celles-ci doivent rester impérativement exceptionnelles et temporaires. Or depuis quelques années, d’autres mesures prises au nom de la lutte contre le terrorisme sont passées dans une indifférence quasi générale du statut de mesures exceptionnelles à celui du droit commun », écrit-il. De quoi mettre en garde le président de la République de ne pas affaiblir durablement l’Etat de droit au nom de l’urgence sanitaire.
* “L’Etre, l’avoir et le pouvoir dans la crise”, par Dominique Strauss-Kahn.