Comment va s’organiser la reprise du trafic dans les transports publics urbains ? Patrick Jeantet, président du groupe Keolis, a répondu à nos questions, quelques heures avant les annonces du Premier ministre sur la sortie du confinement.
Propos recueillis par Sébastien Fournier
Comment va s’organiser la reprise du trafic dans vos réseaux de transport urbain ?
Il est intéressant de regarder ce qui s’est passé dans les pays qui ont été touchés avant nous par le Covid-19. A Shanghai où nous exploitons des lignes de métros et de tramways, deux mois après la reprise économique, la fréquentation dans les transports publics est de 60 %. Cela nous permet d’anticiper et d’assurer de manière plus efficace la sécurité sanitaire dans nos transports. Ce qui est déterminant, c’est le niveau de fréquentation. Les autorités sanitaires souhaitent que le télétravail se poursuive car ce n’est pas la fin de la pandémie. Par ailleurs, les parents ne vont pas massivement remettre leurs enfants à l’école le 12 mai. Nous tablons donc sur une fréquentation de l’ordre de 50 % qui peut varier selon les agglomérations. Elle peut être en-dessous. Nous allons en conséquence mettre des plans de transport allant de 70 à 90 % de la capacité. Mais nous avons une contrainte, c’est la disponibilité de nos salariés. Certains souffrent de maladies chroniques les contraignant à rester chez eux. Par ailleurs, ceux qui ont des enfants ne seront peut-être pas présents pour faire fonctionner les matériels roulants. Nous élaborons donc différents scénarios pour adapter l’offre en fonction du personnel disponible. C’est un travail que nous faisons avec les autorités organisatrices. C’est essentiel de travailler collectivement, nous maximisons nos chances de succès de la reprise.
Lorsque vous allez dans un transport public, vous portez des chaussures et ce n’est pas le transporteur qui les distribue
Est-ce que vous allez distribuer des masques à l’entrée des transports ?
Nous disons depuis plusieurs jours que le port du masque doit être obligatoire dans les transports publics. Et cela semble acquis. C’est la première et la meilleure des barrières. Mais chacun doit se procurer un masque. Nous n’en distribuerons pas de manière générale à toute la population. Ce n’est pas notre rôle. Lorsque vous allez dans un transport public, vous portez des chaussures et ce n’est pas le transporteur qui les distribue. Il y a toutefois beaucoup d’agglomérations qui ont commandé des masques. Elles vont commencer à les distribuer. Les citoyens vont par ailleurs pouvoir en acheter. Des masques, maintenant on en trouve. En ce qui concerne nos personnels, nous en fournirons, c’est une évidence. Keolis a fait plusieurs commandes, une première de 500 000 masques qui est déjà arrivée et une autre, avec l’Union des transports publics, de plus de 3 millions de masques prévue pour la fin du mois.
Le Premier ministre souhaite imposer la distanciation physique dans les transports. Est-ce faisable ?
La distanciation physique est compliquée à mettre en œuvre dans les transports publics. Si vous l’appliquez dans un bus, la capacité est réduite de 80 %. Il faut donc laisser rentrer seulement 20 % de son emport maximum. Mais encore faut-il que les usagers la respectent. Cela dépend de leur sens civique. Par ailleurs, nous ne savons pas exactement compter en temps réel le nombre de personnes qu’on met dans un bus. Il faudrait placer des cellules de comptage. Les flottes étant importantes, cela ne peut pas se faire en quelques semaines. Je remarque qu’en Allemagne, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où nous opérons, le port du masque dans les trains a été rendu obligatoire mais pas la distanciation physique. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’y entasser bien entendu.
Aujourd’hui, nous faisons un nettoyage général ordinaire puis procédons à la pulvérisation d’un produit virucide. Après avoir laissé le produit agir, nous re-désinfectons toutes les parties touchées à la main, barres de maintien, poignées et boutons
Redoutez-vous une baisse de la fréquentation au profit de la voiture particulière ?
Après le 11 mai, la fréquentation sera nettement inférieure à ce qui s’observe en temps ordinaire. Dans un premier temps, beaucoup de gens vont prendre leur voiture individuelle pour se déplacer, par peur de l’entassement dans les transports publics. Avec le port du masque respecté et la désinfection régulière de nos moyens de transport, nous limitons considérablement les risques. Nous devons le faire savoir. Aujourd’hui, nous faisons un nettoyage général ordinaire puis procédons à la pulvérisation d’un produit virucide. Après avoir laissé le produit agir, nous re-désinfectons toutes les parties touchées à la main, barres de maintien, poignées et boutons. Il faut redonner progressivement confiance aux usagers.
Le financement du transport public est-il menacé ?
En France, le transport public est très largement financé par le Versement mobilité. Son assiette, c’est la masse salariale des entreprises qui sont dans le périmètre où il est versé. Cette masse salariale est en train de chuter considérablement en raison du nombre de salariés au chômage partiel. Il va y avoir un manque de recettes pour les autorités organisatrices de transport. Il faut trouver d’une manière ou d’une autre un moyen de financement. Rappelons que les transports publics sont une des solutions à une autre maladie, chronique, que sont les émissions de gaz. Ils ont deux effets, la pollution de l’air qui tue chaque année en France 50 000 personnes, et le dérèglement climatique. Il est indispensable de relancer les transports publics. C’est essentiel pour le futur de notre pays.