Dans un bilan publié au printemps dernier, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) invite l’État à surmonter un « véritable mur d’investissement » en faveur de la mobilité. Pour remettre les réseaux de transport français au niveau de ceux de nos voisins européens, le COI demande aux pouvoirs publics de faire preuve de volontarisme.
Par Aurélien Jouhanneau
À l’heure de la transition écologique, combien faudra- t-il de rapports pour créer un choc «transports publics » au sommet de l’État ? Car, ni Emmanuel Macron, réélu président de la République, ni Élisabeth Borne, première ministre, n’ont, à ce jour, évoqué le rapport « Bilan et perspectives des investissements pour les transports et les mobilités », remis par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) au précédent gouvernement, en mars dernier. « Nous avons devant nous un véritable mur d’investissement, qui préfigure un mur de fonctionnement (…) », lâche sans détour l’auteur dudit rapport aux 134 pages, David Valence, maire de Saint-Dié-des-Vosges, vice-président du Grand Est chargé des Transports et président du COI. Un précédent rapport sur le même thème avait déjà été remis en 2018 à Élisabeth Borne, alors ministre chargée des Transports. Le COI était alors présidé par Philippe Duron, ancien député-maire de Caen. « Ce nouveau bilan, je le partage dans sa globalité, note celui qui est aujourd’hui co-président de l’association TDIE (Transport développement intermodalité environnement). À sa lecture, on comprend que la contrainte est avant tout financière. Face à d’autres enjeux d’investissement (santé, écologie, éducation…), le gouvernement va devoir faire des choix. Je ne suis pas certain que l’exécutif aille à 100 % dans le sens du COI pour des raisons budgétaires. »
La France en retard
Pourtant, comme le souligne le rapport, la filière transports et mobilités recherche 200 milliards d’euros sur les dix ans à venir et au-delà. D’après les 17 membres du COI, il y a surtout péril en la demeure sur l’état du réseau ferroviaire interurbain. « La France a sans doute considéré, avec trop de certitude durant les années passées, que ses infrastructures étaient de qualité. TGV et autoroutes ont masqué la réalité : la France est en retard, très en retard », pointent-ils. En outre, les crédits de renouvellement sont restés très en deçà du niveau requis pour enrayer « significativement » la dégradation des voies ferrées, et ce, malgré leur augmentation « spectaculaire » engagée il y a quinze ans. « On ne le rajeunit pas assez vite, poursuit Philippe Duron. En 2005, l’audit Rivier pointait déjà du doigt le très mauvais état du réseau classique. » Dix-sept ans plus tard, le COI place en priorité l’accélération de la régénération du secteur ferroviaire, de la commande centralisée du réseau, du développement d’ERTMS (European rail traffic management system) et de la 5G.
« Il ne faut pas parler d’une énième taxe aux citoyens mais d’un service public rendu. »
Philippe Duron (TDIE)
Tout cela dans l’objectif de « se remettre au niveau des autres pays européens ». À titre d’exemple, le réseau ferroviaire allemand a une moyenne d’âge de moins de 20 ans, quand celle de la France est de 33 ans. Sur le front des routes nationales et des voies fluviales, David Valence relève une « montée en puissance » des crédits alloués à leur entretien et à leur régénération, qui a permis d’en « ralentir le vieillissement sans encore inverser la tendance ». À l’avenir, « il convient d’intégrer aux réflexions les transferts rendus possibles par la loi 3DS et la perspective dans dix ans de la fin des concessions autoroutières en cours », avance le rapport. « Nous devons accélérer la modernisation de notre réseau routier, faute de quoi il connaîtra le même sort que les infrastructures ferroviaires », souligne le co-président de TDIE. Philippe Duron estime que l’Hexagone n’échappera pas à l’avenir à des réflexions relatives à la tarification des routes: « On a reculé sur les péages urbains, la taxe carbone… Il ne faut pas parler d’une énième taxe aux citoyens mais d’un service public rendu. »
Des collectivités locales qui investissent plus que l’État
En 2018, le précédent COI préconisait déjà de porter une attention particulière aux transports collectifs, nœuds ferroviaires et dessertes routières des territoires ruraux. Il proposait, entre autres, de phaser ou reporter les grands projets interurbains ferroviaires considérés comme moins urgents. Depuis, la loi d’orientation des mobilités (LOM), votée en 2019, donne plus de poids et de latitude aux collectivités locales. « Dans les comptes nationaux des transports, les investissements des administrations publiques locales représentent le quintuple de ceux de l’État et des opérateurs nationaux (…) », écrit noir sur blanc David Valence. Pourtant, le compte n’y est toujours pas. Le rapport préconise de faire le bilan de la LOM. « Le rôle des collectivités est croissant et le partenariat avec elles doit être revisité ». Mais « le bilan de la LOM, qu’elles mettent en œuvre tout autant que l’État, ne peut être réduit au bilan de l’action de celui-ci », prévient-il. Le fonctionnement de l’État complexifie le bilan des dépenses liées à la LOM : en l’occurrence, le COI cite la multiplication des contrats de plan État-Région, des protocoles de relance des petites lignes ou des appels à projets. Difficile d’y voir clair donc.
“Une vision élargie à l’ensemble des dépenses des collectivités en matière de mobilités” David Valence
À propos des appels à projets mobilités actives et transports en commun en site propre, David Valence remarque qu’ils ont suscité « un fort engouement » du côté des collectivités locales. Tous ont été dotés d’enveloppes très supérieures à ce qu’avait prévu la LOM. « Cela démontre l’élan en faveur de ces modes, avec une accélération rapide s’agissant du vélo », précise le rapport. Sur ce point, la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) estime qu’il faudrait atteindre les 25 euros/habitant/ an, contre 8 euros/habitant/an pour accroître le report modal. Soit un effort au total de 1,6 milliard d’euros. Si le COI reconnaît que les investissements dans les infrastructures de transport ont bien été augmentés sous le précédent quinquennat – « en partie grâce aux crédits du Plan de relance », mais aussi aux appels à projets –, il estime nécessaire de réaliser « des ajustements entre les dépenses et les ressources », pour « surmonter un mur d’investissement ».
Trois scénarios sur la table
Comme indiqué précédemment, les attentes remontées du terrain représenteraient plus de 200 milliards d’euros d’investissement en dix ans – soit le double par rapport au quinquennat précédent. « Les besoins ultérieurs seraient au moins équivalents », stipule David Valence. Avec les autres membres du COI, il invite à améliorer la gouvernance de la programmation, en revoyant les relations entre les cofinanceurs et les maîtres d’ouvrages : « Une vision élargie à l’ensemble des dépenses des collectivités en matière de mobilités, même quand elles ne sont pas subventionnées par l’État, est souhaitable. » En fonction du cadrage du nouveau gouvernement, le COI émettra un… deuxième rapport à l’automne prochain. Lequel établira trois scénarios de programmation des investissements sur les vingt prochaines années.
Le scénario « socle » – non chiffré – modèlera la dynamique des projets fortement générateurs de dépenses d’exploitation, sélectionnera de « façon serrée » les projets apportant « le plus de valeur ajoutée » et étalera sur de longues durées la réalisation des grands projets ferroviaires interurbains. Il s’intéressera au déploiement d’infrastructures de fourniture d’énergies décarbonées, au soutien à la croissance des mobilités actives et à la massification de l’offre de fret ferroviaire et fluviale. Le COI proposera deux autres scénarios – l’un « sélectif », l’autre « maxi- mal » – gradués en ambition. Il ne reste plus qu’à espérer que cet énième rapport provoque enfin un électrochoc du côté de l’Élysée et de Matignon…
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