L’agriculture urbaine s’enracine dans les métropoles. Au-delà de ses dimensions nourricière et sociale, elle est soutenue par de plus en plus de collectivités qui voient en elle une manière efficace et populaire de préserver le foncier agricole et de renforcer la nature en ville. Illustration avec deux agro-métropoles avérées, Toulouse et Tours.
Par Franck Soler
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 20 % des produits consommés seront issus de l’agriculture urbaine en 2030, contre moins de 8 % aujourd’hui. Pour la FAO, l’agriculture urbaine représente un réel enjeu par rapport à d’autres formes de production alimentaire dans la mesure où « (…) elle garantit la disponibilité d’aliments frais et accessibles à proximité des marchés urbains ». Or, l’autosuffisance alimentaire est encore très faible dans la majorité des métropoles. D’après une étude menée en 2017 sur les 100 principales aires urbaines françaises, les métropoles de Rennes, Brest et Nantes sont celles qui présentent la meilleure autonomie alimentaire avec de 5 à 6,4 % de produits agricoles locaux consommés sur place. C’est peu, mais quand même supérieur à la moyenne, d’à peine 2 %.
Ce constat « d’une incapacité des villes à nourrir ses habitants » – constat amplifié par la crise sanitaire – a beaucoup servi la récente « euphorie politique » de la ville cultivée. Depuis 2018, de nombreuses métropoles s’interrogent sur leur stratégie d’approvisionnement alimentaire en lançant des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT). Plus récemment, il faut souligner l’énorme succès du programme « Les Quartiers Fertiles » de l’ANRU, destinés à développer l’agriculture urbaine dans les quartiers prioritaires de la ville. Nicolas Le Roux, le responsable du pôle Ville productive et créative, en fait le bilan : « À ce jour, il y a 98 projets lauréats couvrant 140 quartiers. On a aujourd’hui des projets qui font référence et s’inscrivent complètement dans une dynamique de rénovation des quartiers. »
Voilà donc une agriculture qui trouve sa place dans les quartiers d’habitat collectif. Et ce n’est pas une illusion. Pour preuve, 70 % des projets lauréats de l’ANRU concernent des espaces de pleine terre (délaissés urbains, friches ou morceaux de parcs) et ont, malgré leur taille réduite, une visée productive claire, en maraîchage notamment. « Les bénéfices de l’agriculture urbaine ne se limitent pas à la question de la souveraineté alimentaire. C’est aussi une question de sensibilisation à une alimentation plus saine. Et puis, c’est du lien social, de l’activité, des emplois et de la biodiversité en ville », confirme Nicolas Le Roux.
Toutes les formes d’agriculture urbaine
Entre les jardins et potagers collectifs non marchands (héritiers des fameux jardins ouvriers créés en 1893 à Sedan) et les micro-fermes participatives, l’agriculture urbaine se développe sous plusieurs formes et suivant des techniques très variées, que ce soit la pleine terre, les cultures sous serre, l’hydroponie ou l’aquaponie. Située en périphérie ou dans l’enceinte d’une ville, elle est supposée s’appuyer sur une filière prioritairement tournée vers le marché urbain local (circuits courts). C’est donc une agriculture de proximité. Elle porte avant tout des valeurs éducatives, de partage et d’économie sociale et solidaire, même si des formes hyper productives et très « high tech » (comme les fermes verticales) se sont développées ces dernières années. Un changement d’échelle et de paradigme qui suscite autant d’intérêt que de questions. En s’affranchissant des éléments naturels, sol, air et soleil, peut-on encore parler d’agriculture ?
« À Tours, nous souhaitons développer l’agriculture sous toutes ses formes, y compris en milieu urbain. On ne pourra pas atteindre l’autosuffisance alimentaire avec l’agriculture urbaine ; pour autant, il ne faut pas négliger ce mode, car il contribue au confort de vie des habitants. C’est un formidable outil pour promouvoir la consommation de proximité.
