Accueil Actualités Les métropoles dialoguent-elles réellement avec leur territoire ?

Les métropoles dialoguent-elles réellement avec leur territoire ?

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 5 minutes

Comment faire pour que les 22 métropoles françaises travaillent davantage avec un monde rural qui se sent souvent abandonné ? Cette préoccupation souvent négligée revient au premier plan avec la transition climatique. Alimentation de proximité, développement des énergies renouvelables, gestion commune d’une mobilité plus durable : la coopération entre territoires devient cruciale.

Par Christine Murris

« Les métropoles se cherchent encore. » Ce constat, Françoise Gatel, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, présidente de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat et subtile experte de l’organisation territoriale française, n’est pas seule à le formuler. Même si les situations sont très différentes d’une métropole à l’autre, tout se passe comme si ces jeunes institutions, qui ne comptent somme toute qu’une petite dizaine d’années, en étaient encore à chercher leur voie… Malgré les améliorations apportées au fil du temps à leur mode de fonctionnement, notamment avec la récente loi 3DS, les métropoles, en dehors peut-être de Lyon, souvent considérée comme exemplaire, restent très critiquées.

Il est vrai que les « fées » qui se sont penchées sur leur berceau, entre 2012 et 2016, leur ont attribué des missions multiples. D’abord, ont-elles exigé, les métropoles devraient s’affirmer comme des espaces de puissance capables de rivaliser, sur la scène internationale, avec les « villes-monde » de tous les continents – Londres, New York, Tokyo, Shanghai… – aussi bien qu’avec les prospères capitales des Länder allemands, Francfort la financière, Munich la culturelle, Berlin la politique…

Il leur faudrait briller, rayonner, tenir leur rang dans la course aux capitaux, aux entreprises, aux talents. À bien des égards, elles y ont réussi : ces « avions de chasse », toujours selon les termes de Françoise Gatel, abritent aujourd’hui tout ce que la France compte d’universités prestigieuses, de laboratoires innovants, de grands pôles de mobilité. Comment en douter, quand on parle par exemple de la métropole lyonnaise, une place forte installée à un confluent, géographique, bien sûr, mais aussi économique et politique du pays ? Ou encore lorsque l’on observe Aix-Marseille-Provence, la plus vaste des métropoles de France, deux fois plus étendue que Londres, trois fois plus que Berlin ou New York ? Rassemblant sur un même territoire de hauts sites culturels, des espaces agricoles, urbains et industriels, le premier port de France et un aéroport international, elle est certes très composite et n’a jamais échappé aux querelles politiques que fait naître la conduite d’un tel paquebot. Pleine de contradictions et abritant de réels îlots de pauvreté, elle n’en affiche pas moins beaucoup de vitalité. À des degrés divers, toutes les métropoles ont bel et bien une puissance de feu politique, économique et culturelle difficilement contestable.

Des métropoles d’équilibre plutôt… déséquilibrées

Mais sur ces fonts baptismaux décidément exigeants, d’autres objectifs ont été fixés aux métropoles naissantes : toutes devaient aussi, au-delà de leur périmètre, irriguer un territoire plus vaste et entraîner dans leur sillage des villes moyennes et un monde rural bien plus déshérités. Permettre au pays d’en finir enfin avec ce que le géographe Jean-François Gravier nommait en 1947 « Paris et le désert français », en dotant le territoire national de « métropoles d’équilibre ». Sur ce plan, elles ont nettement moins brillé et le best-seller de Gravier n’a guère cessé de se rappeler au bon souvenir des tenants d’une décentralisation plus aboutie.

Les années les plus récentes, bien loin de leur permettre de progresser dans ce registre, ont mis en relief les limites des métropoles. Comment croire en leurs vertus d’entraînement et d’irrigation du territoire quand on constate que les villes moyennes, même lorsqu’on pourrait les croire dans l’orbite d’une métropole, se sont pour beaucoup engluées dans leurs difficultés ? C’est l’État, avec son plan d’action « Cœur de ville », qui a dû voler à leur secours pour redonner vie à des centres délaissés par leurs commerçants, leurs services et même parfois par leurs habitants ! Dans l’actuelle Auvergne-Rhône-Alpes, c’est bien l’État qui doit soutenir le dynamisme de villes moyennes pourtant proches des grandes métropoles que compte la région – Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Clermont-Ferrand –, qu’il s’agisse de Tarare, de Bourgoin-Jallieu, de Voiron ou de Chambéry…

Opposition ville-campagne

Quant au monde rural, il n’a de cesse de clamer ses difficultés en matière de mobilité, d’accès aux services, à la santé et à l’emploi. Tant et si bien que c’est pour une bonne part de ses rangs qu’a fait irruption, en 2018, sur les ronds-points des départementales, le très surprenant mouvement des Gilets jaunes… Des réalités certes bien éloignées du cœur des métropoles mais qui, comme un boomerang, les ont atteintes et leur ont porté tort, exacerbant plus que jamais la traditionnelle opposition ville-campagne.

