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Des métropoles de plus en plus investies aux côtés des universités

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 5 minutes

Depuis une dizaine d’années, les collectivités et les Métropoles sont encouragées à soutenir l’ESR (l’enseignement supérieur et la recherche) sur leur territoire. En quoi ce partenariat est-il bénéfique ? Éléments de réponse…

Par Agnès Morel

En septembre, Amiens a inauguré la rénovation de « la Citadelle », qui marque le retour en centre-ville de la faculté installée jusque-là en périphérie. Partout, cet automne, des projets universitaires, réalisés avec le soutien financier de leur communauté urbaine ou de leur métropole, ouvriront leurs portes. L’enseignement supérieur et la recherche (ESR) seraient-ils devenus un champ prioritaire pour les territoires ?

Si cela n’est pas nouveau pour Grenoble, Nantes, Rennes ou Strasbourg, qui s’impliquent depuis longtemps dans ce domaine, le dialogue entre le territoire et l’université a été facilité par la loi Maptam qui, en 2014, a fait du soutien à l’ESR une compétence obligatoire des métropoles. Une compétence importante également pour des agglomérations plus petites, comme « Angers, Reims, Amiens… qui ont aussi développé une direction dédiée, voire un schéma local, sans que cela ne leur soit obligatoire », explique François Rio, délégué général de l’AVUF (Association des villes universitaires de France).

En 2018, on trouve donc des services dédiés à l’ESR au sein des collectivités… tout comme, en miroir, des services dédiés au territoire dans les universités : la plupart des établissements ont mis en place un vice-président aux relations extérieures. Dans les universités issues d’une fusion, à Bordeaux, Aix-Marseille, Strasbourg ou Grenoble, les présidents sont mêmes devenus de véritables managers, sans parler des présidents des Communautés d’universités et établissements – ComUE, qui regroupent les universités et les écoles d’un même site, depuis la loi Fioraso de 2013.

UN DIALOGUE RENFORCÉ

« N’avoir plus qu’un seul interlocuteur, cela facilite le dialogue », confirme Claire-Anne David-Lecourt, chargée de mission de la CPU (Conférence des présidents d’université). « Quand on parle le même langage, on comprend mieux les enjeux des uns et des autres », poursuit-elle en citant, au sein de l’université, des directeurs issus des collectivités, à Cergy-Pontoise par exemple, ou vice-versa, d’anciens universitaires en charge du dossier ESR au sein des collectivités, comme à Grenoble.

Le dialogue est également entretenu au niveau des instances nationales, la CPU travaillant de pair avec les associations du « bloc local » (AVUF, France urbaine, Villes de France…). Dernier exemple en date : le séminaire organisé par la CPU à Metz, fin octobre 2018, autour de l’amélioration de la vie étudiante sur les différents campus.

Si la relation entre l’ESR et les métropoles a pris de l’ampleur, c’est parce que la donne a changé. Bien que la politique publique de l’ESR ainsi que le financement des établissements relèvent toujours de la compétence de l’État, celui-ci s’est progressivement désengagé, laissant, dans les années 80, la place aux régions, en charge du pilotage et de l’équilibre territorial, puis, aux autres collectivités territoriales avec les lois sur l’autonomie (loi Pécresse en 2007, loi Fioraso en 2013).

PALLIER LE MANQUE DE MOYENS

« Pour trouver des financements complémentaires, les universités doivent aujourd’hui travailler sur toutes les échelles et nouer des alliances locales, en s’ancrant sur leur territoire », explique Nathalie Laval-Mader, enseignante-chercheuse à Toulouse 1. Un enjeu crucial pour les universités, qui souffrent, historiquement, d’un manque criant de financements, accru par la forte pression démographique : 300 000 étudiants sont attendus ces dix prochaines années.

Depuis la loi NOTRe en 2015, les 13 nouvelles régions restent les « chefs de file » de l’ESR

Étant donné le manque de ressources des établissements, l’apport financier des métropoles et autres communautés prend un caractère essentiel. Suffira-t-il pour faire jeu égal avec les universités de monde entier ? Il est permis d’en douter. « Pour être clair, les universités françaises sont encore très loin des standards internationaux », commente Khaled Bouabdallah, le vice-président de la CPU.