Le bien-être en ville : l’exemple de Tours
Avec 36 % d’espaces agricoles cultivés, une ceinture maraîchère productive à ses portes, la métropole de Tours a-t-elle besoin d’agriculture en ville ? Patricia Suard, la vice-présidente déléguée à l’Agriculture urbaine et périurbaine et au Plan alimentaire territorial, l’admet : « À Tours, nous souhaitons développer l’agriculture sous toutes ses formes, y compris en milieu urbain. On ne pourra pas atteindre l’autosuffisance alimentaire avec l’agriculture urbaine ; pour autant, il ne faut pas négliger ce mode, car il contribue au confort de vie des habitants. C’est un formidable outil pour promouvoir la consommation de proximité. » L’agglomération tourangelle se targue de proposer à ses habitants près de 3 000 jardins partagés. Dans le quartier des Deux-Lions, la collectivité a lancé le concept de « jardin collectif de proximité », un espace cultivé, exclusivement réservé aux habitants situés à moins de 15 minutes en transport collectif. Et ce n’est pas un hasard non plus si la métropole a soutenu l’une des premières opérations associant ha- bitat social et agriculture urbaine. Ce projet expérimental porté par Tours Habitat, « Les Jardins perchés », a permis la création d’une ferme maraîchère professionnelle se développant à la fois sur les toits de la résidence et au sol.
Rien que sur Toulouse intra-muros, 250 hectares de terres sont cultivés en bio et la capitale occitane peut se réjouir d’être la seule grande métropole française à posséder une régie agricole municipale.
Cultiver, une fierté d’être : l’exemple de Toulouse
La métropole toulousaine semble avoir pris à son compte les vrais enjeux de l’agriculture urbaine. Il faut dire que son territoire s’y prête. Rien que sur Toulouse intra-muros, 250 hectares de terres sont cultivés en bio et la capitale occitane peut se réjouir d’être la seule grande métropole française à posséder une régie agricole municipale. La ferme urbaine du Domaine de Candie est emblématique du projet de transition agricole et alimentaire porté par les élus. Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire, délégué à l’Alimentation de la ville de Toulouse, l’explique : « Ici, tout ce qui est produit en légumineuses et céréales, plutôt que de l’envoyer vers la coopérative, revient aux Toulousains via la cuisine centrale et la vente directe. Ce n’est qu’un début, mais cela démontre que les filières locales s’y retrouvent et que c’est un modèle réaliste à l’échelle d’une métropole comme Toulouse. »
La métropole soutient également plusieurs projets de maraîchage sur des parcelles en friches situées au cœur de quatre quartiers en renouvellement urbain. « Amener l’agriculture dans les quartiers, c’est un vrai enjeu pour nous. Cela permet d’acculturer les familles à la production agricole et, au final, à l’alimentation. Et ça peut créer des vocations pour de nouvelles générations d’agriculteurs », poursuit l’adjoint au maire.
Un quartier, un jardin nourricier
L’agriculture urbaine professionnelle n’en est qu’à ses débuts. Elle doit encore faire ses preuves et trouver son propre modèle économique. L’exemple des « Jardins perchés » de Tours illustre bien cette difficulté. « L’erreur, c’est d’avoir voulu plaquer un système existant sur un toit. Sur une surface aussi petite et contrainte comme celle-là (ndlr : 1 000 mètres carrés cultivables), il faut des produits à très haute valeur ajoutée pour que l’activité soit rentable », souligne Silvère Guérin, directeur du Développement durable à Tours Métropole.
Lucile Delorme, présidente de l’Association française d’Agriculture urbaine professionnelle, milite pour « un quartier, un jardin nourricier ». À travers l’agriculture urbaine, c’est donc tout un modèle d’habitat urbain qui doit être repensé. « On a besoin d’une politique publique forte pour ancrer les projets d’agriculture urbaine dans le temps. Il faut un cadre juridique pour sécuriser les projets. Les baux utilisés sont trop souvent précaires et ne permettent pas aux exploitants d’envisager sereinement l’avenir », précise la représentante de l’association, qui soutient que l’agriculture urbaine a besoin de reconnaissance et d’un vrai statut : « Elle ne doit pas être la caution verte d’un projet ni servir de compensation via l’application du ZAN. »
La vocation de l’agriculture urbaine n’est pas seulement nourricière. En générant du commun et en facilitant la reconnexion des citadins au vivant, elle promet, pour demain, une nouvelle manière d’habiter et de vivre la ville.