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Nos métropoles sont-elles (à taille) humaine(s)?

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 5 minutes

Les Français semblent bouder les grandes villes. Et la crise sanitaire n’a fait qu’amplifier ce phénomène. Alors, les cités les plus denses sont-elles forcément moins « humaines » ? Quelques éléments de réponse avec «Lyon, Nice et Strasbourg, trois métropoles qui se veulent à la bonne taille.

Par Franck Soler

Dieu a fait la campagne et l’homme a fait la ville », selon William Cowper, poète anglais. Il fallait donc la faire grande et haute, rayonnante et puissante. Cette ville dense est aujourd’hui décriée, voire rejetée. Les crises – climatique, environnementale, sanitaire – mettent à mal cette vision salvatrice de l’univers urbain. Dès lors, quelle est la bonne échelle, la juste densité de la ville ? « Notre métropole est certainement déjà très ”humaine” », affirme Christian Estrosi, président de Nice-Côte d’Azur (540 000 habitants ; 370 habitants/km2). « Pour autant, l’écosystème urbain doit ressembler aux écosystèmes naturels et s’inspirer de la nature qui croît, s’adapte, protège, innove, crée et se renouvelle sans cesse. »

Béatrice Vessiller, vice-présidente du Grand Lyon (1 400 000 habitants ; 2 600 habitants/km2), donne un autre point de vue, lucide. « Sur quelques aspects, la métropole de Lyon est encore à taille humaine. On a des lieux de vie de quartiers, une diversité de communes qui font qu’il y a une identité, des échelles de proximité. Mais le modèle qui prévalait il y a quelques années – celui de devenir une ville attractive dans une compétition internationale – n’est plus le nôtre. Cette compétition internationale produit un modèle urbain qui n’est pas humain. On en voit les limites aujourd’hui : les prix du logement qui ont explosé, l’augmentation des inégalités, les problèmes environnementaux, la pollution de l’air, la congestion dans les transports. »

Un sentiment de saturation

Car à trop vouloir grossir, les métropoles, vues comme un levier d’attractivité dans la réforme territoriale, ont fini par provoquer un sentiment de saturation, d’étouffement, chez de nombreux citadins. Pour Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole de Strasbourg (505 000 habitants ; 1 480 habitants/km2), la géographie dicte la bonne échelle de la ville. « Bordée à l’Est par le Rhin, la métropole mise sur son identité transfrontalière. Nous ne cherchons pas forcément à gagner en nombre d’habitants mais en qualité de vie : qualité de l’habitat, des transports, de l’environnement économique, universitaire et culturel. Sur ce territoire, nous pouvons limiter le temps de transport et travailler sur la qualité des logements. C’est ça qui fait le bien vivre des habitants de la métropole. » Même analyse pour Christian Estrosi : « Notre métropole a une vraie vocation européenne. Forte de son hyper connexion et de son territoire d’exception, elle est en train d’inventer un nouveau modèle de développement urbain conciliant l’économie et l’écologie. »

Les (bonnes) raisons de fuir la ville

Pour autant, entre 600 000 et 800 000 personnes auraient quitté les grandes villes entre 2015 et 2018. Ce début d’un exode métropolitain s’est amplifié avec la crise sanitaire, surtout pour les Franciliens. Béatrice Vessiller confirme que ce phénomène existe aussi à Lyon. « On sent un frémissement. Les professionnels de l’immobilier nous disent qu’ils n’ont jamais autant construit en dehors de la métropole ou sur ses franges. Avec des prix qui augmentent. Dans les écoles et les collèges de la métropole, on observe une baisse des effectifs par rapport aux prévisions. »

La crise sanitaire a fait évoluer le regard des citadins sur les éléments essentiels de leur vie.

Et en effet, la crise sanitaire a fait évoluer le regard des citadins sur les éléments essentiels de leur vie : le besoin de nature, la santé, les mobilités et le logement notamment. Ces quatre indicateurs fondamentaux offrent une grille de lecture pour apprécier la bonne taille de nos métropoles et guider l’action publique.

Nature, la grande oubliée

Les citadins ne peuvent pas vivre à l’écart de la nature. Pourtant, il aura fallu une pandémie pour comprendre que l’accès à la nature en ville était important et même vital. Les appels à la réouverture des parcs et jardins publics lors du premier déconfinement ont mis en lumière ce besoin, mais aussi le rôle majeur que les espaces verts jouent au sein de la ville pour répondre à des attentes personnelles et collectives. Pia Imbs mise sur la nature en ville pour faire face à la crise climatique.