De quoi conforter le rôle des communautés urbaines et des métropoles, déjà concernées par l’université au titre de l’aménagement urbain, de la gestion de la vie étudiante, du logement, des bourses ou des transports, qui sont des compétences dites « traditionnelles ». « Le tramway à Grenoble, le métro à Rennes ou à Bordeaux… Historiquement, les métropoles ont développé leurs transports en commun pour desservir en priori- té les campus situés sur leurs communes », souligne la chercheuse Sophie Lafon, qui a rédigé une thèse sur la métropolisation de l’ESR.
La plupart des métropoles n’ont pas tardé à investir, en complément, dans l’immobilier et les équipements scientifiques, des domaines qui n’étaient pas de leur ressort auparavant. « Pourquoi ? Car il y a, dans certains cas, comme à Rennes, Grenoble ou Bordeaux, une volonté de revanche. Jusque-là, les contrats plans État- Région, qui financent l’ESR sur appels à projets, ne leur accordaient qu’une place de second rang, en leur demandant de venir compléter le financement de l’État et de la Région, sans les reconnaître comme de véritables interlocuteurs », indique Sophie Lafon. Or, depuis la loi NOTRe en 2015, les 13 nouvelles régions restent les « chefs de file » de l’ESR, mais ont l’obligation, pour construire leur nouveau Schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (SRESRI), de se concerter avec les autres collectivités territoriales. « C’est pourquoi, dès 2015, les métropoles ont travaillé à leur stratégie d’intervention », poursuit la chercheuse Elles ont établi des schémas de soutien pluriannuels, avec des investissements conséquents comme à Lyon, Rennes, Lille.

À Nantes, par exemple, la métropole a investi autant que la région dans le projet de quartier de santé. Un investissement qui suit la mise en place d’une nouvelle structure d’échanges et de coordination des acteurs locaux, ce qui est le cas aussi à Bordeaux ou à Rennes.

PAS DE GRANDE MÉTROPOLE
 SANS GRANDE UNIVERSITÉ


Car, bien que les collectivités soient attentives au fléchage de leurs financements, l’ESR reste partout, en dépit des fortes restrictions budgétaires, une priorité. Priorité qui dépasse même les clivages politiques : « À Reims, le projet d’accueillir une antenne de l’Institut d’études politiques – IEP Paris, qui représentait un budget important pour la ville et la communauté urbaine, n’a pas été retoqué lors du changement de majorité », précise Claire-Anne David-Lecourt.
Et si tous les politiques s’accordent, c’est que l’enjeu est de taille : il n’y a pas de grande métropole sans grande université, surtout dans un contexte de concurrence des territoires, sur le plan national et international. « Toutes les collectivités ont pris conscience que l’enseignement supérieur et la recherche étaient fondamentaux pour l’attractivité et le dynamisme de leur territoire, confirme Nathalie Laval-Mader.

Et si tous les politiques s’accordent, c’est que l’enjeu est de taille : il n’y a pas 
de grande métropole sans grande université.

C’est un vrai marqueur. La preuve ? La compétence de l’ESR est généralement rattachée au budget Développement économique et innovation des métropoles. Car cela a un effet d’entraînement : « Un pôle d’ESR dynamique permet de nourrir l’innovation et de conserver, voire d’attirer sur le territoire des laboratoires de recherche, des start-up et des entreprises qui ont besoin de recruter facilement des jeunes diplômés », confirme François Rio.

UN FORT ANCRAGE TERRITORIAL

D’où une convergence des projets de l’université avec les enjeux propres de son territoire : la culture et l’agroalimentaire à Avignon, la question maritime à

La Rochelle, etc. Mais le territoire peut également se développer autour d’une compétence universitaire, l’un des exemples étant l’incubateur Business & Innovation Centre (BIC) de Montpellier Méditerranée Métropole, classé 2e au monde, qui accompagne depuis 30 ans le développement de start-up et qui est à l’origine d’un nouvel écosystème au- tour du numérique et des bio-techs. Dans tous les cas, c’est une stratégie profitable pour l’attractivité de l’université et celle du territoire. « Un beau campus, bien placé, avec des bâtiments neufs, des équipements de pointe et une bonne desserte en transports, relié à un territoire dynamique, c’est valorisant pour tout le monde », déclare François Rio.

On observe d’ailleurs que, pour améliorer leur visibilité, l’université et la métropole adoptent parfois le même nom, comme c’est le cas de l’université Grenoble-Alpes et de Grenoble-Alpes Métropole : c’est bien le signe d’une stratégie construite main dans la main.

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