Covid aidant, les métropoles ont parfois vu partir une part de leur population. Certes, il ne s’agit nullement d’exode, comme on a pu à tort l’écrire ici ou là, mais les cœurs urbains les plus denses ont perdu de leur charme. Les Français, qui ne renoncent nullement à leur rêve pavillonnaire, se demandent si les métropoles constituent bien le meilleur des cadres pour le réaliser. Certaines perspectives d’avenir sont en outre inquiétantes : « Il y a des dispositifs comme les ZFE », déplore Françoise Gatel, « qui peuvent donner l’impression aux populations des territoires que l’on veut ériger une barrière de plus, comme une espèce de cordon sanitaire, entre la métropole et ses voisins. » De quoi, au bout du compte, créer de nouvelles fractures territoriales…

« Les métropoles ne doivent pas rester des châteaux-forts, fermés sur eux-mêmes et inaccessibles », plaidait Philippe Dallier, maire de Pavillons-sous-Bois, lors d’un débat récent. La solution ? Elle est en réalité déjà connue, bien qu’apparemment difficile à mettre en œuvre : « L’enjeu, poursuit-il, c’est de construire des écosystèmes, des coopérations et des partenariats. Et sur ce point, jusqu’à présent, on n’est pas à la hauteur des besoins. »

Contre la ségrégation territoriale, des contrats de réciprocité

Une bonne nouvelle toutefois : l’accélération semble enfin là. Il y a d’abord la constitution des ZFE, qui oblige les métropoles à la solidarité : la mise en place de ces zones ne peut fonctionner que si un support financier – aide à l’achat de véhicules propres, installation de bornes, etc. – et des infrastructures communes – extension des lignes de transport public, organisation du covoiturage, parcours cyclables, etc. – aident les populations confrontées aux nouvelles contraintes.

D’une manière plus générale, si les métropoles constituent une chance pour les territoires voisins, ces mêmes territoires – leur foncier disponible, leur biodiversité, leurs ressources industrielles, agricoles… – sont aussi une chance pour les métropoles, en particulier à l’heure du changement climatique. Comment prétendre attirer des entreprises si on ne s’associe pas aux communes qui disposent encore de foncier disponible ? Comment espérer les voir s’installer au cœur de la métropole si leurs salariés n’ont pas accès à des réseaux de mobilité élargis et performants ? Comment répartir harmonieusement la manne touristique si l’on ne valorise pas le patrimoine et les atouts de tous, bien au-delà du centre historique des villes ?

« Le meilleur outil dans ce contexte, ce sont les contrats de réciprocité », souligne la sénatrice d’Ille-et-Vilaine. Certaines métropoles, qui ont signé les tout premiers contrats de réciprocité – parfois appelés « de coopération » ou « de partenariat » – au tournant des années 2020, souvent au lendemain de l’épisode Covid, sont désormais copiées. C’est, par exemple, Brest qui travaille étroitement avec les six intercommunalités du Pays Centre Ouest Bretagne, notamment sur le thème de l’alimentation. Nouvelles filières de distribution, réorganisation de la production, la métropole entend appuyer son approvisionnement sur les produits locaux. Plus original, le CHU de Brest s’est associé à l’hôpital de Carhaix pour déployer un système de médecine généraliste itinérante sur l’ensemble du territoire breton. Une forme de lutte contre la désertification médicale que nombre de territoires imitent.

Le dialogue se renforce

Nantes, Clermont-Ferrand et Toulouse ont été des pionnières. C’est en matière de mobilité que Toulouse et le Pays de la Porte de Gascogne ont montré la voie, développant des sites de coworking pour amener l’emploi près du logement et lutter contre les embouteillages. Toujours pour fluidifier le trafic aux heures de pointe, les entreprises de l’aéronautique de Blagnac, réunies par les collectivités, ont pu organiser des prises de poste échelonnées.

Le dialogue se renforce et c’est le monde rural qui est moteur, selon Michaël Restier, directeur de l’association nationale des Pôles territoriaux et des Pays. Les métropoles, jusqu’ici orgueilleusement retranchées dans leur périmètre urbain, sauront-elles enfin développer cette fonction d’irrigation des territoires qui fait bel et bien partie de leur mission ? Sauront-elles construire les « écosystèmes apaisés » que les villes moyennes et le monde rural, mais aussi de plus en plus les citoyens, appellent de leurs vœux ? Les contraintes nées de la pollution de l’air, de la pénurie de l’eau ou encore des nécessités du développement des énergies renouvelables pourraient les y obliger et ouvrir, au bout du compte, une nouvelle ère de la construction métropolitaine, même – et peut-être surtout – sans obligations légales supplémentaires.

Articles Liés