« Il nous faut rendre la ville supportable à l’aune du dérèglement climatique, nous préparer à vivre avec 50° en 2050. Pour cela, dans notre plan d’urbanisme et d’habitat, nous mettons en place des mesures comme la création d’îlots de fraîcheur, la végétalisation des sols, la préservation des espaces naturels. »

Santé : entre asphyxie et bruit ?

Les grandes métropoles dépassent régulièrement les normes de qualité de l’air recommandées par l’OMS. La voiture individuelle en est largement à l’origine : jusqu’à 60 % de la pollution de l’air des grandes villes, contraintes de mettre en place des Zones à faibles émissions. L’hiver notamment, par temps calme, les particules et les gaz toxiques émis par les voitures thermiques n’arrivent pas à s’échapper. Les pics de pollution peuvent atteindre des valeurs alarmantes pour la santé… comme à Lyon où la concentration de particules fines est jusqu’à 12 fois supérieure au seuil de l’OMS.

Béatrice Vessiller l’avoue : « Les Lyonnais ont besoin d’une métropole respirable. L’enjeu sur les mobilités décarbonées est énorme. C’est pour cela que nous déployons le réseau des voies lyonnaises, 250 kilomètres dédiés au vélo. Il faut avoir des îlots de fraîcheur, des espaces de détente et de nature en ville beaucoup plus importants que ce que nous avons aujourd’hui. »

Le bruit est considéré comme la seconde cause de morbidité derrière la pollution atmosphérique.

La parenthèse enchantée vécue lors des périodes de confinement a profondément modifié le rapport au bruit de nombreux citadins qui se sont soudainement sentis moins prisonniers de leur environnement, moins agressés. Sans conteste, l’exposition au bruit des transports est un enjeu de santé publique. En milieu urbain, parmi les facteurs de risque environnemental, le bruit est considéré comme la seconde cause de morbidité derrière la pollution atmosphérique.

Le mal urbain des transports

Le « mieux vivre urbain » renvoie immédiatement à la question des mobilités, de la facilité des déplacements, journaliers notamment. Quelle métropole peut se prétendre à taille humaine lorsqu’une grande partie de sa population doit faire plus d’une heure de trajet quotidien pour aller travailler ? Pour Pia Imbs, « c’est la proximité qui fait le bien-être des habitants, que ce soit pour le travail, les achats mais aussi pour la vie sociale et culturelle. À Strasbourg, nous sommes une métropole des proximités. C’est ainsi que nous projetons de déconcentrer les services et les activités de la métropole sur quatre bassins de vie ».

Compte-tenu de sa géographie et de sa forte densité de population, la métropole niçoise connaît elle aussi des difficultés de déplacement. Pour Christian Estrosi, « nos futures lignes de tramway vers Saint-Laurent-du-Var et Cagnes-sur-Mer, d’une part, et vers La Trinité et Drap, d’autre part, vont y remédier. Elles s’inscrivent dans le cadre d’une politique globale qui n’oppose pas les modes de transport entre eux mais cherche à les rendre complémentaires ».

Inaccessibles logements

Au cours des quarante dernières années, le prix de l’immobilier a flambé dans le cœur des métropoles. À Lyon par exemple, les cadres représentent désormais 52 % des acheteurs. Et la hausse du prix des maisons individuelles, à l’achat comme à la location, illustre bien ce désir d’espace.

Quelle ville pour demain ?

La densité des grandes villes est pointée du doigt. Elle serait devenue synonyme de cherté, de conditions de vie dégradées, de pollution. Alors faut-il la bannir ? Pourtant, bien pensée, bien dosée, elle contribue à la qualité du cadre de vie et à l’urbanité des villes. C’est en tout cas le défi que veut relever Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement, pour (bien) habiter la

France de demain : « Nous devons gagner la bataille culturelle qui consiste à préférer l’intense à l’étalement, le collectif à l’individuel, la sobriété foncière à l’artificialisation des terres naturelles. Pour cela, la qualité et l’esthétique des logements, en particulier collectifs, sont essentielles. »* Quelle que soit sa forme, la métropole à taille humaine, écologique et protectrice, reste donc à inventer. Tous les rêves sont permis…

* Habiter la France de demain – Ministère chargé du Logement.

Lire sur le même sujet :

« Pourquoi le modèle des métropoles doit être défendu »

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