Promesse d’emplois contre confidentialité. Pour éviter les contestations, le géant du e-commerce conduit ses projets en requérant le silence des élus locaux. Ça marche ou pas.
Par Marc Fressoz
Après Brétigny-sur-Orge, bientôt Metz, Nantes et peut- être aussi Mulhouse, Belfort, sans compter Lyon… En avançant à pas de loup pour éviter les oppositions locales, Amazon accélère ses projets d’implantation d’entrepôts géants sur le territoire français. Certes, la confidentialité est souvent de mise dans le secteur, où l’utilisateur final demande fréquemment au promoteur de garder l’identité de son client secret vis-à-vis de ses concurrents. Mais le géant américain du e-commerce – que nous n’avons pas réussi à joindre – pousse cette logique à l’extrême en muselant la parole des élus. En novembre 2016, le vice-président de Metz Métropole en charge de l’aménagement s’est ainsi lié à Amazon en signant un contrat de confidentialité. Il a conduit les discussions en n’ayant pas le droit de révéler à ses collègues, encore moins aux administrés, l’identité du futur utilisateur de l’entrepôt. Si son arrivée est devenue un secret de Polichinelle, le groupe a continué de nier l’évidence le plus longtemps possible.
L’emploi, comme argument de poids
Cette stratégie masquée n’empêche pas la contestation locale, comme à Nantes où les opposants sont prêts à monter une ZAD sur des terrains prévus pour Amazon. Près de Mulhouse, à Ensisheim, un vaste projet d’immobilier logistique, attribué au groupe, suscite une levée de boucliers locale (commerçants, élus et associations écologistes) soutenue par les maires EELV de Grenoble, Strasbourg et Lyon. Début novembre, Frédéric Duval, le directeur général d’Amazon France, a assuré sur BFM TV n’avoir pas le moindre projet en Alsace. Arrêt, recul temporaire, désinformation ?
En fait, tous les projets n’aboutissent pas. L’implantation envisagée près du Pont du Gard est plombée par un scandale de spéculation immobilière. Certains élus de la commune de Fournès sont soupçonnés d’avoir réalisé avec leur famille une plus-value conséquente sur leurs propres terrains. « Du coup, le groupe regarde dans les alentours », croit savoir Alma Dufour, une responsable des Amis de la Terre pour qui la nouvelle implantation envisagée, près de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, a également du plomb dans l’aile. Pour parvenir à son but, Amazon avance avec un argument de poids : l’emploi local. En pleine crise, il cible les zones sinistrées dont l’État fait de la reconversion un symbole d’espoir. Comme à Belfort, où le e-commerçant prendrait la place d’un site en déroute de la firme General Electric. À Petit-Couronne, près de Rouen, où les cicatrices de la fermeture de Petroplus en 2013 ne sont pas refermées, le groupe de Jeff Bezos promet au maire de cette commune 1 200 emplois… toujours sous le sceau du secret. « Ce serait malhonnête de dire que ce n’est pas pour Amazon. Tout le monde en parle », admet Joël Bigot, le maire PS de la commune, qui a accordé en novembre un permis de construire au promoteur. Au grand dam des commerçants de Rouen. Le maire PS Nicolas Mayer-Rossignol, qui préside aussi la Métropole, n’est pas favorable, lui non plus, à ce développement.